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Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal

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arvigna:
 :'(

C'est fini ...

Un grand merci pour ce partage.

 :)

Tartanpion:
Salut , j’ai dévoré tes récits .
Étant adepte de gros roulage en montagne avec des amis , j’ai retrouver au travers de ta prose le plaisir pris sur place
Merci :!:
Et bravo

Bourrask:
Merci ! C’est cool que ça vous ait plu parce que c’est pas vraiment fini. :D
Le trip qui va suivre se déroule pendant l’hiver 2017 quelques mois avant la première quête du Graal à travers les Pyrénées. Le casting est différent et l’action se déroule plus au sud.



La Dolorean volante pourfend le ciel et réapparait à la date programmée sur le compteur spatio temporel.



Mercredi 25/01/2017.

Une interrogation commune et silencieuse plane dans l’habitacle de la voiture au ralenti. La nuit tombée quelque part sur l’A7 le trafic autoroutier est bloqué par la neige à hauteur de Montélimar.

« Qu’est ce qu’on fait là ? »
D'un énième coup d’œil sur le rétro je cherche en vain une réponse dans les regards éteints de nos motos recouvertes de givre et de neige fondue.
Stéphanie: « Mais pourquoi t’as pas dit non?»
Moi: « Je t’ai dit oui parce que je pensais que tu changerais d’avis. Je ne voulais pas perdre la face. »


Flash back, octobre 2016.
J’ai toujours aimé les sauts temporels.

Après une intense virée automnale « la dernière arsouille de l’année et après on pleure tout l’hiver », suivent des messages « C’était trop bien ! », « Faudrait remettre ça au plus vite », « On va déprimer tout l’hiver. On va mourir…», etc. Bref, tous les écueils listés j’en viens à me résoudre au fait que l’hiver sera long jusqu’à ce surprenant message de Stéphanie: « Ca te dirait le rallye de Tunisie ? Ce serait un bon entrainement pour le championnat de l’année prochaine. »

Vous pouvez répéter la question ?
Je devine la demoiselle joueuse et pas trop sûre du terrain sur lequel elle s’engage, mais l’air de rien elle me propose un trip qui me fait rêver depuis des années. Casser la trêve hivernale, rouler au soleil dans un pays chaud avec sa propre moto. Mon attirance pour la Tunisie elle ne la connait pas. Alors à ce qui me semble être une proposition incertaine je réponds un « ouais ce serait cool » tout aussi hypothétique. Ou comment dire oui à un truc qu’on ne fera sans doute jamais si on y réfléchit. Encore cassé physiquement de la veille mon cerveau est ailleurs.
C’était un lundi matin.

Pourtant cette idée me titille toute la journée. Si ça se trouve cette fille, complètement barrée mais ça je le sais déjà, est sérieuse. On va voir. Fin de journée message de ma part : C’est OK pour moi.
A-t-elle fait un arrêt cardiaque, je ne sais pas, mais suivra ce genre de discussion au départ presque anodine où l’on en vient rapidement à prendre des engagements. Pour ma part la question est déjà réfléchie si tant est que l’instinct puisse l’être, la décision prise quasi dès le premier message du matin, je demande néanmoins un délai de réflexion pour la forme. Oui c’est moi le sain d’esprit du binôme, la psychopathe c’est elle. Alors le lendemain j’affirme à Stéphanie un oui officiel qui sera néanmoins entériné deux jours plus tard devant témoins.

Voilà comment l’on en vient à se retrouver un soir de janvier sur l’A7 en direction du sud bloqué par la neige.


Après un voyage de 6h30 nous rejoignons enfin à 21h30 le Campanile de Septème les Vallons au nord de Marseille pour retrouver des potes de Stéphanie. Eux n’ont pas choisi le gîte proposé par l’organisation du rallye pour passer la nuit. Nous les retrouvons au restaurant de l’hôtel pour le dîner. Je suis claqué. Le sentiment d’avoir réussi l’impossible, rejoindre le point de départ malgré les mauvais pressentiments, les pluies verglaçantes, la neige, l’aquaplaning avec la remorque… Une moto se doit d’être sur ses roues, sur un attelage ce n’est pas naturel.

Les potes de Stéph sont super cools, ce sont des vieux de la vieille, je les aime d’emblée.
Cinq minutes à peine que nous sommes là et un type se présente à nous coupant les présentations en ne parlant que de lui, son palmarès, sa vie son œuvre son ego, putain j’entends presque la chanson de Dutronc « Et moi, et moi, et moi ! ». Tout ce que j’aime. Ca pouvait pas attendre demain ? On est claqué, on a faim, on s’en fout. Plus que ça il nous met le stress vis à vis du choix de pneus par rapport au grip précaire des routes tunisiennes, des conditions de roulage là bas, etc. Bref le mec plus relou tu meurs. Sa présentation achevée notre cador prendra finalement ses congés pour nous laisser diner en paix.

A 23h nous regagnons notre hôtel « Première classe » situé en bordure d’autoroute qui nous évoque d’emblée un parfait cliché de film d’horreur avec son enseigne lumineuse clignotante défectueuse de couleur fuchsia. Ici nous laisserons voiture et remorque pour la semaine. C’est l’unique raison pour laquelle cet hôtel a été choisi par l’organisation du rallye et on comprendra vite pourquoi.

« T’as vu les avis sur l’hôtel ? » me lance Stéphanie le smartphone en main.
Même si j’y comprends rien (pas de GPS, pas de smartphone, pas d’aprc, merde! Bon le dernier pourquoi pas, le 2e viendra un jour mais le 1er jamais !), je découvre un graphique de 95% d’avis ultra négatifs. Un hôtel de passe à priori.
C’était pas faux, voire pire.
Les draps à peine lavés sont perforés de brûlures de cigarettes, le lavabo décollé du mur le mitigeur git à 45°, la douche ne l’évoquons même pas, alors on préfère ne pas regarder et essayer de s’endormir. C’était sans compter sur les camions beine à vide qui déferlèrent tout la nuit dans la descente de l’A7 jouxtant ce taudis. C’est ce que j’ai cru d’abord avant de réaliser la tempête qui, très proche, rugissait avec son et lumière faisant trembler les minces murs séparant les chambres. Et je ne parle pas du reste, l’horreur totale. Demain on aura même plus de moto, c’est certain !

Après 3h de sommeil tout au plus le jour se lève enfin.
Au ressortir de la douche Stéph me crie « ne m’appelez plus jamais Princesse ! »





La traversée
Jeudi 26/01/17

Levé à 7h, soit bien plus tôt qu’en semaine, je consens à l’effort pour la bonne cause. Nous retrouvons nos potes de la veille dans la salle de petit déjeuner de l’hôtel et très vite de nombreux participants arrivés dans la nuit nous rejoignent pour le café. La veille il n’y avait que quatre motos. Ceci explique sans doute les allées et venues incessantes de la nuit, le type aussi qui a essayé de forcer la porte de notre chambre à 2h du matin. Du moins j’essaie de m’en convaincre même si à présent je m’en fous.

A 8h c’est le briefing d’avant départ sur le parking de l’hôtel et nous découvrons l’ensemble des participants. Nous sommes 25 Français et une vingtaine de Tunisiens est annoncée sur place.
Premier tour d’horizon, il n’y a que de la katoche. Du 690 en majorité, tous les modèles, SM, SMC, Duke, mais aussi du SuperDuke et j’en passe. Seule Stéph est en hypersport allemande. Pour ma part j'ai délaissé le Bon et la Brute pour le Truand, ma 690 Duke 3R. Il y’a quand même quelques japonaises, un Gex Mad Max-isé, un Tiger, une Benelli, la meilleure moto du monde soit disant cette horreur de 1200 GS, et même un scooter avec passagère.
La composition du groupe est très éclectique de part les âges et les types de motos, pourtant beaucoup se connaissent déjà via les rallyes routiers. Je l’apprendrai plus tard mais nous sommes seulement 3 ou 4 à ne pas connaître la discipline.

A 8h45 c’est le départ en convoi pour le port de Marseille, nos bagages chargés dans la camionnette d’assistance nous roulons légers dans le frais atmosphère méditerranéen.
Les nombreuses démarches administratives effectuées et autant de démarrages à répétition qui me feront craindre la panne électrique, à 11h30 les motos sont sanglées dans la cale du ferry.
A 12h attablés au resto, le bateau larguant les amarres au même moment, nous faisons la connaissance de Sylvain, ici en 1200 ZRX mais possédant une RSV4 pour la piste, avec qui nous roulerons beaucoup par la suite.
Une petite sieste pour qui arrive à dormir, une bière chacun et l’après midi défile très vite. C’est le temps des derniers sms, les cotes françaises désormais éloignées le signal s’éteint.

Le soir on se couche tôt. Malgré le manque de sommeil je n’arriverai à m’endormir que tardivement. Le ciel est noir, la mer peu formée néanmoins agitée, j’essaie de caler ma respiration sur le tempo des vagues en vain. L’amplitude n’est pas la même. Volontairement je n’avais pas pensé au trip depuis l’inscription, désormais le doute m’envahit.

Bourrask:
L’arrivée
Vendredi 27/01/17

Les mêmes démarches qu’à l’embarquement effectuées, deux ou trois présentations de passeports et autant de points de contrôle, nos roues foulent enfin le sol tunisien. On y croyait presque plus, mais on y est. Il fait beau et même chaud sous le soleil de midi.
Nous rejoignons le ralliement de motards franco-tunisien proche du port de la Goulette. Le groupe de locaux est aussi éclectique que le notre. Il y a de tout, du roadster, de la sportive, du trail.

Le temps de changer des euros en Dinars, d’engloutir un sandwich et une véritable orange dont le goût n’a rien à voir avec celles importées en France, vient rapidement le moment d’un départ joyeux et tonitruant en direction de l’avenue Bourguiba, artère principale de Tunis. Là bas tout le monde nous attend.
La Garde nationale tunisienne escortée de soldats avec fusils mitrailleurs en bandoulière nous accueille en fanfare. On a l’impression d’être des vedettes. C’est trop d’honneur pour nous, tout semble démesuré. On réalisera plus tard ce prélude de bienvenue d’un peuple accueillant et chaleureux à la sincérité déconcertante pour les européens parfois trop suspicieux que nous sommes.

C’est le moment ! Celui du départ officiel.
Stéphanie porte le numéro 105, moi j’ai le 106, donc je pars une minute après elle. « On s’attend » c’est ce qu’on était convenu avant de partir. Mais je merde direct, comme par enchantement.
Je m’élance de la ligne de départ et tire tout droit au premier embranchement. C’était pourtant pas loin, 200 mètres tout au plus après l’avenue au trafic neutralisé. Un câble pète dans mon cerveau et je prends la mauvaise direction alors que j'aperçois Steph au loin engagée sur une bifurcation opposée.
Pourquoi ? Je ne me l’explique toujours pas. Comme un rejet du conformisme, je ne peux pas faire pareil que tout le monde. Lol
Putain c’est un rallye! Il serait judicieux de suivre les directives.

Nikoumouk
Je fais demi tour sur le périphérique tunisien à la faveur d’une brèche dans le rail central de séparation des quatre voies pour revenir au départ et au rond point de l’avenue Bourguiba. D’emblée je perds bien 10 minutes.
En abordant le large carrefour giratoire me reviennent les recommandations de la veille : « En Tunisie on ne roule pas comme en France. Dans les ronds points la priorité n’a pas lieu. Vous faites un grand signe de la main et vous vous engagez en forçant le passage, les automobilistes s’arrêteront en vous rendant le salut. »
La théorie c’est bien mais voyons la pratique.
Alors vas-y le grand coucou c’est moi que v’là. Et ça marche ! Toutes les voitures s’arrêtent en répondant de grands signes. Je vous aime aussi. Bon y’avait un feu tricolore au vert dans mon sens de circulation, je réalise à l’instant…

J’enquille plein gaz la voie rapide annoncée pour 15 bornes sur la case du road book. Je suis seul, derrière, en retard.
Je pense à Steph qui doit être loin devant. Aussi à ma carte de la Tunisie oubliée dans mon sac en transit pour l’escale du soir. Si je me perds comment ferai-je pour rejoindre l’hôtel ? Si seulement j’avais un GPS. Non, je n’en suis pas à ce point là. Résigné mais pas désespéré. Surtout plus j’y réfléchis et plus je trouve la situation drôle. Se perdre dans un pays inconnu sans savoir où se rendre ne serait-elle pas la sensation la plus déconcertante, la plus dépaysante ? A ce moment je kiffe la bande son grave du LC4 qui recouvre mes pensées tout comme cette couleur ocre jaune qui filtre tout le paysage.

Je ne comprends pas grand chose au déroulé du road book si ce n’est que la sortie doit être juste devant moi. Pour le reste va savoir.  Surtout j’aperçois au loin un groupe de motards. C’est là, c’est sûr ! Faut les suivre pour retrouver Stéphanie. Alors je bifurque sur la bretelle de sortie avec conviction. D’un coup ça glisse de partout.
On nous avait briefé. Le bitume nord tunisien est un marbre poli balayé par le sable et rien qu’en l’effleurant du pied on le perçoit même à l’arrêt. La jonction avec le groupe de devant quasi effectuée, un rond point seulement nous séparant, je lèche le frein avant au cul du camion qui me coupe la route dans le giratoire sans même un coucou. Les us et coutumes viennent rapidement.
C’est quoi ce délire !? Je perds l’avant à 15-20 km/h. Même à faible allure ça part comme sur du verglas. La moto s’incline puis se relève sans résistance et sans bruit, je pense récupérer le train avant durant ¼ de seconde avant qu’il ne m’envoie choir irrémédiablement.
Bordel. De. Merde. Aussi je pense aux leviers de rechange dans le sac avec la carte Michelin.
Bon il ne doit pas y avoir de casse, j’ai juste posé la moto au sol. Coup d’œil au levier d’embrayage et au sélecteur de vitesse en relevant la KTM, ils sont toujours là. Je repars illico et termine l’inspection visuelle de la brêle en dynamique. Objectif, ne pas perdre le groupe de vue, je suis à l’ouest niveau orientation.

Et d’un coup d’un seul je me sens libéré d’un poids. En une demi heure j’ai tout fait. Perdu Stéphanie, raté totalement l’orientation et mis la moto parterre. Y’a un certain level. Presque je suis fier de moi. Ne pas faire les choses à moitié telle est ma devise.
La pression évacuée et les idées claires, désormais c’est grand gaz. Je reviens sur le groupe pas si éloigné. Pas de Stéphanie. Devinant quelques échappés à l’horizon je repars à la recherche de mon acolyte perdue avec espoir. La route tourne gentiment mais je me méfie de l’adhérence dans chaque virage. J’en profite pour observer le paysage qui n’offre aucune particularité remarquable, le relief vallonné est ponctué de vignes, on se croirait dans un Beaujolais ocre jaune.
Plus loin, je bute sur une vision improbable. La silhouette d’une moto qui s’avère de plus près un scooter en duo. Un mirage ? L’équipage se déplace à rythme plus que rapide. Qui sont ces tarés ?
Je continue avec eux jusqu’au prochain ravitaillement même si je n’ai aucune envie de m’arrêter. Ma mission est plus importante. Comment je vais me faire pourrir à l’arrivée. Personne ne devra le savoir.

La pause s’effectue dans une station essence en bordure d’autoroute.
Avec espoir je m’avance vers un motard tunisien :
« - Salut l’ami. T’aurais pas vu la belle blonde par ici?
- … »
D’habitude son allure de mannequin en combinaison cuir intégrale ne passe pas inaperçue.
Je tente une autre approche : « Avec la BMW S1000 RR. »
Là il percute direct. Les motards tunisiens sont fans des motos hypersportives mais visiblement moins des blondes germaniques.
« Ouais elle est repartie depuis un moment, elle est loin devant.»

L’esprit apaisé, une heure de ligne droite plus tard en compagnie de mon nouveau groupe de fortune, je rejoins l’hôtel du soir à Monastir.

A peine la moto garée j’aperçois à une trentaine de mètres Stéphanie sur le parvis de l’hôtel les bras levés dans ma direction.
A cette distance j’interprète difficilement le sens du geste. Les mains levées au ciel pour me maudire ou les bras tendus pour l’accolade? Légèrement penaud je m’avance vers elle.
« Mais qu’est-ce que t’as foutu ? » Me lance t-elle.
« C’était fait exprès pour voir si tu m’attendrais. J’ai la réponse maintenant. »
En vérité je m’excuse platement. Demain on fera ça bien on ne se quittera pas promis juré.

Bourrask:
La promesse
Samedi 28/01/17

Sous les premiers rayons de soleil je remplace la bobine du road book fixé au guidon. Je prendrai plaisir à cette manipulation tous les jours suivants dans cette ambiance d’avant départ si particulière. L’excitation matinale est amplifiée par le ronronnement des motos tunisiennes qui partant une à une égrènent le décompte de notre départ. Elles sont 20, autant de minutes pour se préparer au départ. On est laaargeee.

A notre tour de s’élancer je demande à Stéphanie si c’est bien à droite qu’il faut partir, pour rigoler.
La première case est tronquée, je ne rigole pas tant que ça en fait.

La BM franchit la ligne de départ, une minute après me voilà reparti à ses trousses. Je parcours 500 mètres et l’aperçois rangée sur le bas coté. J’en ai presque la larme à l’œil. Elle m’a attendu.
Je m’arrête à son coté et la découvre penchée sur le Vector fixé au tableau de bord tentant désespérément de le reparamétrer sur le décompte partiel. Et bah merci quand même !
Le mode d’emploi de l’appareil sera assimilé sur le parking du port de Marseille à notre retour soit dit en passant.

On repart et très vite le road book nous envoie à travers la campagne tunisienne. Les routes sont similaires à nos rubans français de prime abord. En plus arides, plus jaunes, plus poussiéreux, et surtout déserts de présence humaine. Quelques kilomètres plus loin nous retrouvons Sylvain arrêté au milieu de la pampa pour tourner la page A4 de son road book affiché sous bagster. Nous ferons la suite du trajet ensemble. Sous un ciel voilé nous poursuivons notre route du jour, parfois la cherchant, d’autres fois la retrouvant au gré de nos rencontres ça et là. C’est l’aventure.

Enfin c’est vite dit. Y’a des flics partout. Et ils n’ont pas les mêmes directives que chez nous. La sécurité routière ici y’en a pas et je ne dirai pas que ça me dérange mais on a rapidement l’impression d’être au Far West.
Au début c’est marrant, on passe à deux fois la vitesse autorisée en adressant de grands coucous aux forces de l’ordre qui neutralisent la route sur notre passage et autant qui nous indiquent la direction à suivre. Ce qui s’avère assez rapidement chiant, il est impossible de se perdre.
Cela dit le trafic routier tunisien s’avère très sécure pour les motards que nous sommes. Globalement la circulation est faible voire absente et les quelques automobilistes rencontrés sont hyper attentifs à toutes ces motos qu’ils ne voient jamais en temps normal. Mais nous ne sommes pas venus pour écraser des gamins dans des villages. Evidemment on remercie l’organisation tunisienne pour toute cette attention et cette délicatesse à notre égard mais nous ne le méritons pas. J’ai l’impression d’être un gros con d’européen, riche, égoiste et sans gêne. Et sans doute est-ce le cas.
Pourtant les Tunisiens ont l’air content de nous voir et tous nous accueillent les bras grands ouverts sans arrière pensée. Alors peut-être que toute cette interprétation européenne d’un peuple que je ne connais pas n’a pas lieu d’être.
NB pour le retour en France : ne pas faire coucou au flic derrière son radar en passant à 240. Il ne te rendra pas le signe pour ton bien.

Tous les trois nous nous perdons sur une piste de terre qu’il ne fallait pas emprunter, premier moment où je me dirais que ça devait être pénible en hypersport et n’aurait plus aucun regret sur mon choix de monture. Au détour du chemin, face à nous un groupe de français en sens inverse de notre route nous affranchit: «C’est pas par là. »

Plus loin quelques gouttes perlent nos visières, la température se rafraichit, le plaisir néanmoins est au rendez-vous. La route s’avère sympa, l’adhérence humide bien meilleure que la veille sur le sec, je commence à me sentir en vacances et à lâcher prise pour de bon avec le quotidien.

Pause au resto de l’étape de midi. Nous sommes les premiers français. On ne s’est pas arrêté sauf pour le plein. Définitivement Sylvain, qui nous a ouvert la route, n’aime pas les arrêts plus que nous, ce qui nous va parfaitement.

Le méchoui avalé on repart sans la pluie. Le ciel se découvre, les rayons d’un franc soleil percent nos cuirs et des kilomètres de lignes droites nous éloignent rapidement des contrées sauvages du nord tunisien. Mais j’aurai mal pour mon mono. Les deux zygotos excités devant moi en 1000 quatre cylindres n’ont pas compris la motorisation qui nous séparait. A 140 je suis déjà au ¾ du régime max, alors à 180 je suis pleine charge, inconscients ! Le LC4 il aura pris cher tout au long du voyage, genre jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien…



Je ne sais plus trop où mais à un moment on a bifurqué sur une route joueuse et exotique. Elle tourne, elle promet, le soleil est radieux. Le dépaysement est total, je me sens définitivement en vacances, loin, ailleurs.

On repart en se greffant à un autre groupe. Ce col de moyenne montagne qui serpente au milieu de reliefs arides jonchés de vestiges comme de bâtisses contemporaines se révèle dès les premiers virages un profond tapis de gravier. Passée une courte hésitation je laisse Stéphanie à son sort. Mais jamais je ne m’inquiète pour la femme bionique. Et ce n’est pas une considération de genre. Elle est la personne la plus forte, incassable, acharnée que je connaisse. Et puis merde elle ne m’a pas attendu le premier jour.
Surtout j’ai un truc à vérifier qui me brûle l’esprit et les os, là, maintenant, tout de suite. Sur cette route tout revient. A l’accélération la roue arrière patine, en sortie de virages ce sont les deux roues qui se retrouvent en dérive. J’ai retrouvé mon Mojo !



Je croyais l’avoir perdu dans les Pyrénées espagnoles deux ans auparavant. Plusieurs fois j’ai hésité à retourner là bas chercher ce que j’avais abandonné et même si j’ai retrouvé sa trace l’été dernier en terres cévenoles je ne pensais pas le dénicher si loin. Alléluia j’ai retrouvé la foi !
Cette brêle elle est trop bien ! C’est ce que je me dis aussi en pensant au V4 pour lequel je l’avais délaissée. Je kiffe l’instant, la moto, la lumière, le paysage et ce putain de Mojo!





Copain, copine retrouvés plus loin on repart aussitôt. Il faut que je vérifie si tout n’est que mirage.
Rien à péter du road book, j’ai enfin pris mes marques sur la lecture du dérouleur, de toute façon c’est tout droit comme d’habitude jusqu’au prochain point de passage fliqué. La route pas aussi sinueuse que mes espérances c’est de l’enduro routier qui s’annonce avec bouches d’égout sans plaque de fonte à répétition, dépressions et dos d’ânes incessants, gravier en veux tu en voilà à chaque instant. Trop marrant!

Quelques kilomètres après, arrêtés au rond point derrière moi, Sylvain et Stéphanie discute du RB et de la direction à suivre alors que je suis engagé sur la bonne voie. La confiance perdue… L’orientation c’est moi d’habitude. OK j’ai pas pris la carte Michelin mais bordel j’ai retrouvé le Mojo !

Avant de terminer l’étape du jour nous effectuons un dernier ravitaillement en essence. Un petit gars de 10 ans à peine vient à ma rencontre devant la pompe à essence.
« Tu es Français ! D’où viens-tu ? »
« De Lyon. »
« OK. Non mais tu étais où hier ? »
« A Monastir. On a prit le bateau à Marseille et on est arrivé à Tunis avant hier. Ce soir on va à Douz.»
« Super ! Je suis content et je te souhaite la bienvenue en Tunisie. »
Je suis touché, je n’arrive pas à imaginer une situation semblable dans notre pays, celui des droits de l’Homme…Et tous les Tunisiens semblent aussi sincères que ce petit garçon.

Des kilomètres de lignes droites pour finir, le Chott El Jerid à la tombée du jour, une lumière ciselée comme fil d’Ariane et nous regagnons l’hôtel de Douz à la nuit tombée.





Ce soir je vais enfin pouvoir dormir cette nuit. Fais péter le Sky !

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