L'Aprilia vient de passer les 86000 kilomètres. L'Aprilia elle fait peur à Ginger, elle fait peur à mon père, elle fait peur à mes potes. Mais moi j'y vois entre les creux du carénage, les reliefs de la selle, les colonnes d'Hercule des tubes de fourche , ouais j'y vois les vestiges d'un monde qui s'est fait fait la malle.
La vitesse a provoqué une gigantesque érosion, les pluies de ma sueur, de mes larmes et mon sang mêlés, malgré eux, au cambouis, ont lavé, crevassé sa peau et la mienne, des cicatrices sismiques de part et d'autres desquelles deux continents s'entrechoquent : Celui des vivants, où nous faisons bien trop de bruit,où les condés nous assaillent et finiront par nous foutre chez le ferrailleur ou en tôle, les fers aux pieds; puis celui des morts, où la force finira par nous manquer si nous livrons bataille, à tous les djinns et les fantômes, les ectoplasmes et les Gog et Magog, frère, il fait trop nuit là bas pour qu'on circule assez vite, et puis trop jour ici pour qu'on mette pied à terre dans les nids de guêpes. Je roule un peu avant l'aurore, un peu avant la nuit et tous les visages me toisent, émerveillés, interloqués, la mâchoire serrée, ou un rictus de violence dessiné sur les lèvres, ouais échapper à la mort c'est pas tout rose.
La moto m'arrache ma force et ma verve, les batards dehors veulent toujours m'arracher le cœur, et les couilles, mais ça marche pas comme ça, le temps que tu lises cette phrase je dépasse les 245 km/h, qu'est ce tu dis de ça?