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SugarMc Coy

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889.587
« le: 17 mars, 2014, 21:31:53 21:31 »

(J'ai les mains froides. Il fait pourtant si bon, mais j'ai froid partout.
J'ai froid, froid à l'intérieur. Tellement froid que tout le semble bouillant.)


La moto traçait entre les files de voitures, à plus de 245 km/h. Les doigts protégés derrière les épais gants en cuir papillonnant sur les commandes, à gauche l'index à l'annulaire sur le levier d'embrayage, le majeur et le l'index droits sur le frein avant, les plis de la paume recroquevillés sur la poignée de gaz.
Pleine lune d'hiver, aux traits tirés.
A la merci de la moindre inattention de la dizaine d'automobilistes qu'il dépassait à la seconde.
Il n'entendait plus le moteur.
Il allait trop vite.
Il entendait seulement le bruit du vent, recouvert par le BOOMBOOM de son cœur,.
Son cœur gorgé d'adrénaline, les ventricules frénétiques et les valvules clapotantes injectant dans ses artères une solution de globules rouges, de plasma sanguin et d'adrénaline.
Ses poils s'étaient hérissés, un vieux réflexe animal pour effrayer l'ennemi, ses pupilles encore plus par la nuit étaient dilatées et noires d'effroi.
La moto frôlait les carlingues métalliques des véhicules.
Les gens le voyaient à peine passer mais l'entendaient très bien. Dans le vernis du réservoir de la moto se reflétaient les spots lumineux d'une banlieue malade. Lampadaires à sodium.
Néons de sex-shops aguicheurs.
Phares d'automobiles, et le bleu, ce bleu iridium des gyrophares.


(J'ai froid partout.)


Son délit de fuite avait dépassé les cinq premières minutes sans le moindre mot ni la moindre pensée dans sa tête.
En refusant l'autorité du système, il s'était mis hors la loi, et comme s'il s'agissait d'une loi au sens physique, il avait douté qu'il pusse tenir sur ses roues malgré la peur. Lorsqu'on franchit certaines barrières, il ne reste plus qu'à prier dans sa propre chapelle et à s'en remettre à ses propres vertus.
Il récitait là psaume sur psaume.
Il fuyait maintenant depuis vingt minutes.
La voie rapide n'en finissait pas.
Aucune sortie.
Les motards étaient lâchés et à grands coups de sirènes fondaient maintenant sur lui, écartant la mer rouge des voitures et des camionnettes.


(Froid, froid à l'intérieur)


Il était obligé de frôler le rail de sécurité, en doublant par l’extrême gauche, il le voyait à peine, dans un coin de son champ de vision.
La guillotine qu'ils appelaient ça.
Il perdait du temps.
La moto italienne devait zigzaguer entre des plots quasi statiques, les flics traçaient presque tout droit.
Les cuisses serrées contre les poutres du cadre.
Les reins et les boyaux digérant à grands acides son repas de l’après midi.
Il était en totale prise avec sa machine.
Sa fuite en avant ressemblait à une chute libre.
Libre.

Le bicylindre belliqueux barbarisait la scène par ses décibels qui s'écrasaient sur l'asphalte.
Reniflant par son injection.
L'air dense et cryogénique du mois de Décembre.
Sa colonne vertébrale était comprimée et bombardée de stimuli
A chaque prise d'angle elle se torsadait et vibrait au rythme des impulsions électriques.
Il avait fait le plein récemment, mais à ce rythme il ne tiendrait guère plus d'une heure.
En fait sûrement moins.
Il dépassa un ahuri dans un break Citroen, qui crut voir un spectre fendre la nuit.
Il n'était pas comme ces gens là,.
Il ne le serait jamais
Ils étaient deux races qui cohabitaient.
La nuit semblait de plus en plus noire.
Les lampadaires se raréfiaient les voitures aussi.
Après un dernier caillot de caisseux, il s'extirpa d'un seul élan du flot de la circulation.
Il vissa la poignée contre sa butée et la moto parcourut instantanément plusieurs décamètres, 238 242 249 255 262 km/h.
Blotti contre sa machine.
Pétrifié de froid.
Le corps encore résistant à cause des volts de sa tension artérielle.
On perd un degré tous les 10 kilomètres/heure.
275 maintenant.
Les phares éteints.
A vive allure.
L'air glacial.
Tétanique.
Frénétique.
Entre le bas du ciel souillé.
Gris des usines.
Et le haut du sol.
Entartré d'azote
De carbone.
Il n'était qu'un effronté.
Un torse nu.
Sans couche d'ozone.
Une tête brûlée sans sueurs froides.
Avec une foi inaliénable en son amas d'acier D'aluminium.
De plastiques.
Il ne lui restait que ça, sa foi.
Et sa vitesse.
Sa vitesse.


(Tellement froid que tout me semble bouillant.)


Lui le général qui avait à genoux assisté à l’exécution de tout son bataillon, ils voulaient le cueillir enfin l'attraper, enfin briser le mythe à grands coups de matraque.
Mais pas ce soir.
Son cuir tanné par la vitesse était parcheminé, filigrané tatoué des éclaboussures de sa gloire défunte.
Armure désuète contre le froid polaire qui l'assaillait.
Carapace de peau dernier rempart, dernier donjon de la vie.

Toutes ces plaies, toutes ces fuites toutes ces pertes.
Toutes ces balafres ces hématomes ces cratères sur la peau.
Tous ces mots, des coups de clés, ces adoubements.
La poitrine gonflée d'orgueil rendait impossible quelconque mise sous pression
Plusieurs décamètres par fractions de minutes.


(Les mains froides.)


Le béton gris des années 90 était devenu le béton gris craquelé des années 2000.
Les zones industrielles mutilantes et leurs parkings vides éclairés la nuit.
Les nouvelles maisons par dessus les anciennes.
Le goudron qui luit gorgé de gasoil.
Les chutes les accidents.
Les fractures les rééducations, tout ça pour ne rien retenir.
Il n'avait rien retenu, il recommençait à chaque fois.


(Tout me semble bouillant.)


Il était nourri d'un nectar de jeunesse, qui ne le quitterait jamais. Le dragon de la vitesse est gigantesque, destructeur, homicide.
Le dragon de la vitesse te porte très haut, te fait descendre avec fracas.


BOUILLANT.


La moto arrivait en ville, avec une belle avance. Sans sourciller il avala la grande avenue.
Il avait ralenti.
Roulait à plus de 200.
Les façades semblaient plier.
Se recourber jusqu'à se rejoindre.
Toit contre toit.
Tuiles contre tuiles.
Les voitures garées défilaient à droite et à gauche.
Les rues étaient désertes.
Les fenêtres éteintes aux carreaux vibrant au son de l'échappement laissaient la ville frémir au son d'une terrifique délinquance.
Les pneus chaud adhéraient malgré eux sur plaques d'égouts, passage cloutés.
Ne pas faire d'erreur, ne pas s’arrêter.

L'ivresse de la puissance.
Trouer la nuit cristalline sur une machine brûlante.
Un machine qui sort des Enfers.
Être insaisissable, inarretable, incontrôlable.
Il était à son exacte place, le boulon sans vis dans le carter de la machine.
Le cailloux dans la botte en cuir du pèlerin furieux.

La moto accéléra sur son quatrième rapport, d'immeubles en façades, de creux en relief, l'écho résonnait encore et encore sur la ville déjà somnolente.
Sans autre lumière que celle des yeux de son pilote, ce soir là, un bolide aux roues d’airain traversa un nid d’êtres humains.
La moto rouge à lèvres, sous une nuit bleu de Chanel.
Un son caverneux, la caverne de Platon, l'esclave qui fuit ses pairs et ses paires de menottes dans les vapeurs de sans plomb.


(J'ai froid j'ai tant froid, il semble faire si bon.
Il fait en fait si froid.)

Au ras du bitume, au niveau zéro, sur l'accotement on pouvait voir un spectacle exceptionnel.
En pleine chute libre, une chute horizontale, cramponné à sa machine.
Le pilote palpitant et percutant, la résistance battant et palpant tête épaules et cuir épais.
La main droite toujours en prise directe avec l'accélérateur, il effectua une rotation.
Regardant loin, loin en arrière.
Les derniers éclats bleus se perdaient dans le plexiglas de sa visière.
Le cuir ajusté plus que jamais écorché les nappes d'oxygène.
Un instant le temps se figea.
L'espace d'une seconde le parnasse se mêla à la terreur.
Noir pilote noir mat sur moto sang sous nuit obscure.
Ciel étoilé constellé, pilote armé congelé.
Parfaite constitution d'un amas d'oxymores.


(Mort, mort de froid)


Personne ne vit ce soir là la liberté d'un homme sellée sur les flancs d'une machine charnelle, un soldat porté aux nues par sa Walkyrie manufacturée.
Personne ne saisit le baroque d'une scène, un homme aux mains gantées de cuir épais, un homme aux mains gelées, tellement gelées qu'il était sans doute déjà mort, des mains aux dernières phalanges sanguinolentes, d'avoir retenu du bout des doigts une existence inlassablement fuyante.


Fuyante comme lui.




Mathieu Pianetti 2013
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Les Colibris des arbres à cames  https://www.youtube.com/watch?v=Jpn7ttxU2eo

Le bouquin qui transforme les profs de français en profs d'EPS

Bestof

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Re : 889.587
« Réponse #1 le: 17 mars, 2014, 21:48:55 21:48 »

t as fumé quoi !!?

 O0







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« Modifié: 18 mars, 2014, 07:59:04 07:59 par Bestof »
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gizmo69

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Re : 889.587
« Réponse #2 le: 17 mars, 2014, 23:39:49 23:39 »

Moi j'aime bien ! ^-^

Par contre, déchiffre moi le code stp, c'est quoi? Une ref de pièce??
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Claude01

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Re : 889.587
« Réponse #3 le: 18 mars, 2014, 07:29:03 07:29 »

Belle plume Mathieu !
J'ai beaucoup aimé et vais profiter de ma journée (à l'horizontal, crise de ciatique) pour découvrir tes autres écrits, pour peu que je les découvre sur le net.
Vais je trouver toute ton "oeuvre" sur Short-edition ?

Je pense meme prendre le temps de decomposer tes poèmes  ???

Merci pour nous donner autre chose à lire, ça m'amène à me remémorer certain texte dans Café Racer ?
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V57

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Re : 889.587
« Réponse #4 le: 18 mars, 2014, 07:51:51 07:51 »

Un peu de littérature avec la moto comme trame prix principale, je dis ouiii!
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gizmo69

  • Invité
Re : 889.587
« Réponse #5 le: 18 mars, 2014, 08:16:49 08:16 »

Bon, et la suite, elle arrive quand ?

Moi j'ai vraiment adoré !
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filbri13

  • Invité
Re : 889.587
« Réponse #6 le: 22 mars, 2014, 06:03:17 06:03 »

je plussoie  :) :)  t'as la prose un tantinet triste Sugar Mac , j'essaye d'imaginer être ce pov motard congelé , brrrrrr,  ...rien ne résiste au froid , quand bien même le mélange adrénaline et peur augmente nos acuités ...
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Math

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Re : 889.587
« Réponse #7 le: 22 mars, 2014, 07:34:25 07:34 »

Merci, je me suis régalé!
J'aime beaucoup le rythme et je suis entré dans ton histoire.
Sympa tes références ;)
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brunofalco27

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Re : 889.587
« Réponse #8 le: 23 mars, 2014, 23:11:08 23:11 »

Vraiment bien a lire on s’imagine les scènes .Bravo ! ^-^ 
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Pilou

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Re : 889.587
« Réponse #9 le: 24 mars, 2014, 09:23:10 09:23 »

Il a des trucs sympa à lire et à voir par ici le Mathieu
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ledext

  • Invité
Re : 889.587
« Réponse #10 le: 24 mars, 2014, 12:32:59 12:32 »

Toujours aussi bon à lire.
Merci de nous régaler.
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Jeager

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Re : 889.587
« Réponse #11 le: 24 mars, 2014, 19:00:49 19:00 »

Tres beau récit :)
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