Je te l'ai déjà dit, la route est devenue déserte. Le filet de la répression a chassé les oiseaux de proie et les prédateurs. Les derniers carnassiers devenus presque charognards arpentent toujours le ruban de bitume et ses écueils destructeurs. Le vent, la pluie, la neige compliquent la route, torturent la conduite. Les forces de l'ordre qui nous serrent contre les poteaux électriques et cherchent parfois à nous abattre font reculer la plupart des guerriers.
Mais pour nous, la pluie, la neige, le vent et la police n'existent pas.
L'eau peu bien couler tant que nous l’empêchons de toucher le sol. Le vent peut bien tenter de nous coucher au sol, le simple fait de rester sur nos roues nourrit notre courage. La neige fond au contact des pneus bouillants. Le chevalier, le pèlerin, traverse des étendues gigantesques croisant de part et d'autre de la route un peuple qui ne vit plus que de cueillette et de péchés. Le chevalier cristallise tout l'espoir, en même temps qu'il reflète toutes les peurs d'une société domestiquée par le chargeur de son téléphone. Le chevalier reçoit parfois l'opprobre, parfois le parfum des femmes. Parfois le seul relent de la solitude et la froideur dans son armure.
Le cuir noir et la visière fumée, la face grimée sous la cagoule, les gants par dessus les mains. Des mains qui peuvent bénir autant qu'elles peuvent punir.
Mais le chevalier roule parce qu'il a une vue d'ensemble. Le guerrier ne voit pas les détails, car c'est là que se terre le diable. Le guerrier est tout à son oeuvre, le guerrier n'est qu'un outil entre les mains de Dieu. Comme sa moto n'est qu'un outil entre ses propres mains.
Le chevalier remercie d’être encore en vie et de pouvoir accomplir quelque chose qui a un sens et une saveur. La moto bardée de muscles hypertrophiés, beaucoup trop bruyante pour une époque où l'on ne fait plus que chuchoter.
Mais l'oeuvre n'est pas vaine, tant que les yeux des enfants brillent. Tant que les hommes et les femmes vibrent au son des pistons. Les gens doivent savoir que ce genre de choses est encore possible.Qu'un oxymore fait aussi partie du compromis.
La douche guérit les heurts lorsqu'on a traversé et monts et vaux, à des vitesses supersoniques. Le chevalier fait du bruit en passant, et même sous le casque, c'est turbulent. Mais au milieu de ce flux de ces tempêtes artificielles, règne un silence de cristal. Une clairière sans bruits au milieu d'une jungle de vacarmes.
Un silence si pur et si fin que ne s'y tient seule que notre âme, effilée affinée par la vitesse.
Notre âme à plat ventre les bras très loin au devant des pieds, hurlant sans sons dans le silence captif d'une guerre tapageuse.
L'eau brûlante de la douche semble fraîche au retour à la vie lente. Le courant électrique qui nous traverse fait de nous des résistances, des radiateurs en contrainte sous un des plus purs jus de la vie.
L'eau chaude balaie les capteurs épidermiques, et l'onde de choc de chaleur chasse les frissons eux frontières du corps humain. Pendant un bref instant le frisson fiévreux d'adrénaline parcourt les poils des avants bras, de la barbe et du torse, pendant un court instant, les vibrisses s'arc boutent sous le transfert de signal.
L'instant d’après, les frissons quittent une fois pour toute l'enveloppe charnelle du chevalier.
Peut être qu'il se passe la même chose lorsqu'on trépasse.
L'eau coule et s'écrase contre le front du guerrier dans un bruit sourd. La vitesse conserve, mais les freinages te finissent. Les quelques minutes volées au cours d'un run récupèrent ce que tu leurs dois, ton métabolisme encaisse encore les retours de flamme. Les parcelles de chair que les aiguilles de montre reprennent aux aiguilles de compteurs.
L'eau de la douche panse les plaies invisible du chevalier- de son ego meurtri. Mais l'eau n'enlève ni la noblesse. Ni l'espoir. Ni l'audace à ceux qui croient toujours. Car même s'il ôte son heaume, ses gants et ses bottes. Même s'il défait son cuir et que sa musculature peut diminuer avec l'age, le chevalier ne se défait de son armure la plus robuste.
L'armure de la foi.
Notre cause vaincra.
Mathieu P.
