Aprilia-v60

Roulage => Route => Discussion démarrée par: Bourrask le 25 janvier, 2019, 21:18:39 21:18

Titre: Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal
Posté par: Bourrask le 25 janvier, 2019, 21:18:39 21:18
Réactivation

Allez je me lance.
Le récit qui va suivre je l’ai déjà posté sur un autre forum très restreint et sous une forme un peu différente. En mémoire des sorties V60 «01,38,73,74», je me sentais obligé de le partager ici puisque notre petite aventure est 100 % Aprilia ;).


Sacré Graal

La quête du Graal fût entamée il y a quelques années déjà.
Tout juste conscientisée elle me conduisit d’abord à travers les Alpes au cours de quatre campagnes alpines successives menées vers l’Est, vers l’Autriche. Puis cette recherche désespérée me ramena au Sud sur les terres cévenoles à l’endroit même où apparurent jadis les premières visions du mythe. Les années passant la carte méridionale française explorée, c’est de l’autre coté de la frontière des Pyrénées que la réponse tant convoitée se révéla enfin.

Le Graal existait.

Ainsi après dix années d’errance, la récompense consommée, la quête prit fin.
Jusqu’à un certain soir du mois de Mai.
Biké fût l’élément déclencheur de la réactivation du Graal, de notre trip dans les Pyrénées. Enfin c’est ce que l’on lui fit croire…
Désormais le V4 a supplanté le V60. Les temps changent, le mythe perdure.



Flashback



Fight Club

Fin mai.
Hôtel La Patache, la voie de stands de la Corniche des Cévennes. Le terme de notre week-end prolongé est proche, trois journées sur quatre sont accomplies, surtout c’est notre dernière soirée en terrasse sous le ciel cévenole étoilé. Plusieurs tournées de poire ingurgitées, la dernière devant nous, Biké nous lance :
« Et si on remettait ça ? »
Ouais mais ailleurs, plus loin, plus longtemps. Mon instinct se réveille.

Jean m’avait parlé des Pyrénées françaises, de son envie de relier la Méditerranée à l'Atlantique « tout par la montagne ». Moi cela faisait trois ans que je rêvais de retourner rouler sur ce spot incroyable là bas de l'autre coté de la frontière en face de Perpignan. Et puis tous les échos étaient unanimes, les Pyrénées espagnoles étaient décrites comme le Saint Graal de la moto. Il fallait vérifier cette légende pour de bon, voir de nos propres yeux.

Alors banco pour les Pyrénées ! La France à l'aller, l'Espagne au retour.
« C'est ton idée Biké, t'es obligé de venir ! Croix de bois, croix de fer.»

Alors nous nous préparâmes.
Jean et moi surtout. Biké lui n'eut pas cette chance. Sa chute en Espagne début juin le contraignit au repos pour quelques semaines (ainsi dit ça fait genre…La cruelle vérité est tout autre. En route pour rejoindre Barcelone et le spectacle de Moto GP son élan fût stoppé net sur une plaque de gravier à hauteur du Puy en Velay. C’est sûr que c’est moins classe que Barcelone).
Moi il me fallait juste deux inconscients pour cette aventure.
Jean m'avait deviné bien entendu, Biké un peu moins. Pourtant la logistique fut étudiée avant le périple.

« On part en Supercorsa raides neufs et on remplacera à mi chemin avec rendez vous préalable. »
« Et les pneus pluie ? »
Gros fous rires de débiles, pas si inconscients que ça, quand nous discutâmes chez Jean.

Au final nous convînmes d’une aventure réfléchie et de partir avec des gommes susceptibles de réaliser le trip en entier. Du Rosso 3 à priori.
Deux trips dans les Alpes au mois de juillet et deux trois petites sorties pour valider mon choix. Hors de question de partir avec des pneus que je ne connais pas pour une telle aventure.
Dix jours avant le départ. Allo Max.
Le Rosso 3 est en rupture de stock, reste que du Supercorsa ou du Rosso Corsa.
Va pour le Rosso Corsa, c'est ce que j’utilise habituellement.
J’étudie mes stats, 2500/3000 avec de tels pneus ça devrait le faire sur un mal entendu. Si on fait un peu moins de bornes que prévu peut-être même qu’ils m’emmèneront jusqu'au bout…Et puis on roulera chargé et moins excité que dans les Cévennes. Bref je veux y croire.
Avec le recul et en écrivant cette analyse je pourrais la résumer ainsi: LOL.

Entre temps nous modifiâmes le programme de la semaine. Au départ nous devions traverser les Pyrénées en deux fois deux jours, une première manche coté français, la deuxième côté espagnol.
Finalement nous ferons deux boucles à cheval sur la frontière et deux journées marathon de liaison entre chaque. Une solution plus favorable à la logistique hôtelière et à l'intensité générale du trip aussi. Surtout nous pourrons rouler deux jours sans bagage.

J'envoie ce schéma explicatif à Jean qui lui est en charge de la logistique hôtelière.
On a pas pris beaucoup de photos alors tous les moyens sont bons pour illustrer le CR.

(https://nsa40.casimages.com/img/2019/01/25/mini_190125083924263750.jpg) (https://www.casimages.com/i/190125083924263750.jpg.html)




J1 - Sur la Route

10h, pompes à essence du Carrefour de Givors. Enfin le voilà ce jour tant attendu !

Mes deux compères sont équipés ultra light niveau bagagerie. Je suis bluffé.
Jean roule avec le dernier Tuono Factory de la production. Biké lui a récupéré son V4 APRC 2012 réparé quelques jours avant le départ seulement et n’a pas roulé depuis ses cotes cassées deux mois auparavant. Moi j’ai le V4 R full black sans APRC, ni GPS, ni dieu. Et le gros sac sur la selle de prime abord sujet aux moqueries mais qui en a sauvé plus d'un. Enfin ça on verra plus tard.

Comme pour les Cévennes Biké nous fait le coup de la panne d'avant départ. Cette fois ci c'est une histoire de clignotant, vite réglée par Jean.
« Tu veux pas aller acheter une batterie à l'Hyper aussi? »
On rigole d’emblée et on en profite pour prévenir Biké qu'on lui laisse la matinée pour retrouver ses marques. Après rien n'est garanti. L’esprit motard, la convivialité, toussa.

Et la Tuono Cup pyrénéenne est lancée.

Direction Le Vigan pour l'étape du soir en passant par le Pilat, le Mont Gerbier de Jonc, l'Ardèche et les Cévennes. Du classique qui nous mènera aux limites de notre rayon d'action habituel. Je modifie un peu l'itinéraire du jour (ainsi je précise avoir diffusé tous les RB de la semaine à l'avance, personne n'a été pris en traître, qu’est-ce qu’on y peut si y'en a un qui n'a rien regardé !), en ne passant que par des routes + et des ++.
Alors ouais j'en suis conscient ça fait un peu psycho mais j'annote mes cartes Michelin. Stabiloté l'itinéraire déjà est bien. Après je qualifie certaines portions d'un +, double + voire triple+ suivant le niveau de gavage. Le quadruple + ce sera pour l’Espagne.

Pause déjeuner à Saint Agrève.
Déjà j’ai l'impression que nous sommes en retard sur le planning. On s'en fout c'est le premier jour, il faut que la mécanique se mette en place. Aussi Biké m’interroge sur le timing et l'horaire d'arrivée à l'hôtel du soir.
« Tout se passera bien, t'inquiète pas ! »

Après maints détours et itinéraires bis, vers 18h sur la route du Mont Aigoual, Jean passera un coup de fil à l'hôtel pour prévenir de notre heure d'arrivée approximative.
Les étapes hôtelières c'est pas comme le camping, tu peux rouler jusqu'à la nuit sans te soucier de monter le bivouac, alors on en profite jusqu'aux dernières lueurs du jour.

Nous gagnons Le Vigan et son gîte sur les coups de 20h, de nombreux spots locaux effectués. Comme nous le ferons souvent par la suite (tous les jours ?), nous jetons armes et bagages, ici dans nos chambres monacales de 6 m2, pour une douche bien méritée avant l'apéro et le dîner.

Ce soir, déjà, nous évoquons l'idée d’ériger une pierre tombale en l'honneur de Biké : « Ci-gît Biké, mort au combat pour la cause». Mais il ressuscitera chaque jour et mourra autant de fois.

Rassasiés nous quittons le restaurant en quête d’un bar et de digestifs, en vain.
23h30 tout est fermé dans cette petite ville traversée seulement par le chemin de Compostelle. Alors nous nous résignons à regagner notre hôtel dépourvu de bar.

« C'est un cas de force majeur j'en suis sur! »

Il n’en faut pas plus pour ouvrir le sac magique et taper dans les éléments de premiers secours.
J'ai emporté une flasque de whisky. Et si l'on devait écrire un manuel du road trip moto ce serait l'élément premier à prévoir. C’est tout simplement indispensable. Tu peux tomber en panne d'essence, crever un pneu, casser une levier, péter le moteur, tout ce que tu veux… mais si t'as pas ça t'es vraiment mal!

La première journée, la plus importante, est accomplie avec succès. Pas de problème, pas de panne.
Demain le trip commencera pour de vrai.




J2 - American Psycho

9h. Prêts à décoller je remarque la présence d'un liquide sur le sabot du Tuono de Biké et la lui signale.
« C'est une fuite d'huile, je suis mal !!! » Quel acteur ce Biké.
« Laisse tomber, la flasque on l'a vidée hier. »
C'est mauvais signe de taper dans les réserves le premier jour aussi.

Juste ça suinte, avec une vraie fuite il y aurait une flaque sous la moto ; en fait il nous prend pour des baltringues.
Biké est véritablement prêt à tout pour se tirer du guêpier dans lequel il s'est fourré. Se lever la nuit pour simuler une panne ne lui fait pas peur. Heureusement Jean identifie très vite sa fourberie et règle le problème de la durite du radiateur d'huile mal serrée aussi sec.
Dans notre joyeux trio les rôles sont répartis, Jean gère la mécanique et la logistique, moi la navigation et l'ouverture, Biké, lui, paie. Et il paie tout !

« T'as pas le choix Biké, c’était TON idée les Pyrénées! »

Ainsi on décolle avec une demi heure de retard mine de rien. Hier c’était une petite journée de 400 bornes et nous étions partis tard (en fait 450, ai-je déjà avoué mon enclin pour les détours et diverses prolongations?) donc je ne pouvais pas évaluer objectivement notre rythme et notre heure d'arrivée. En vérité on aura laissé tomber d'emblée le rythme « tout à toc » des Cévennes pour encaisser physiquement les sept jours à venir. C'était seulement à toc dans les virages et tranquille ailleurs. Bon y'avait pas grand chose d’autre que du virage quand j'y repense…
Bref aujourd’hui c'est la dernière petite étape test de 400 km, celle où je dois me rendre compte si les kilométrages des RB prévus sont réalisables sans arriver à point d’heure ou complétement déconnants. A partir du lendemain on attaquera les 500 bornes de virages de montagne journaliers. Je ne suis pas complètement inconscient! Je ne pense pas à la liste des courses en roulant moi (conasse!), quand même à deux trois trucs.
J'essaie de ne rien laisser transparaitre même si je ressens une légère pression monter en moi amplifiée par les doutes exprimés par Biké.

Jusqu'ici tout va bien. L'important ce n’est pas la chute mais l'atterrissage, enfin tu connais.
Une précision. J'aime reprendre les choses là où je les ai laissées. Donc on va filer en Espagne reprendre l'histoire au point précis où je l'avais l'abandonnée trois ans auparavant mais on va aussi et surtout la relire à partir des Cévennes, depuis Lodève et sa boucle magique découverte avec Jean et Stéphanie ; personne n'y échappera !


Right here, right now !

On démarre par les cirques de Navacelles, ensuite le plateau avant la descente boisée sur Lodève et sa remontée de course de cote incroyable, puis la boucle à l'étroit bitume parfait tout en enchainements de pif, paf, doubles gauches, triples droits, tout ce que tu veux, tout est possible, c'est comme chez Hassen Cehef !

https://youtu.be/7fV7_jM97RA

Bon je ne vais pas en écrire des kilomètres ce fût ainsi durant tout le trip, gavage constant!

Une durée indéterminée plus loin nous quittons les Cévennes pour quelques encablures moins extrémistes mais tout aussi joueuses. Comprendre un tracé plus large et une vitesse idoine. J'atteins la dernière réminiscence qui me sépare de mon Graal espagnol, le col qui descend sur Lézignan-Corbières. Après je ne me rappelle plus la route. Mais là au sommet je me souviens qu’on voit la mer au loin, très loin, imbriquée dans l'horizon aux reliefs décroissants.
Bon les gars tout va aller très vite.
Je pointe un index insistant vers le bleu lointain (quand même pas le droit, je ne sais plus).
Z'avez-vu ?
J'insiste.
Jean voit. Biké je ne sais pas. Au mieux il se souviendra avoir ralenti sur un sommet.
C'était la Méditerranée.
Et on ne la verra pas de plus près, nous devons regagner la montagne. Alors gaz ! On est pas venu pour le tourisme.
Tout du long Jean et Biké en ont rigolé. Mais je suis bien conscient d’avoir joué maintes fois le psycho boy en mode « on s’arrête uniquement pour remplir les réservoirs ».

Passé ce bref interlude, de nouveaux reliefs nous font face, la montagne est là, les petites routes également. Gavage forever ! On ne l'avait pas trop quitté pourtant.

Dernier col en montée depuis une petite ville avant Ax-Les-Thermes notre étape pour deux jours, un gugus en roadster japonais quelconque nous tend la perche (à part KTM et Aprilia je n'entrave rien. Ce n'est pas pour faire genre... Je n’y connais pas grand chose aux motos en vérité), comme on est très joueur on le suit. Et je le regrette immédiatement.
Au premier droit serré le local se retrouve sur la voie d'en face, ses chaussettes bleu ciel droites dans ses Air Max.
Et si le mec se met parterre ? Je suis débile d'avoir joué avec cet énergumène qui se retourne sans cesse pour savoir où je suis, le pouce levé de satisfaction. Bah toi t'es encore plus con que moi je ne te félicite pas !
Nos directions n’étant pas les mêmes, avec soulagement, nous finirons par tourner à gauche pour une dernière descente sur Ax accompagnés de quelques gouttes de pluie.
Perdus, le GPS de Jean nous conduira en ville sur des voies improbables. Nous ne serions sans doute jamais arrivé à destination sans le GPS, mais ma carte Michelin ne m'aurait jamais fait ça !

18h55. Fait incroyable nous sommes en avance.
Alors Biké en profite pour laisser tomber à l'arrêt sa moto devant la porte de notre garage dédié.
Une fois les dégâts insignifiants établis on s'est bien foutu de sa gueule, pas d’inquiétude !

Jetage de bagages. Douche. Triple apéro. Restau. Digeo. Dodo. On verra pour le casino.

Demain ce sera la conquête du Graal épisode 1.
Titre: Re : Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal
Posté par: Pilou le 26 janvier, 2019, 13:11:43 13:11
Exellent, merci pour le retour
Titre: Re : Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal
Posté par: Bourrask le 27 janvier, 2019, 15:08:18 15:08
J3 - Paradise City


Ce matin nous décollons à 9h15. Le programme de la journée est ambitieux et l'itinéraire doit nous conduire en premier lieu à Andorre dont la traversée est longue et ennuyeuse d'après mes souvenirs.
Avec ce départ matinal nous gagnerons un peu d’avance.

Une vingtaine de kilomètres après Ax-les-Thermes nous remontons sur une file de voitures processionnaires à l'arrêt. Le ruban serpente le long de la montagne sur 3 ou 4 kilomètres et disparait de notre champ de vision sur sa crête de manière presque incroyable.
Devant nous une voiture manœuvre pour s'extraire de l'emprise communautaire et réaliser ce qui me semble la réaction d'esprit la plus saine : le demi-tour. Pourtant le passage par Andorre nous est incontournable, alors nous remontons rapidement l'interminable file de bagnoles engluées dans la chaleur et les gaz d'échappement. Leurs occupants gagneront les portes du sacro saint temple de la consommation détaxée d’ici deux ou trois heures au mieux.
A la demande de Biké nous nous arrêtons néanmoins dans ce gigantesque centre commercial enclavé au creux des montagnes pour acheter de l'huile moteur.

10h55.
Avant de renfiler les casques, Biké m'interroge :
« 500 km en partant à 11h, comment on va faire ? T'avais prévu le coup ? Faudrait pas raccourcir ?»
« T'inquiète pas, tout est sous contrôle.» Et puis là techniquement il ne reste que 450 bornes.

On peut le faire. Et on va le faire ! Hors de question de rebrousser chemin si près du but. C'est pas le Dakar non plus et l'hôtel nous attend pour le soir. Evidemment je ne lui dis pas que la fois précédente, il y a trois ans, on était rentré à minuit au camping au terme de cette même boucle. On était parti beaucoup plus tard, on avait eu une galère d'éclairage et on s'était perdu. On ne s'était pas arrêté pour manger aussi… J’estime notre retour à 21h maxi avec les pauses.

« Allez Biké, à 20h on sera à l'hôtel pour l'apéro !» Il faut savoir motiver les troupes.

Contact, moteur. Je regarde l'heure sur le tableau de bord : 11h05.
Bordel on a déjà perdu 10 minutes !! Je pressens que cette histoire va être un sacré contre la montre.

Nous reprenons notre route par une deux fois deux voies. J'espère faire le plein juste avant de quitter la province, mais je rate la dernière station. Dans ce paysage il n'y a que ça des pompes à essence... C'est pas grave on verra plus loin.
Rien.
La frontière espagnole franchie, les routes sont désertes, le contraste avec Andorre est saisissant. Pourtant il faudra ravitailler impérativement pour s'engager sur les cols désertiques plus très loin désormais. J'attends la dernière petite ville située sur la carte juste avant la bifurcation convoitée, avant l'éventuel coup du demi tour. Et miracle, une station se présente à nous tel un mirage.

«Tu vois Biké tout est sous contrôle ! Tout est prévu et planifié à l'avance.»

Maintenant de la route 4+ nous attend.

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Le Graal.

Ce n'est pas un simple un col ou une superbe route de 20 ou 30 km. Là c'est 130 bornes d'affilées, une route déserte qui traverse 2 hameaux et une petite ville au milieu de reliefs variés, une circulation quasi nulle, un bitume parfait et ? ET pas une ligne droite.
Magique, la route va crescendo.
Ca commence par un tracé à flanc de montagne hyper étroit où l'on se croit très vite comme sur une route fermée. La végétation est aride, le trafic nul. Ne pas oublier qu'on est (hypothétiquement) pas tout seul alors il faut bien rester sur ses gardes, tous les sens en éveil. L'erreur ici est impardonnable.
Passée la crête de la montagne la route devient dans son deuxième tiers extra large, tout en enchainements et épingles dignes d'un circuit, c'est la redescente sur Berga. 80 bornes cumulés.
Le dernier tiers, Berga – Ripoll, en apothéose. Jusqu'ici y'avait quand même deux ou trois très courts bouts de droit c'est vrai. Là cela n'existe plus. 45 km d'enchainements de virages parfois totalement improbables dans un relief vallonné dessiné uniquement de cuvettes et de remontées incessantes sans âme qui vive. Un truc de déglingo !

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Sur les coups de 14h le Graal consommé jusqu’à la lie nous marquons l'arrêt dans un resto.
On remarque de suite qu’on est toujours en Espagne. La patronne fait le tour de la bâtisse pour nous accueillir sur le parking et nous conduire à la salle de restauration climatisée, ici il fait trop chaud pour déjeuner en terrasse.
La serveuse nous explique le menu dans sa langue à laquelle nous n'entendons rien. Pour je ne sais quelle raison Jean et Biké m'ont désigné comme traducteur. Cette putain de blague !
J’ai tout simplement refusé d’apprendre cette langue au lycée, et jeune je pouvais être encore plus buté qu'aujourd’hui. J'écrivais en français et je rajoutais des « a » à tous les mots, c'était a-b-u-s-é !
Ces lointains souvenirs rejaillissent de ma mémoire à cet instant précis, en même temps que deux trois notions d'Espagnol finalement…

« Tu n'as rien compris à ce que je viens de te dire ? » m'interroge la serveuse à la fin de son explication.
« Oui !!! » Cette sentence est peut-être la seule que j'entends clairement.
On choisira le plat « muy a gusto » selon elle et on oubliera un peu la montre le temps du déjeuner.

L'horloge sur le tableau de bord du Tuono ne s'est pas arrêtée elle. Il faut repartir vers notre chère patrie, le Prats de Mollo, Amélie-les-Bains, où nous abandonnerons la route à chèvre qui traverse au plus court le relief nous séparant de notre destination pour 20 bornes infernales jusqu'à la prochaine option désirable. Dans la chaleur et la circulation intense (habitués depuis trois jours aux routes désertes, la présence d'autres véhicules nous révulse littéralement), ce chemin de croix nous paraît interminable.
Proches de Perpignan, nous nous engageons sur une petite départementale perdue qui devrait nous redonner le sourire. C'était sans compter sur cette satanée bagnole derrière laquelle nous resterons bloqués pendant 10 bornes. Dans certaines situations même la cavalerie n'est d’aucun secours…Enfin une ouverture se présente à nous avec un bout de droit, et quatre motards nous font signe en sens inverse. Je les ai maudit. Dix bornes qu’on avait croisé personne !
Le champ enfin libre nous gazons promptement vers un « je ne sais trop où », une halte qui devra avoir lieu au plus vite pour se réhydrater. Il doit être 17h.

18h. Go pour notre chez nous.
La N116 sans passer par le petit col prévu au RB retour pour éviter Andorre. Le temps de rejoindre Font Romeu la route menant à l'American Way of Life devrait être déserte. Les bouchons c'est 9h/18h, après c'est la lobotomie télévisuelle sur écran plat 4x3 acheté en zone détaxée.
Avec l'altitude et la fin de journée, l'air se faisant plus frais, la route moins fréquentée, notre condition physique se ravive, gros plaisir sur le col de Puymorens et avant. Et jusqu’à Ax avouerais-je.

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Arrivée 20h30 ! Y'a rien là ?!!
Apéro tout de suite après la douche.

Dîner au resto, ensuite Biké ira ériger lui même sa dernière pierre tombale. Il n'a plus besoin de nous pour ça. Avec Jean j'irai terminer la soirée au casino. Très grande classe Jean partagera les gains à parts égales, selon lui il aurait bénéficié de ma chance de débutant…

« On joue le 3 ! »
C'est notre chiffre.




J4 - Alien days


8h30. Au comptoir notre jolie tenancière blonde me présente la note pour les deux nuits passées, je lui tends ma CB.
J'ai un peu la tête dans le cul. Mais pourquoi ils ont dit qu'elle était moche ? Elle est super mignonne oui !
« Alors à jeudi.» conclue-t-elle.
T'excite pas ma belle. Dans deux jours nous devrions revenir à ton hôtel c'est ce qui est prévu. Certains même t'ont confié quelques bagages en attente mais moi je n'abandonne rien. Tu sais on roule avec Biké nous. Pas sûr qu'on revienne. Il doit y avoir des hostos aussi vers Bayonne.
« Oui à jeudi, bonne journée. »

Je retrouve Biké seul dans le garage, Jean parti régler sa note.
Biké : « Il est où mon bidon d'huile ? »
Je la joue tepu.
« Ah bah Jean il a fait le niveau de sa brêle et après il était vide alors il l'a jeté à la poubelle. La poubelle jaune je te rassure, on est pas des gros bâtards.»
Quelques secondes de flottement et je devine une larme perler au coin de l'œil de Biké.
« Mais non, on t'adore mon Biké ! Jean a fait le niveau de vos deux motos et même on a graissé ta chaîne. On t'aime beaucoup!»

Arrimage des bagages et départ. Objectif numéro un, l'essence.
Hier il fallait jouer contre la montre. La tête dans le guidon à la descente du Puymorens je repérai un panneau routier qui nous indiquait Ax à 57 km. Un coup d’œil sur le compteur et j'estimai notre autonomie à 60-65 bornes avant la panne sèche. On fût laaaargeee.
La prochaine station à trois kilomètres est ralliée sans encombre. Aussi Jean en profite pour démonter sa brêle dans l'espoir de régler son problème de shifter apparu la veille. C'est le down qui ne fonctionne plus, peut-être faudrait-il tout déconnecter…

Nous repartons assez rapidement, aujourd’hui c'est journée marathon. Qui a dit encore ?

Ensuite ce fût un enchainement habituel de petites routes et de virages à n'en plus finir. La routine. Nous ne fumes pas rémunéré pour, mais ce fût notre labeur de la semaine. Un travail agréable et sans encombre, enfin peut-être pas pour tous…

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Les contrées traversées furent une découverte pour chacun et nous attribuâmes des +, double + et même triple + tout du long. Nous déjouâmes les éléments, avançâmes nos jokers sur les sombres horizons, prîmes les paris, bref nous niquâmes sa mère à cette tepu de météo quelque peu capricieuse.

Pause déjeuner dans un estanco comme officine de concours de pétanque. Merguez frites bière.
Biké boit de l'eau… Je vous ai dit qu'il était crâmé, physiquement ? Respect mec ! Dans ces conditions moi jamais je n'aurais fait ce que tu as accompli jusqu'alors, et la moitié du trip n'est pas encore franchie. Reste fort !

La pitance avalée nous repartons pour d'autres routailles encore, toujours vers l’ouest.
Au pied du col du Tourmalet un supermotard Husqvarna (ça je reconnais les couleurs) croisé peu avant l'embranchement fera demi tour. Pour nous peut-être ?
Arff !Ouais j’avoue, j’ai pas fait signe. Je m’excuse. Je surveille constamment la route, la carte, la montre, le rétro, la circulation, bref je suis bien occupé. Si ça se trouve on a affaire à un psychopathe. Je sais ce que c'est, j'en ai un de supermot.
Ici on a pas l'avantage du terrain, la route est piégeuse et sale. Je fais signe immédiatement au deux temps derrière moi de passer, sans réaction de sa part. Moteur alors! C'est ça ? Ce sera notre seul atout ici. Les V4 hurleront avec en écho un bruit de deux temps qui reviendra à l'entrée de ces trops nombreux virages à l’aveugle.
Nouveau signe de la main. Vas-y mec passe, nous venons en paix. Après il nous a ouvert la route et proprement, c'était super.

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18h, au pied du col d'Aubisque au sommet drapé d’une épaisse couverture nuageuse nous effectuons une pause avant ce qui sera sans doute le moment le plus mémorable de notre trip, ce que nous ne savons pas encore bien évidemment.
Avant de fermer les visières :
« T'inquiète Biké dans deux heures nous serons arrivés, promis, on est larrrgeee ! »
De toute façon je n'ai que deux réponses :
1- « Il reste une centaine de bornes avant l'arrivée. »
ou
2- « L'arrivée ? Dans une 1h30 -2h grand max.»
Si je sors une de ces deux répliques, ce qu'il faut comprendre : je n'en ai aucune idée.

A mesure de l'ascension du col la brume d'abord lointaine devient plus présente plus lourde, la montagne nous engloutie peu à peu dans son épais manteau humide. Sans espoir d’échappatoire le blanc devient obscur. Le feu rouge scintillant de la voiture devant nous sera notre fil d’Ariane. Peut-être deux ou trois autres ouvrent notre convoi. Je distingue seulement la première juste devant et quelques idées de précipices aussi. Nous couperons les moteurs sur la descente dans une quiétude improbable. Qu’il est bon dans cette ambiance de rouler la visière levée, se parler de vive voix, d'écouter le calme absolu autour de nous.
A vrai dire la mièvre poésie ça me gave vite fait. Et là on a passé une heure pour accomplir trente bornes. La brume volatilisée il est temps de redémarrer les V4. Vrroaboummm ! Première enclenchée, gaz. On remonte notre convoi jusqu'ici invisible. Y’avait bien huit bagnoles devant nous mine de rien.

Nous nous arrêtons à la première station service rencontrée au pied de la descente. Tous les reliefs alentours sont recouverts de cette même brume durement traversée.
« Qu'est ce qu'on fait ? »
Il doit être 19h. Ca me fait mal au cœur mais on va être obligé de raccourcir pour arriver dans des temps raisonnables. Point carte. Nouveau calcul d'itinéraire en cours. On va contourner les reliefs, éviter le brouillard et peut-être la pluie, tirer au plus facile, au plus rapide par les grands axes.
Très vite la pluie s'abattra sur nous pour quelques longues minutes. A la faveur d’un rond point je m'arrêterai pour retourner ma carte immédiatement détrempée. Putain ça va chier ! Personne ne touche à ma carte.
Coup d’œil au tableau de bord. Montre : 19h30. Carte : 100 km. Résolution : bordel à 20h30 on est à l'hôtel !
GAZ !!

20h30 pétantes nous sommes sur le parking de l'hôtel de St Martin d'Arrossa pour récupérer les cartes magnétiques de nos chambres.

« Jetage de bagages. Douche. Triple apéro. Restau. Digeo. Dodo. Y’a pas de casino ici mais le serveur nous remplit nos verres de poire avec des double voire triple doses. Y’a pas que sur la carte qu’on force la dose avec les +.
Titre: Re : Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal
Posté par: Bourrask le 29 janvier, 2019, 21:17:29 21:17
Je n'avais pas averti au départ mais le CR est long, j'espère que ce n'est pas trop pénible à lire, du moins pour ceux qui ont réussi.
Faut voir ça comme une BD ou un scénario de film de série B, bref une histoire avec beaucoup de second degré. ;)



J5 : Ch-check it out

La veille nous avions décidé de raccourcir la boucle dans le pays basque prévue pour le lendemain et de dormir un peu plus longtemps. Aussi Biké resterait pour la journée à l'hôtel et Jean devrait régler le problème de son shifter récalcitrant.
Nous commençons la journée par un atelier mécanique. Jean démonte le réservoir pour débrancher le fil du shifter et le neutraliser définitivement. L'opération sera réalisée non pas grâce aux trois pauvres outils présents sous la selle mais plutôt avec ceux transportés dans mon sac. Faut savoir être prévoyant pour ce genre de périple.
Enfin, prévoyant, c’est vite dit. Apparaît aujourd’hui un paramètre à gérer deux étapes plus tôt que je ne l'avais supposé : les trois pneus arrière sont sur les témoins.
Déjà ! Arggg !!!
Néanmoins en fin de matinée nous quittons l'hôtel Jean et moi avec comme objectif l'océan.
Nous traversons quelques reliefs verdoyants du pays basque. Une impression s'impose d’emblée, il faudra revenir un jour explorer cette région magnifique, à l'occasion peut-être d’un voyage dédié qui sait.

Si quelques jours plus tôt nous n’avions qu’entraperçu la Méditerranée nous déjeunerons au bord de l’Atlantique dans un restaurant sur le port de Ciboure.

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Ensuite, la problématique des pneus en tête, nous décidons de tenter notre chance chez le Dafy moto de Bayonne situé à 30 km au nord de notre position actuelle.
Surtout il faut se pointer à l'improviste, ne pas téléphoner avant, c'est ainsi que nous maximiserons nos probabilités d’être dépanné.

« - Bonjour ! Ce serait pour monter deux pneus, c'est possible ?
- On est overbooké, ça va être compliqué là tout de suite.
- On est en trip moto, on vient de loin, toussa…
- Attendez je vais voir avec le mécano ce qu’on peut faire. »

On aurait téléphoné c'était mort. Là on devine de suite que c'est gagné. Et les deux pneus arrière seront remplacés dans la foulée. Génial !
Nous prévenons Biké par téléphone de la situation et lui demandons s'il a géré de son coté le changement de son pneu. Pour lui RDV le lendemain à 10h ici même. A l'opposé de la route pour l'Espagne, donc pas très raccord avec nos plans.
Alors Jean repart négocier auprès du vendeur une intervention sur le 3e Tuono le soir même. Parallèlement le patron me conduit dans son bureau me montrer sur Maps le RB que l'on doit « absolument » suivre pour un « gavage assuré ».

Retour sur le parking. Jean a bien négocié. Biké prévenu il partira immédiatement de l'hôtel pour un montage avant la fermeture du magasin. Le patron quant à lui nous donne ses derniers conseils sur le roulage en Espagne. Le bitume très abrasif qui tue les pneus ; la panne d’essence possible dans les zones désertiques ; la diplomatie à respecter avec la brigade florale du type « surtout tu fermes ta gueule».
Toute l'équipe du Dafy a été géniale et drôle, le top !
« Et puis si vous voulez repasser vendredi on vous montera des slicks ! » lol

Sur ce nous repartons direction St Jean Pied de Port, à 10 km au sud de l'hôtel, dans l'idée de roder les pneus sur quelques spots indiqués à proximité.
A mi chemin qui croisons-nous ? Dis-moi pas que c'est pas vrai! Je reconnais immédiatement la face du Tuono et la grande carcasse dans son cuir Furygan, à qui j'adresse un coucou explicite et bien appuyé. Biké nous répond d’un tout petit V…mais il ne nous a même pas reconnu ! A croire qu’il roule en Harley Davidson.

Le premier col conseillé n'est plus très loin, le tracé grimpe vers un relief duquel se déverse une épaisse brume humide. Encore. Résolus nous ferons demi tour au bout d'une vingtaine de kilomètres. Inutile de s'entêter pour une route détrempée que nous pourrons poursuivre le lendemain sur le sec.
Et il se fait tard. Alors on décide de rentrer à l'hôtel avec en mire les dix bornes finales de la large départementale empruntée plusieurs fois depuis notre arrivée tout en grandes courbes. Soit gaz !
On coupera le métal hurlant juste à la bifurcation pour l'hôtel.

Sur le parking quelques minutes à peine après notre arrivée, une dame s'avance vers nous :
« Ah oui…C'est bien vous les motards qui viennent de nous doubler ? On avait reconnu les motos avec mon mari. »
Echange de regard furtif et complice entre Jean et moi. Arff...
Jean : « J’espère qu'on vous a doublé prudemment, pas trop vite. »
La dame : « Oh…oui, nous sommes très prudents avec les motards, on s'écarte toujours. Vous ne rouliez pas très vite».
Mais qu’est ce qu’elle dit, elle ? On était taquet ouais ! Tu veux qu’on retourne dans le grand gauche pour voir ?
« Bonne soirée à vous.»

Dernière soirée dans le pays basque où décidément les doses bar ne sont pas du tout les mêmes que chez nous. Les V4 consomment, leurs pilotes tout autant.

Demain ce sera l'Espagne toute la journée pour 500 bornes qui je l'espère seront de la même teneur que la route empruntée deux jours auparavant. Je le convoite depuis si longtemps. Ce sera la conquête du Graal épisode 2 assurément.




J6 - Lost in translation

9h sur le parking de l'hôtel Chez Katina. Le ciel est d'un bleu limpide, les sacs sont arrimés, le séjour à l'hôtel réglé, les pneus arrière rodés, nous sommes équipés, les moteurs ronronnent. Ce matin tous les augures sont de notre coté pour que cette journée soit inoubliable. On baisse les visières et go pour l'entrée des manèges à dix kilomètres de là.
La veille dès mon retour à l'hôtel j'avais déplié les cartes sur le grand lit pour adapter au mieux notre itinéraire selon tous les conseils donnés par notre très aimable St Christophe local. Nous débutons ainsi par la départementale si difficile à trouver hier dans Saint Jean Pied de Port, cette fois la route est quasi sèche, quelques zones humides seulement encore présentes. La frontière espagnole très proche est marquée uniquement par une petite zone commerciale délabrée, sans cela impossible de deviner le passage officiel entre les deux pays. Très vite le vif du sujet est atteint, la route commence à tourner sévère. Celle-ci nous avait été décrite comme un gavage assuré, ce qui est plutôt le cas, mais…
A vrai dire émerge à ce moment un syndrome qui finit toujours par apparaître dans tout bon road trip. Le syndrome de la fine bouche me gagne, le plaisir de la route doit être comme la gastronomie. Sans doute habituée aux restaurants deux ou trois étoiles, l'appréciation gustative évolue, les références ne sont plus les mêmes. Alors elle est bonne mais des routes équivalentes on s'en est goinfré des tonnes depuis le départ. J'accorderai une note d'1,5 +. Oui, je deviens difficile. Aujourd’hui la barre est placée très haut qui plus est.

Désormais nous poursuivons notre quête vers le sud, vers le Graal promis. Le chemin bifurque à gauche sur une belle route de montagne déserte. Désert, c'est le qualificatif qui frappe en premier l'esprit dans ces contrées. Non pas un désert minéral car les paysages certes arides sont parsemés d’une végétation persistante adaptée aux fortes chaleurs, mais un désert d'humanité. Nous traversons tout juste quelques hameaux sur de nombreux kilomètres dans une absence totale de circulation. Et pourtant c'est une nationale, un axe majeur qui joint l'ouest à l'est du pays à travers les Pyrénées.
La station essence du premier bled rencontré marque l'arrêt pour un ravitaillement à bas prix. Des Espagnols attifés en chasseurs sirotent le café autour de tables disposées en recul des pompes à essence. J'entends presque le duo guitare-banjo de Délivrance. Je déconne. Y'a la télé dans le bar.
Le Coyotte de Jean affiche les 60 prochaines bornes en couleur vert clair et sur ce territoire les points de contrôles sont signalés très précisément. Ceci dit je n'entends jamais les coups de klaxons et autres avertissements de la part de Jean, je dois bien l’avouer.

C'est reparti. Cols, défilés, les tracés sont bons, le plaisir bien présent, surtout les paysages sont dépaysants. La carte nous conduira jusqu'au lac de Yesa que nous ne verrons pas.
Arrêt sous un soleil cuisant, il faut s'hydrater. J'en profite pour jeter un œil à mon pneu avant qui tire bien la gueule après ces premiers kilomètres espagnols.
Comme une envie de pleurer… Bordel, j'aurais du/pu le faire changer hier. Cette idée me désole encore plus.

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Ensuite c'est un intermède de lignes droites incontournables jusqu'à Jaca puis Sabinanigo, où j’ai grand espoir au vue de la carte que la route redeviendra joueuse. Alors vient le départ d'un col aux allures d'autoroute. Une quatre voies extra large au bitume parfait, à l'absence totale de trafic, mais totalement dénuée de sensations. Il faudrait rouler au moins à deux fois la vitesse autorisée pour transformer ces immenses courbes en virages. La déception pointe.
Me suis-je trompé dans mon interprétation des parchemins ? C'est rare pourtant, en général je réussi plutôt bien l'exercice… Je suis déçu de moi. Et la déception va s'éterniser sur 100 kilomètres. Où est-il mon Graal promis ? J'essaie de comprendre et me replonge sur la carte qui d’habitude ne me ment pas. Par endroit quelque alternative était possible mais dans l'ensemble la lecture était raisonnée. Le Graal ne peut être ici telle est ma conclusion logique. Et sans doute même est-il unique et l'avons nous déjà conquis trois jours auparavant.
A ce moment tous les échos entendus au préalable resurgissent à mon esprit : bitume parfait, route déserte, soleil, paysage magnifique,etc. Bordel de merde, le paramètre principal et premier qui doit dominer et cela très largement tous les autres est : le virage (serré). Bordel ! De ! Merde !

Comme compensation me vient l'envie d’immortaliser la montagne qui émerge du panorama. Et pour une fois que JE provoque l'occasion d'une photo on me plante une usine dans le décor ! Plus jamais on ne s'arrêtera pour des photos, c'est décidé.

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Pour le déjeuner, nous nous arrêtons dans un routier déserté depuis les années 60 au moins. La restauration est servie à l'intérieur, dehors ce n'est pas possible dans la chaleur ambiante. La pièce principale à l'immense comptoir évoque une ancienne salle de théâtre ; nous sommes invités dans une succursale meublée au goût d'un autre siècle.
La mamie tenancière nous installe et développe le menu en s'adressant à moi quasi exclusivement, entre quatre yeux. Ensuite les regards de mes deux compères se posent sur moi l'air d’attendre des réponses à des questions existentielles.
Mais je ne parle pas l'espagnol, bordel ! Je décide d'inventer.
« Alors ça c'est une salade de calamars et ça c'est du porc. » Je dis n'importe quoi, avec aplomb ça passe.
Jean méfiant commande en entrée les pastas, faciles à traduire. Je fais le même choix évidemment. Biké lui choisit ma salade de calamars. Une assiette de charcuterie avec deux feuilles de salade lui sera servie ensuite. Premier fou rire. « Quentin faudrait que tu révises ton espagnol » m’annonce Biké. LOL. 2e fou rire vu mon passé scolaire en la matière.
En plat principal nous prenons tous le « muy a gusto ».
Le dessert. Jean ne tombe décidément pas dans le panneau et se rabat sur le melon. Je conseille à Biké un choix identique au mien « latartalapecha », la tarte à la pêche selon ma traduction.
Non mais le fou rire quand la mamie nous a présenté chacun une coupelle sur pied contenant un flanc indescriptible. Presque je me serais pissé dessus.

Le repas à l'heure espagnole achevé nous reprenons la route. J'étudie sur la carte deux modifications d’itinéraires possibles, nous abandonnerons cette route indigne quitte à emprunter des détours par le nord ou le sud, je déciderai au moment apportun.
Non loin de Pont de Suert nous bifurquons vers le nord qui me semble plus judicieux avec cette lourde chaleur, direction Vielha de l'autre coté de la montagne. Et ce massif nous n'allons pas le surmonter ou le contourner, nous allons littéralement le traverser de part en part via un immense tunnel.
La température actuelle extérieure est de 37 degrés, attention nous allons pénétrer une zone de turbulence, veuillez accrocher vos ceintures.
A peine la porte du tunnel franchie une grande fraicheur me saisit immédiatement, le dénivelé tombe à pic provoquant avec lui une très étrange impression. A mesure de notre chute la température ne cesse de baisser, jusqu’au point où j'en viens à me demander si mon cuir ne va pas finir par givrer, j'en ai presque mal aux bras. Aucun véhicule dans les deux sens un vrombissement se fait entendre. Au départ lointain et de plus en plus agressif à mesure de notre descente. Sommes-nous en route pour le centre de la terre ? Le bruit devient assourdissant malgré les bouchons d’oreille, le froid quasi insupportable, je suis presque effrayé. Le bruit se rapproche inéluctablement. Finalement j'en dépasse l'origine en même temps que je la comprends, elle provient d’énormes moteurs de ventilation. L'agression sonore s'amenuise en même temps que des rayons de lumière jaillissent au loin, nous sommes sauvés !
Nous atterrissons sur d'autres versants, un tout nouveau décor montagneux ponctué de crêtes pointues et noires indiscernables depuis la vallée précédente, Vielha est tout en bas au creux de la cuvette que nous survolons.

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Nous enchainons par un col, un défilé, encore. C'est toujours bon. La route qui longe un cours d’eau surtout avec son bitume noir tout neuf et ses virages enchainés magnifiquement les uns aux autres jusqu'à la Seu d’Urgell où nous effectuerons une dernière halte salvatrice en contrée espagnole. Ensuite ce sera le dernier galop jusqu'à Ax les Thermes en passant par quelques cols puis Andorre. Entre temps mon pneu avant finira par rendre l'âme. Son profil complètement déformé par la route rendait la conduite de la moto incertaine et floue depuis le milieu d'après midi, cette fin de journée elle en deviendra presque dangereuse.

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Petit arrêt au Pas de la Case vers 19h passées. Ax est juste en bas à une trentaine de kilomètres, autant dire que nous sommes arrivés.

Nous retrouvons notre hôtel d'il y a deux jours sans l'accueil de notre charmante blonde.

Jetage de bagages. Douche. Triple apéro. Restau. Digeo. Dodo. Pas de casino.

Au cours de la soirée j'affranchirai Jean et Biké à propos de mes problèmes de pneu avant.
« Soit je remplace mon pneu demain, soit on rentre tranquille en mode balade sur les deux dernières étapes, comme vous voulez. »
Ce à quoi ils répondront unanimement: « Fais changer ton pneu.»
Titre: Re : Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal
Posté par: lbourrin le 30 janvier, 2019, 21:45:03 21:45
ben alors ? et la suite ? j'attends là ! ;)
 Allez hop au clavier ! envoie !
 :P
Titre: Re : Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal
Posté par: Bourrask le 31 janvier, 2019, 22:54:52 22:54
J7 – Dr D’Enfer

Aujourd'hui nous entamons le début de la route retour. Deux étapes nous séparent de Lyon et aucun road book n'est défini à l'avance.
Pour ces journées je prévoyais d’aviser en fonction du ressenti sur le vif ; j'aime beaucoup l'improvisation que peut seulement provoquer la navigation à la carte. Suivre le feeling c'est aussi ce qu'il y a de super bon dans un trip. Cela dit le gîte du soir est réservé. Tout ce que j'avais en tête c'était une première étape avec quelques nouveautés régionales et une seconde remplies de morceaux d'anthologie cévenoles et ardéchois. La fin d'un trip c'est le plus important. Qui plus est quand il s'agit une balade très intense comme celle que nous avons vécue jusqu'alors. Un dernier bon gros gavage de deux jours est indispensable.
Pour tout dire cette 7e journée non programmée devait être aussi l'occasion d'un éventuel changement de pneu. Après 2500-2700 bornes, c'est à ce moment qu'aurait du apparaître la problématique des pneumatiques. Je n'imaginais pas avoir déjà passé un pneu arrière et déglingué l'avant à ce moment de l'histoire. Mais j’avais pas tout faux.
La ville de Foix non loin de notre position aurait pu aussi être l'occasion de voir ressurgir les lointains souvenirs d'un trip effectué dans cette même région avec mon frangin. C'était il y a une quinzaine d’années. Nous nous étions arrêtés dans la concession Aprilia de Foix pour remplacer les pneus à l'improviste. Certaines choses changent d’autres pas. A l'époque chevauchant une SVN jaune à carbu, c'est la RSV 1000 de 2002 noir mat et rouge qui me faisait rêver (je craquerai quelques années plus tard pour un Tuono 2004, noir et jantes rouges). Aprilia forever.
Alors peut-être la concession existerait-elle toujours ?
9h, coup de fil au magasin qui s'avère toujours en activité. On m'aurait très volontiers aidé mais il n'y a que du Bridge en stock alors que je tiens au Pirelli. Merci quand même.
Finalement ça tombe bien. La route vers Foix aurait été un retour en arrière mémoriel pas indispensable, autant que géographique ; le moment présent et aller de l'avant c'est beaucoup mieux.

Je retrouve Jean et Biké devant le garage : « on laisse tomber Foix, on tire sur Carcassonne et son Dafy. »

Alors gaz pour Carcassonne, le check point obligé du jour. Il faut faire fissa, une arrivée entre 11 et 12h serait parfaite pour un changement de pneus juste avant la fermeture de midi ou à la réouverture de 14h (il faut être optimiste à ce jeu là), mais ce n'est par pour autant que l'on va oublier de passer par toutes les petites routes qui vont bien pour relier notre destination.
« Et on va voir si j’ai perdu le Mojo avec la carte Michelin ! » me lancerais-je à moi même.

Dans l'ordre en partant de Ax. Col de Maramare, col des Sept Frères ensuite la troisième à gauche pour le col de la Croix des Morts jusqu'à Bélesta. Ici à droite pour le col de la Bourade jusqu'à Puivert où on prend à gauche jusqu’à Chalabre. Là c'est à droite pour les cols de St Benoit et de l'Espinas jusqu’à Limoux et enfin on récupère à gauche les 25 derniers kilomètres, dénués d'alternative joueuse, de la D118 bien roulante jusqu'à Carcassonne.
A 11h nous sommes aux portes de la ville. Pas celles de la cité avec ses remparts fortifiés que nous ne verrons d'ailleurs jamais (psycho forever) mais celle de la zone artisanale comme il y en a une dans chaque ville, conçue selon les mêmes plans, avec les mêmes enseignes, les mêmes parkings.

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11h15, nous sommes chez Dafy moto Carcassonne.
« Bonjour, ce serait pour un pneu, on est en road trip, toussa toussa.».
Mais ça ne gagne pas à tous les coups. Alors on m'indique avec espoir un pôle moto tout proche.

11h30, Moto Axxe (jamais vu cette enseigne ailleurs que parmi les pub d'Eurospub avant les GP) qui regroupe aussi KTM, Kawa, Honda, Suzuki, Aprilia et puis toutes les autres marques de la production.

« Bonjour, ce serait pour un pneu, on est en road trip, toussa toussa ». Pas besoin de tout ça en fait.
- Oui c'est possible, qu'est ce qu'il vous faut ?
- Un Rosso Corsa ou un SuperCorsa SP. »
Le Génie descend dans sa caverne d'Aly Baba que je surplombe de visu. Sur la pile de pneus superposés j'aperçois immédiatement l'objet de mes désirs. Vas-y fais péter le SP je t'en prie.
« - Il ne me reste que du Supercorsa, ça vous va ?
- Oui ça m’ira très bien. Je brosse la lampe. Vous voulez que j'enlève mon sac de la selle arrière ou bien?
- On va gagner un temps précieux, on ferme à midi, alors non ce n'est pas la peine. »

Oh bordel. O-h p-u-t-a-i-n. On est chez Hassan Cehef !
Et si je te dis Jean il prend le dernier Super Duke bien méchant, Biké le 1000 Gex tout neuf et moi le SMC R qui sont là en exposition et qu'on va faire un tour le temps du changement de pneu, tu me dis quoi ?

A 12h15 on était reparti. ROYAL.

Nous marquerons l'arrêt seulement une vingtaine de kilomètres plus loin sur la D620. Pendant ce court laps de temps je ressentirai déjà une étrange impression avec ce pneu avant tout neuf.
On déjeune, on se casse.
Nous enfourchons nos motos pour une cinquantaine de bornes de routes à chèvres et autres tracés montagneux totalement inconnus. Je reste prudent avec le pneu neuf alors que perdure et s'installe cette très étrange impression qui m'a gagné dès le départ du garage moto.
A la faveur d'un arrêt j'irai jeter un œil aux inscriptions présentes sur les flancs du pneu.
Ah ouais je comprends mieux…SC1. Et je comprends mieux le tarif aussi.
A Saint Pons de Thomières, c'est soit à droite par la sinueuse mais principale départementale vers notre destination soit à gauche un col certainement moins emprunté et qui en promet beaucoup sur la carte, mais synonyme de détour. Je prends à gauche, ils ne le sauront jamais.
J'ai un truc à vérifier avec le train avant de mon Tuono là maintenant tout de suite !
Et il est devenu un véritable scalpel. Il est vif, précis, doté d'un retour d’information sur la route et un grip incroyables. Il transcende le Rosso 3, monté quelques jours plus tôt à l’arrière, certes doté d'un très bon grip mais au profil qui rend la moto pataude dans les enfilades. Comme le jour et la nuit.
Hassan m'a monté un pneu envouté c'est certain. J’ai la savoureuse impression que je pourrais faire demi tour dans les virages tellement ça tient. Ayant tendance à jeter la moto au dernier moment dans le virage là je suis persuadé que même passé le panneau trop tard la moto pourrait revenir en arrière pour prendre le point de corde et repartir aussi sec. Le ressenti du survirage et du jeté de moto sont tout simplement magiques.

Il en sera ainsi tout le long du col du Cabaretou vers le Nord où au sommet à droite il faudra suivre cette route à chèvres qui se transformera vite en piste de kart au bitume parfait jusqu'au col de la Bane avant de tourner encore à droite plein sud pour les magnifiques cols de Font froide et du Poirier. On aura tourné en rond sur une cinquantaine de bornes et pour l'ensemble de cette œuvre j'accorderai un triple + largement mérité.

Petite pause juste avant la fin de cette boucle sensationnelle.
« Tu ne serais pas en train de nous faire tourner en rond par hasard ? Plein nord au début ensuite plein sud. Le soleil nous a tourné autour !» C'est Jean qui m’interroge.
« Ah…tu as compris ?!» Me voilà démasqué.
« Mais je suis sûr que Biké non ! Hein Biké ?»
Biké n'a rien capté lui. Pas même les vautours qui tournent en cercle haut dans le ciel convoitant sa carcasse depuis l’Espagne.
Note pour plus tard : ne plus faire le coup de la boucle en loucedé à Jean. A Biké oui !

Après cette franche rigolade, nous reprendrons la départementale logique jusqu’à Bédarieux. Viendra ensuite le Bousquet d'Orbe et plus loin le départ de la spéciale de course de cote de l'aller cette fois en descente aussi géniale dans un sens que l'autre.

Ainsi nous arrivons à Lodève. Ensuite ce sera la montée fantastique jusqu'au plateau désertique qui domine les cirques de Navacelles et qui commande plus loin la redescente musclée sur les gorges de la Vis. Pour l'heure il est grand temps de faire le plein de carburant.
L'esprit en quête d'une station essence, quelques encablures passées Lodève mes souvenirs me rappellent finalement la réalité du terrain, ravitailler est impossible dans les parages, alors stop.
Je ne vais quand même pas leur faire le coup de la peine d’essence pourtant un classique du road trip. Enfin avec moi. Comme on est tous en Tuono c'est moins drôle !
Jean checke son smartphone qui indique la station la plus proche à Lodève, sept bornes derrière nous (parfois la technologie a du bon).
Ca va. J'aurais pu m’entêter beaucoup plus longtemps par le passé, peut-être ai-je muri ?
A voir sa tête, Biké lui a du comprendre 20 ou 30 bornes. A ce moment c'est la plus belle et sincère interprétation de l'expression « être au bout de sa vie » qui nous est offerte. A la fois hilarante et très touchante, nous n'avons malheureusement pas pu immortaliser cette scène qui n'a d'égal que celle de Marion Cotillard mimant sa fin dans Batman. C'est vous dire si notre Biké national n'est pas passé loin du César (compressé).

Nous retournerons donc sur nos traces puis nous reprendrons la route via l'itinéraire susnommé jusqu'à Ganges où nous retrouverons notre classique « poignée dans le coin» jusqu'à Saint Jean du Gard pour finir en apothéose par la montée de la Corniche des Cévennes et son énorme gavage en mode « vers l'infini et au delà ».

Tour de contrôle à vue, rétro-freinage pour aborder la voie d’atterrissage. Notre escale pour la nuit sera l'hôtel de la Patache, là où tout a (re)commencé quasiment trois mois auparavant.
La boucle est ainsi bouclée au moins en très grande partie.



Titre: Re : Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal
Posté par: Bourrask le 31 janvier, 2019, 23:05:20 23:05
Inception

Flashback dans un flashback

L’idée de notre périple fût lancée ici même mais à vrai dire rien n’aurait été possible sans le Mojo.
Si la découverte du Graal en terre catalane, trois ans plus tôt, amena cette récompense ultime tant convoitée elle s'accompagna en même temps d’un lourd sacrifice. Quand à l’époque je rentrai, mon Mojo lui décida de rester sur cette terre sacrée.
Au retour il me fût impossible de retrouver le très singulier état de transe qui m’avait animé lors de cette prodigieuse découverte ; impossible de renouveler des sensations proches de La Route Magique.
La région Rhône Alpes pourtant gavée de massifs ne me faisait plus vibrer. Le Bugey, le Jura, les Bauges, le Beaujolais, l’Ardèche, etc plus rien ne me faisait envie. Le feu sacré avait disparu.
J’en vins à reporter la faute sur ma fidèle monture sans laquelle pourtant la conquête du Graal n’eut pas lieu. Il me fallait pour un temps désunir cette fusion bio mécanique mêlée d’os, d’acier, de chair et de carbone. Cette peinture de Giger devait être brûlée, La Brute repoussée, le Tuono R 2002 délaissé pour un temps.
Le désespoir m’amena à vendre mon âme sur l’autel du 4 cylindres. Alors je me séparai du Bon, de mon 1er Tuono 2004 noir et jantes rouges pour le V4. Dans les premiers temps rien n’y fit, l’union sacrée avec le V60 était trop difficile à scinder. Il me fallait aller chercher ailleurs ce que j’avais perdu ici.
Finalement c’est la providence qui me ramena sur le droit chemin, aidée en grande partie par le Truand. Et puis aussi Stéphanie mais ça je ne lui avouerai jamais.


Et loin, j’ai retrouvé Mon Mojo.
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Genre vraiment loin.
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En Tunisie…Mais c’est une autre histoire.
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Titre: Re : Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal
Posté par: Bourrask le 31 janvier, 2019, 23:24:50 23:24
J8 – Retour vers le futur

Le dormeur doit se réveiller.
Et voilà nous y sommes c'est le dernier jour, ce soir chacun dormira chez soi en région lyonnaise.
Et comme à chaque fois je suis gagné par cet étrange sentiment mélangé entre le bonheur de l'accomplissement d'un projet, et la nostalgie, déjà, de son souvenir.
Qu'il paraissait le terme du voyage à notre départ du carrefour de Givors une semaine auparavant. Mais c'est comme cela à chaque fois. Un point de départ terne et familier pour une destination pleine d’espérance.
La première journée est toujours ma plus grande crainte. Relier la première étape sans casse, sans problème pour s'évader loin ; dans le cas contraire ce serait une très amère déception dont j'aurais grand mal à me remettre. Le second jour la pression est évacuée comme par enchantement et c'est le début d'une longue aventure qui paraît sans fin. Je parle des périples sur une semaine au moins. Un week-end de 2 ou 3 jours c'est déjà bien, mais une semaine, tu sais que tu vas rouler le lendemain, le surlendemain, encore et encore. Tu ne penses absolument pas au terme du voyage qui te paraît tellement loin, presque inaccessible sans encombre. Aussi il faut savoir adapter d'emblée le bon rythme, ni trop pour préserver le physique ni pas assez pour accomplir les itinéraires journaliers. Alors peut-être que ça fait un peu le type qui se la raconte. Ok, c'était pas le Dakar et on a roulé sur l'un des meilleurs réseaux routiers du monde avec hôtel resto tous les jours pour une durée sans excès. Cela dit c'est le trip le plus intense que j'ai jamais fait, je l'avoue sincèrement. Et j'en ai fait quelques uns pourtant, avec d'autres barjos. Pour tout dire et parce que ce sentiment m'a traversé l'esprit à maintes reprises durant cette semaine, j'ai eu l'impression de vivre un condensé de 15 années de road trip en un seul, avec ici pour unique objectif les sensations de conduite et rien d'autre. Et pour ça c'était énorme.
A part une brève incartade au road book pour cause de pluie et une véritable mais courte déception en Espagne, ce n'était que du virolos et rien que ça. Et uniquement du best of de spots régionaux sur plus de 3000 bornes s'il vous plait ! Faire plus je ne vois pas comment à part en changeant de pays et encore pas sûr qu’on trouve mieux ailleurs, en tout cas et pour ce que je connais, pas dans les Alpes jusqu'à sa frontière slovène. Et pour ceux qui pensent qu'on ne peut plus rouler en France (à moto avec de la vitesse), c'est une vaste fumisterie. Sans être des inconscients ou des délinquants, on ne veut tuer personne, on s'est toujours fait largement plaisir sans jamais se contraindre. Ceci dit il est certain que le plaisir se trouve sur les réseaux secondaires très peu fréquentés. Alors niveau intensité et sensations de conduite c'est le meilleur trip que j’ai pu vivre et de loin. Par contre niveau tourisme ce n'était pas ça. On a rien vu. A part des pompes à essence. On va dire que ce n'était pas l'objectif du trip même si souvent je m'en suis voulu.
Peut-être Jean et Biké m'ont maudit plus d’une fois…sans jamais aucun reproche ou déception formulée, ils sont trop cools pour ça. L'entente et la cohésion de groupe c'est le point le plus important pour une telle virée. Etre sur la même longueur d'onde et maintenir cette fréquence tout au long du voyage, c'est ce qui a permis de faire de cette grande balade un trip d'enfer ! Je re-signe avec eux les yeux bandés, c'était génial et ils sont géniaux !
Et puis comme l'a si bien dit Biké on pourrait le refaire quatre fois d’affilée, les paysages nous resteraient toujours méconnus!



Après la conclusion, la suite.



9h, parking de l'hôtel La Patache.
Ca commence toujours pareil.
Biké se pointe le dernier, comme d'habitude. On a sorti sa brêle du garage et même on lui a graissé sa chaîne comme d’habitude. Il ne pourra pas dire que nous ne l'avons pas choyé. Peut-être voudrait-il qu'on lui arrime ses bagages son sac carrefour avec les deux tendeurs à moitié effilochés aussi ?

Sur le parking il faut choisir entre une route à chèvre et la corniche des Cévennes, les deux déjà expérimentées, les deux entrées à moins de 20 mètres.
« Aujourd’hui c'est mode balade pour moi ».
Je me retourne pour vérifier, c'est bien la voix de Jean que j’entends là. Si Biké avait prononcé telle sentence je me serais fait un immense plaisir à l'emmener pour le calvaire de la route pourrie sur le champ.
« Ok, va pour la Corniche. »
Je t'aime aussi Biké !
D'façon ils feront comme ils voudront moi j’ai un SC1 tout neuf prêt pour la défonce. Autant le premier jour y'a pas le droit à l'erreur autant le dernier on peut tout se permettre. Lol hein ! Enfin, l'offensive c'est à la fin qu'il faut la mener ! lol 2

Rond point de Florac au bout de la Corniche, un phare de Tuono en réflexion dans le rétro, jusqu'ici rien d’anormal.
C'est Biké !
« Jean s'est arrêté pour une photo, il ne sera pas là avant 5 à 10 minutes. »
Compris. Demi tour pour se repositionner. En même temps que j'achève ma manœuvre j'aperçois dans le giratoire une silhouette verte et rouge passer comme une flèche.
T'avais pas dit 5 minutes? C'est Jean déjà.
Nous partons à sa poursuite. Mais le problème s'avère indénouable dans le centre de Florac avec sa voie unique étroite et une dizaine de voitures impossible à remonter. J'observe simplement le casque AGV lointain émerger en tête de la colonne d'automobiles avant de disparaitre pour filer vers une destination inconnue.

On laisse tomber ça ne sert à rien, on ravitaillera en l'attendant, il finira bien par revenir.

Quelque minutes plus tard, coup de fil de Jean.
« Vous êtes où ?
Heu…c'est quoi l'expression déjà ?
- On est derrière toi.»

Le groupe reformé nous prenons la direction de Florac jusqu'à Génolhac, après ce sera Villefort, j'en salive d’avance. Génolhac-Villefort après quasi 3000 bornes de virolos d'échauffement, le Tuono avec le SC1 devant…Pour le contexte, l'enchainement Génolhac-Villefort-Les Vans aura été pendant de très longues années mon Graal absolu avant qu'il ne soit détrôné par le VERIDIQUE Graal espagnol. En y repensant je ne salive plus, je bave littéralement.
Je ne rentre pas dans le détail mais c'était à tomber parterre tellement c'était bon.

Nous déjeunerons à la Bastide Puylaurent dans un resto où nous nous étions arrêtés au retour des Cévennes en mai. Je l'avais en tête en point de repère et comme étape certifiée par nos soins.
A chacun son pèlerinage. Pour les marcheurs chrétiens, le chemin de Compostelle, pour nous c'est une voie différente.
Au cours du repas Jean nous indiquera sa volonté de rentrer par le plus court chemin. Soit. Pour Biké et moi les voies du seigneur resteront impénétrables.

La communion du déjeuner célébrée, vient le moment de la séparation suivie de brefs aurevoirs.
« A très vite ».

Jean part de son coté. Biké me suit.
T'ai-je déjà parlé de mon engouement pour les détours mon cher Biké ?
On est pas prêt d’arriver, il reste encore tous les tracés en +, ++ et +++, cette fois en sens inverse de l'aller.

A la faveur du premier ravitaillement, nous nous posons en terrasse avec vue dominante sur les pompes à essence de notre relai. Que c'est beau l'Ardèche, c'est pas comme chez nous.
Biké m’aura bien fait rigoler et surpris aussi avec ses histoires de motos guadeloupéennes.

A partir de là je laisse tomber la carte. La navigation de mémoire peut être géniale aussi.
Enfin quand elle ne défaille pas… ou peut-être est-ce la faute à mon subconscient. Bref on tournera tellement en rond que même Biké s'en sera rendu compte.
C'est promis à Annonay on prend les routes à chèvres les plus directes.
Nous finissons par Saint Julien Molette, Pélussin, et la classique lyonnaise Givors - Rive de Giers, les derniers rayons de soleil avec nous.

Le terme du voyage est tout proche. Dix kilomètres nous en séparent seulement. Le tracé jusqu’à Givors, insipide par rapport aux kilomètres parcourus jusqu'ici est pourtant une nécessité absolue. L'obligation de franchir la ligne d'arrivée autant que celle du départ. Alors, conscient de vivre les derniers instants du voyage, serein, je m'enivre de chaque courbe, de chaque relance, de chacune de ces dernières sensations pour apprécier à sa plus juste valeur le moment qui arrive, le moment qui va marquer la fin du voyage, le moment où nous allons boucler la boucle définitivement.


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Biké, Jean et moi.


Fin du flashback



Epilogue
Un flash lumineux déchire le ciel. Le tonnerre raisonne dans la vallée. Quatre Tuono lancés à 88 miles à l’heure éventrent l’espace temps à 13h27 ce vendredi 10 août 2018. Un an plus tard jour pour jour.
Hé Doc, nous sommes de retour !

To be continued.
Titre: Re : Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal
Posté par: Bourrask le 02 février, 2019, 16:45:49 16:45
Le Graal est une drogue.
Sa quête est périlleuse mais sa récompense jouissive. Alors une fois de plus il fallait retourner là bas, dans les Pyrénées.
Pour cette nouvelle campagne nous avons recruté notre pote Seb, lui aussi en V4 (c'est un hasard et pas une condition obligatoire). Ainsi il y aura encore plus de Tuono pour encore plus de Pyrénées.
Entre nous ce périple nous l’appelons la Tuono Cup. Ce qui nous fait rire tout en résumant bien la situation. Mais on pourrait aussi l’intituler #Retour vers les Pyrénées II ; #Les Pyrénéens / Les boules de pétanques offrez les dans les couilles, ou encore #Dans la peau de John Malko-Biké. Mais au final celui que je retiendrai c’est # On s’en bat les couilles.


Vendredi 10 aout 2018, 11h30, Lachassagne
(#uste après Anse et la montée avec les deux épingles en enfilade droite-gauche y’a un raccourci pour l’éviter mais je le prends jamais).

Le triangle rouge s’éclaire sur le tableau de bord accompagné de son acolyte SERVICE sur l’écran à cristaux liquide. Je les déteste ces deux là !
Mais je connais la blague. Si les meilleures sont les plus courtes, après trois coupures de contact et autant de redémarrages du moteur, les deux compères me font toujours la nique. Sans succès je réitère l’opération deux fois de plus pour être sûr.
« Qu’ai-je fais de mal ou mal fait ? » Pour l’instant je cause calmement à ma brêle même si on a tout juste parcouru 30 bornes et pas encore atteint le point de départ. Ca chauffe un peu.
« Tu as été révisée il y a moins de 1000 bornes, ton train de pneus est neuf, ce voyage tu l’attends tout autant que moi et, fait inhabituel et grande courtoise de ma part, je t’ai lavée pour l’occasion.
Alors qu’est-ce que tu me casses les couilles ? » Rapidement le ton monte.

Résigné je passe un coup de fil à Jean pour l’informer de mes déboires.
- « Peut-être je vais rentrer chez moi pour prendre le V2, lui changer les pneus dans l’après midi et vous rejoindre demain.
- Viens. On va voir ce qu’on peut faire. »

Soit.
Les 15-20 minutes suivantes vont sonner l’apparition des premières voix.
Ce pictogramme rouge est-il un signal ou un signe ? La machine essaie-t-elle de communiquer avec moi par le seul biais de son système de communication archaique et limité (D.A.R.Y.L. c’était le futur dans les années 80)? Simple ampoule grillée ou fusion du moteur c’est le même avertissement. Il n’y a pas de priorisation de l’information et c’est bien regrettable. Alors j’imagine des trucs. Une voix de fantôme surgie des profondeurs d’outre tombe. Ne pars pas… ne pars pas…Le ton enseveli sous 20 clopes.

Je gagne néanmoins le point de rendez-vous. Et je suis le premier. Y’en a un il bosse encore ou tout juste et l’autre il a pas pris le bon train ou tout comme.

A peine arrivé, Jean sort sa caisse à outils de secours et très vite ma moto se retrouve éparpillée au pied de l’escalier menant à la terrasse où poussent les fleurs du mal. Une larme scintille au coin de mon œil droit, le verdict tombe rapidement.

« C’est le moteur de valve d’échappement qui est cassé. Une panne courante. »
Moi je croyais que le zizzz zizzz à l’initialisation c’était le bruit de la pompe à essence…mais j’y connais rien en mécanique. J’avoue qu’un petit « contacteur de béquille HS » m’aurait bien satisfait.
« Maintenant que l’on connaît la cause il n’y a plus à s’inquiéter. » Conclue Jean.
- Pardi ! Mais va falloir me virer le voyant rouge du tableau de bord. Sinon ça ne va pas être possible ! »
En plus je suis exigeant.

Entre temps nos deux compères seront arrivés, j’aurai téléphoné à toutes les concessions Aprilia sur notre trajet en quête de la pièce défectueuse en vain, appris le montant de la dite pièce avec regret et par la même fait le deuil d’un remplacement dans un futur immédiat. Egalement j’aurai appelé Dafy pour un éventuel changement de pneus pour le V60 aka La Brute dans l’après midi même, mais l’opération semblera impossible. Ainsi pas de regret ou d’hésitation.
Je note qu’aucun de mes compagnons de voyage n’aura eu l’outrecuidance de formuler la moindre remarque quant à la fiabilité de ma moto ; le même sort pouvant s’abattre à tout moment sur l’un ou l’autre des trois autres Tuono.

- « Regarde mon œuvre ! » Comme Jean semble m’y inviter.
Je note qu’il n’y a plus une vis parterre, déjà c’est beau. Et celle là sur l’établi? J’exagère.
Un morceau de scotch noir recouvre le récalcitrant voyant rouge désormais invisible.
- « Merci Jean ! »
C’est tout ce qu’il me fallait.


Le départ.
(https://nsa40.casimages.com/img/2019/02/02/190202042315281872.jpg) (https://www.casimages.com/i/190202042315281872.jpg.html)

Jean se charge de nous ouvrir la route pour regagner le Pilat. A brûle pour point je n’ai pas la tête à la navigation, mes pensées tournent en rond. Si tu ne reviens pas sache que je t’aurai prévenu!  Ce n’est pas bon de se laisser envahir par la pensée à moto. Tu te déconcentres, tu ralentis, le drame est si vite arrivé.
Soudain le GPS de Jean nous invite à nous pencher sur l’étymologie du terme « carrossable » et plus particulièrement sur son association contextuellement usitée de « route carrossable ». Déjà bien occupé par mon introspection sur l’origine de mes croyances et superstitions dans la pratique de la moto autant vous dire que la somme des sujets de fond à aborder dans un laps de temps si court me paraissait bien ardue. La solution ?
On s’en bat les couilles !
Alors gaz sur le chemin de 1,5m de large avec l’herbe qui pousse au milieu, les marches de 30 cm en sous-bois, le gravier, la terre éparpillée ça et là, et j’en passe.
D’un coup ça va mieux, le cerveau est débranché, juste connecté sur une seule tache. Réception et interprétation de l’environnement instantané pour réaction adéquate immédiate.

Ensuite Jean me parachute en zone méconnue, genre vas-y démerde toi, trouve la route.
A l’instar des cafouillages de son GPS je dois opérer un reboot de mon système de navigation interne, c’est à dire retrouver un check point connu pour pouvoir lancer la boucle. Bref je suis un peu perdu.
Peut-être ai-je effectué une manœuvre un peu large pour gagner la piste de décollage, suivi d’un court demi tour, ceci-dit une nouvelle voix s’invite dans mon casque à peine étouffée par le barouf du moteur, le casque et les bouchons d’oreille, et pas même la distance de trois motos. Cette voix ne provient pas de ma tête, j’en suis sûr ; je suis en connexion directe avec les pensées de Biké déjà inquiet du timing. Ce qui me fait sourire d’emblée. Cela dit désormais j’ai un point de repère, dans 10 minutes les choses sérieuses vont commencer.

Rive de Gier - Bourg Argental – Tence – St Agrève – Le Cheylard – Mezilhac.
Un tracé idéal pour du rodage de pneus et une thérapeutique remise en conditions.
L’hôtel des Cévennes est ainsi rallié en fin d’après midi.

Apéro !
Seb, habituellement abstinent, commande un rhum (!). A la fin de cette semaine il sera devenu alcoolique et drogué mais ça il ne le sait pas encore.
Le diner et les digestifs avalés il est déjà temps d’aller se coucher.

Au moment précis de se séparer pour regagner chacun sa chambre une révélation terrible me glace les os, un oubli impardonnable me revient subitement en mémoire, le plancher tremble sous mes pieds, la foudre et le tonnerre éventrent la bâtisse. J’ai oublié ma flasque de whisky !

Comment pourrons-nous accomplir notre pèlerinage sans notre boisson liturgique? Quel tragique destin nous attend? Biké reviendra-t-il sain et sauf ?


Teaser:
https://youtu.be/q2Se7g1DhCU
Titre: Re : Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal
Posté par: Bourrask le 03 février, 2019, 15:01:58 15:01
Samedi 11 aout 2018

Nous nous retrouvons à 8h30 pour le petit déjeuner avec comme objectif un rendez-vous à 9h au garage et un départ dans la foulée. On essaie de s’améliorer sur le timing.
L’année dernière chaque journée était un contre la montre, nous avions à peine le temps de jeter armes et bagages à l’arrivée pour la douche et l’apéro avant le diner, alors cette année nous décollerons plus tôt le matin. Ceci dit y’en a un qui n’a peut-être pas bien intégré l’objectif…
Aussi on modifie l’itinéraire initial pour emprunter les gorges de la Jonte avant notre étape finale du jour à Dourbies.
A 9h15 les moteurs s’ébrouent enfin. L’hôtel des Cévennes planté au carrefour d’une multitude de possibilités on prend à gauche pour changer. La D16 jusqu’à Sainte Eulalie qui nous permettra de rejoindre le premier tracé triple + de notre périple et le col de la Croix de Bauzon.
D’emblée la journée s’inscrit sous de bons augures, la température est un peu fraîche, le soleil radieux, les virages présents dès les premiers hectomètres. Pourtant au bout de quelques minutes un phare manque à l’appel dans le rétro. Seb et moi nous arrêtons alors que Jean effectue un demi-tour. Une intersection manquée ? Un tout droit ? Je prends les paris avec Seb. Dans le doute nous effectuons la même manœuvre que Jean quelques minutes plus tôt et retrouvons nos compères 500 mètres en amont arrêtés sagement sur le bord de la route.
La terrible révélation de la veille si elle n’aura pas eu d’incidence sur le continuum espace temps aura néanmoins provoqué quelques dommages collatéraux. Le maudit triangle rouge vient de s’éclairer sur le tableau de bord de Biké.
Tu veux du scotch noir ?

Un petit « on s’en bat les couilles » plus tard et nous voilà reparti pour le prochain ravitaillement en essence. Je vise les pompes juxtaposées au camping de Jaujac. Ce trip est en passe de devenir un véritable pèlerinage, j’ai toutes les stations services du coin en tête, pas besoin de smartphone connecté.
Biké reconnaît les lieux avec entrain, on ne la lui fait plus et la malédiction du triangle rouge s’est envolée. Pendant ce temps là Seb immortalise les lieux. D’ailleurs par la suite il photographiera méticuleusement chaque ravitaillement fidèlement à l’idée lancée au départ. C’est ça une bonne équipe. Y’a ceux qui lancent des idées à la con en picolant et ceux qui vont au bout des choses.
Maintenant c’est gaz pour la Croix de Bauzon !

La montée démarre au pied de la station, c’est le premier vrai manège du trip et à ce moment je me rends compte que je suis véritablement en vacances. Définitivement il n’y a aucune malédiction en cours. Avoir les moyens et le temps de réaliser un périple de plus de 3000 bornes avec des potes, sur des spots de folie et des motos de dingues taillées pour le virage, c’est une chance incroyable. Alors on se doit de l’apprécier à sa plus juste valeur. Et ce n’est que le début d’un trip qui nous mènera aux portes du paradis de la moto, ni plus ni moins, là bas dans les Pyrénées.
Je ne me souviens plus mais certainement qu’on est monté en mode attaque. Quatre V4 hurlants depuis les gorges jusqu’au sommet, on devait nous entendre arriver de loin. Et souvent je me ferai cette réflexion au cours du voyage, surtout à l’approche des voitures s’écartant immédiatement à notre contact ; on doit produire un bordel acoustique pas possible.

S’installe ainsi une certaine routine, spéciale sur spéciale avec très peu de temps morts, on dirait presque un job. Et qu’est-il de plus commun avec le travail ? C’est l’amélioration.
Alors je prends des engagements auprès de Biké. Il est convenu que cette édition nous prendrons plus de photos.

Quelques encablures avant Villefort, un caisseux en Golf GTI ? Ou Mégane Sport ? Ou 308 GT ? Bref une de ces BAR grises insignifiantes un peu sportive nous incite à de la petite arsouille sur le beau bitume en descente. Poli et très joueur par nature j’accepte l’invitation en bonne et due forme.
Le conducteur ne se révèlera pas très bon, la poursuite sans intérêt, alors à l’approche du point de vue panoramique sur le lac de Villefort j’opterai pour le premier arrêt photo de la journée. Vois-tu Biké tous les sacrifices que je consens pour toi ?
Le caisseux aurait été bon plutôt mourir que de s‘arrêter, hein.

(https://nsa40.casimages.com/img/2019/02/03/190203025204998573.jpg) (https://www.casimages.com/i/190203025204998573.jpg.html)


Nous repartons par la route du mont Lozère.
Nouvel arrêt photo pour tenir (encore) quelques promesses. Plus loin nous déjeunerons au Pont de Montvert dans la salle intérieure du resto situé en bordure d’un cours d’eau.

(https://nsa40.casimages.com/img/2019/02/03/190203025233462187.jpg) (https://www.casimages.com/i/190203025233462187.jpg.html)

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Nous reprenons la route en direction de Florac et son étape certifiée en ravitaillement. Ensuite on tire sur la D16 qui part du centre de la bourgade avec son tracé en pointillés rouge et blanc sur la carte Michelin. Comprendre épingles serrées et revêtement pas terrible. Quelques automobiles et autres chicanes mobiles devant nous une voiture s’extraie avec force du trafic momentané. Je ne reconnais pas le véhicule mais de loin on dirait une voiture de course issue de Fast and Furious Tokyo Drift. Ca clignote direct « jeu » dans ma petite tête ; suivi d’un « pas tout de suite ». Dans l’immédiat il y a trop de monde sur cette route pourrie. Le plaisir de la chasse est de laisser partir la proie. Attendre son heure pour jouer avec elle tout en lui laissant un espoir d’échappatoire, pour finalement l’enserrer au dernier moment toutes griffes dehors. Je ne suis pas psychopathe seulement très joueur. Surtout une voiture de sport peut se révéler être un gibier beaucoup plus sportif à chasser qu’une moto.
On remonte un peu plus loin sur notre proie. De plus près je distingue trois ou quatre sorties d’échappement en partie centrale, un aileron arrière, et le moteur a l’air de marcher, rien à voir avec la Ford Escort GTI mazout du père Jacky. Seb nous apprendra plus tard que c’était une Honda Civic type R.
Sur le plateau des Causses Méjean, et ses paysages irradiés par cette lumière jaune caractéristique, la route se veut roulante, le bitume incertain et gravillonné, cependant la chasse se terminera à des vitesses largement prohibées. Sur un ruban propre et bien sinueux cela aurait pu être plus fun. Ici le conducteur aurait dû nous mettre la misère, mais il s’écartera pour nous laisser passer non sans avoir lutter. En même temps on veut bien le comprendre avec quatre V4 hurlants au cul. C’est le seul prétendant qui aura voulu jouer avec nous durant tout notre voyage. Souvent par la suite je m’avouerai ne jamais vouloir nous croiser.

Nous redescendons enfin sur les gorges du Tarn pour les 10 kilomètres nous séparant du Rozier et des gorges de la Jonte, notre objectif du jour. Les routes de gorges sont celles que je préfère je peux le dire. Un relief pas trop prononcé, des virages en enfilades et quand le bitume est parfait et déserté comme c’est le cas ici, le kif est assuré. Meyrueis atteint rapidement nous faisons une halte sur la passerelle ombragée d’un bar enjambant la Jonte.

(https://nsa40.casimages.com/img/2019/02/03/190203025444560861.jpg) (https://www.casimages.com/i/190203025444560861.jpg.html)


Il est 17h-18h, nous repartons pour un spot local encore ! Décidemment ce job est fatiguant.
30 bornes de virages incessants nous mèneront non loin du sommet du Mont Aigoual jusqu’à la bifurcation pour la toute petite départementale qui conduit à Dourbies notre étape pour la nuit.
Cette fois nous serons raisonnables sur ce tracé à la qualité de revêtement changeante, on verra le prochain coup.

A l’hôtel nous sommes accueillis par Francis Cabrel en personne ou presque. En tout cas son intégral musical est joué en boucle sur la sono de la salle de séjour. Je crois que le son du V4, valve ouverte en grand continuellement, me fatigue moins.

Heureusement Seb a gagné les faveurs de la cuisinière de l’hôtel qui consentira à changer de disque.
« Johnny ça vous irait ? »

Après le repas et une excursion sur la place du village où se tient LE concert de l’année nous finirons la soirée sur la terrasse de l’hôtel un Whisky/Rhum en main à contempler un ciel noir limpide ponctué d’étoiles scintillantes. Et de satellites aussi. Et de lumières rouges balisant une piste d’atterrissage pour ovnis extraterrestres dans les montagnes.
En cette Nuit des étoiles, seul Seb aura observé un astre filant et prononcé son vœu : se taper la cuisinière édentée.
Et ça continue encore et encore, c’est que le début d’accord d’accord…





Dimanche 12 aout 2018

Que j’apprécie cette petite excitation matinale d’avant départ. Comme les jours précédents nous quittons la table du petit déjeuner la sentence officiellement prononcée :
« A 9h on est sur les motos ! ».
Elle pourrait se traduire officieusement par « le dernier arrivé est un boulet ».

Il est 8h40, il me reste 20 minutes pour : remonter dans la chambre (30’’), boucler mon sac (4’), enfiler la combinaison et les bottes (8’), régler la chambre (5’?), fixer mon sac sur la selle (5’), graisser la chaine, etc.
Merde déjà 22’30’’ ! Ca va être chaud.
C’est ce à quoi je pense en fumant ma première clope du matin en compagnie de Biké.
Je l’écrase à moitié grillée dans le cendrier.
« C’est trop tôt pour moi, elle est dégueulasse. A tout de suite Biké, tu peux prendre ton temps y’a pas le feu, on est en vacances. »

A 8h57 je dévale l’escalier menant à l’accueil, le lourd sac de selle dans une main, la sacoche de réservoir et le casque dans l’autre. Je suis déjà en nage mais tout va bien. Je contourne un groupe de clients hagards présents dans le hall, et m’approche du comptoir ; la note est prête, Seb et Jean étant déjà passés régler leur part.
Biké ? Impossible qu’il me rattrape avec le groupe ici présent. Mais j’aurai peut-être du bloquer la porte du petit hall d’entrée commun à nos deux chambres pour être sûr.
A 9h10 les bagages sont arrimés sur la moto, je vais enfin pouvoir fumer une clope tranquillement en savourant l’arrivée de Biké.
« Bah alors qu’est-ce que tu fous, c’est toujours toi qu’on attend pour partir ! Tu sais ce que ça veut dire de respecter un horaire? »

Nous démarrons la journée à l’endroit où nous l’on l’avions laissée la veille sur cette minuscule départementale qui serpente le long des gorges de la Dourbie. Hier si le revêtement de la route semblait pourri, la portion de 20 bornes à venir elle est recouverte de gravier et invite plutôt à la contemplation. Quelle sensation unique de ressentir cette quiétude improbable au milieu de paysages sublimes et sauvages. Aidés par un silence profond, l’air frais du matin et les doux rayons de soleil favorisent l’apaisement du corps et de l’esprit. Ce spectacle rare et étranger à nos turpitudes urbaines, nous arrache littéralement à notre quotidien et invoque la paix, tout simplement.
Nan mais LOL ! Ca m’évoque plutôt ceci:

https://youtu.be/UBEabGgUBYk


Moi j’attends avec impatience les nombreux tracés annotés double et triple ++ de la journée et leur bitume tout noir. Alors, gravier ou pas, gaz pour s’arracher au plus vite de ce merdier et rejoindre, via une courte liaison faite de départementales désertes, le premier spot de la matinée. Et d’après la carte Michelin il est tout aussi poétique: Le Cirque du Bout du Monde. Là on ne nous servira pas la Comtesse de Ségur mais plutôt du Bukowski.

Gavage ! Tout de suite après c’est le deuxième temps fort et la montée de course de cote depuis Lodève. Un véritable circuit taillé dans la montagne avec sa triple épingle à droite dont la dernière est totalement à l’aveugle. Une particularité de cette route qu’il suffit d’avoir vécu une seule fois pour la graver en mémoire à jamais. Quand tu ne vois plus la route et que tu crois que c’en est fini de tourner, jette la moto à droite!

Passée une courte liaison toujours sur départementale, puisque contrairement à Jean Yanne je ne roule jamais sur nationale, nous voilà arrivés à St Pons de Thomières et son départ pour un tracé annoté simple +. Je l’aime bien. La route est large, le bitume impeccable, tous les virages se passent à vue sans surprise, c’est du rapide très facile. Alors on gaze. Au sommet du col je sais que l’on devine la méditerranée à l’horizon au niveau de la dernière parabolique. L’année dernière on avait filé. Etant donné mes engagements et qu’ensuite le tracé a peu d’intérêt, je décide de nous stopper. Pour Biké dirai-je.

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Le temps de prendre quelques photos, le groupe de motards aperçu à la station située au départ du spot nous rejoindra après nous avoir gratifié d’un aller-retour dans la grande parabolique où nous avons pris nos quartiers. Avec le genou parterre puisque c’est la mode désormais. Enfin surtout chez les jeunes tellement obnubilés « à poser » en virage qu’ils en oublient la vitesse de passage.
La jeune horde sauvage s’arrête à nos cotés et l’on comprend que ce doit être le circuit du coin. Très sympa l’échange est convivial. Mais comment dire ? Cette impression de regarder des chiens se renifler le cul, en l’occurrence les nôtres, je trouve ça bizarre. Si vous voulez on repart tous ensemble pour un aller retour et on voit qui gagne ? Me titille une voix insidieuse qui repart aussi vite qu’arrivée.

« Et vous allez où ?
- Les Pyrénées espagnoles.
- La Costa Brava ?
- Non, les petites routes désertes on préfère. »
On ne leur parle pas de Jean Yanne évidemment.

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De franches salutations échangées nous voilà repartis pour l’aventure, vers l’infini et au delà !
Vingt bornes plus loin nous nous arrêtons pour le déjeuner sur la place centrale et ombragée de Lézignan-Corbières. Dans un salon de thé.
Ouais on est comme ça. On boit de l’eau, on mange des paninis et des glaces arrosées de crème chantilly. L’alcool c’est uniquement le soir à l’hôtel.

Ensuite nous reprenons la route des pays cathares qui traverse un relief de collines et de monts revêtus d’une végétation aride. A chaque fois c’est la même image qui me revient en tête, je m’imagine la vie qui pouvait régner ici au temps des chevaliers, mon esprit divague ensuite vers Don Quichotte et Sancho Panza…je voudrais voir des moulins à vent de partout!

Plus loin, à Lagrasse, débute une étroite route longeant un cours d’eau faite de bosses et de trous qui m’évoque également le médiéval, l’âne ou le mulet je ne saurais dire.

Au bout du chemin, nous bifurquons à droite après avoir échangé géographie avec de sympathiques autochtones allongés paisiblement dans leur jardin, et reconnaissants que nous coupâmes nos moteurs durant ce laps de temps. C’est qu’ils doivent en entendre passer des motos devant leur maison située au pied du col du Paradis (nom véridique et double +). Nous repartons en trombe comme il se doit.

Ensuite Couiza, Quillan et son radar. On décidera plus tard d’un code à établir pour la bonne communication de l’information ; un langage simple à base de signes évoquant cercle et doigt tendu.

Enfin sur le plateau de Sault, quelques gouttes de pluie nous accompagnent comme pour annoncer notre venue à Ax Les Thermes non loin de nous désormais. Quelques dizaines de minutes plus tard les motos sont devant le garage de l’hôtel. A peine le temps de s’abriter sous la terrasse couverte de l’établissement et c’est une franche averse qui sonne notre arrivée. C’est ça un plan qui se déroule sans accroc !

La gérante de l’hôtel a pris un coup de vieux, trente ans au bas mot, mais l’agréable brasserie d’en face est toujours là et on pose les bagages pour cinq jours.
La soirée nous permettra de réciter la liturgie classique en entier : apéro, resto, digeo, casino, dodo.

Pyrénées nous revoilà !
Titre: Re : Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal
Posté par: Bourrask le 03 février, 2019, 15:29:39 15:29
Lundi 13 aout 2018

Les Pyrénées nous attendront finalement une journée de plus.

Ce matin le ciel est gris et bas. Les sommets alentours submergés par une épaisse brume sont invisibles. Pire, les prévisions météo, annonçant des averses à partir de la fin de matinée, nous laissent peu d’espoir d’amélioration. La pluie, à l’encontre de notre plaisir, arrive.

Moi j’ai une combinaison de pluie.

Ouais, parce que y’en a qui parte en trip moto d’une dizaine de jours avec juste rien, pas même un k-way décathlon à déchirer lors de la première bourrasque venue.
OK moi j’ai une surcharge de 15 kilos sur la selle arrière qui fait rigoler les autres avec leur sac à dos de 20 litres, mais le mien c’est un vrai canot de sauvetage. Comme dans la navigation maritime c’est un élément de premier secours dont on espère ne jamais avoir l’utilité mais qui peut se révéler primordial en cas de naufrage.

J’énumère la liste des éléments pour les étourdis qui m’accompagnaient et pour la prochaine édition. Normalement tu viens au moins avec la bite et le couteau comme on dit. Bah Biké lui il vient juste avec sa beuhère !
- En numéro un, la flasque. De whisky de préférence. Ok je l’ai oubliée cette fois et on a pas fini d’en subir les conséquence. Si t’as vraiment rien d’autre avec toi elle te permettra d’effacer momentanément ta déconvenue en attendant les secours.
C’est un serum. Tu guéris tout seul. La moto avec si tu as pris le modèle d’un demi litre.
Option Deluxe : la couverture de survie. Prévient l’hypothermie et accessoirement permet de dormir en attendant la dépanneuse.
- En 2, le scotch. Comme on a pu le voir avant, tu ne répares pas grand chose avec le ruban adhésif mais tu traites l’aspect psychologique des choses. Très important.
- La graisse à chaîne. Tu fais de la moto.
- De l’huile moteur. Tu roules en italienne.
- Un kit anti crevaison. Joker possible, tu changes le train de pneus.
- Des outils. Jeu de clefs BTR, Leatherman, etc. Des outils à fournir à Jean pour qu’il bricole ta moto puisque toi tu sais pas faire.
Option Deluxe : la clef pour desserrer l’axe de roue arrière non fournie avec la moto (merci Aprilia), des fois que t’aurais besoin de retendre la chaine. Mais comme tes pneus ne durent pas plus de 2500 bornes c’est le mécano qui s’en charge en général.
- Des leviers de rechange au cas où la moto tombe toute seule.
Exemple : Tu es devant la porte du garage, la pluie tombe à grosse gouttes et la porte télécommandée à distance depuis l’accueil ne s’ouvre pas d’elle même. Très vite tu perds patience, rien de plus normal. Alors tu sautes brusquement de ta moto pour mettre sa race à l’hôtelière et patatra la moto se retrouve parterre !
- On pourrait rajouter un câble d’embrayage, un moteur de valve d’échappement, un optique de phare complet, un alternateur, une selle garnie en gel, un réglage de suspension et une vidange de fourche, etc. Mais là on emmènerait plus Biké et ça c’est juste pas possible !

Concernant le poste humain chacun déterminera ce dont il a besoin et d’autres plus intelligents se feront livrer un colis avec tout le ravitaillement nécessaire au camp de base.

Aujourd’hui la météo s’annonce pourrie. Heureusement il y a le câble et Eurospub sur toutes les télés de l’hôtel.
Nous décidons après le petit déjeuner de réaliser un atelier lessive à la main pendant la rediffusion du GP moto de la veille. RDV dans la chambre de Seb à 9h30 !

Perso les GP depuis que Rossi n’est plus en position de gagner je m’en bats les couilles. En vérité pas tant que ça, sait-on jamais tout espoir est permis, j’ai regardé les résultats la veille.
Alors pendant l’activité lessive (deux plongées pour trois essorages dans le petit lavabo de la salle de bains) entrecoupée de quatre coupures commerciales d’Europub, je demanderai lors du final de cette course à grand suspense : "Voulez-vous savoir qui l’emporte? C’est mon deuxième pilote préféré !"
Un peu plus je me faisais trucider.

La rediffusion achevée il est temps de décider du reste de notre journée. Un passage par le Pas de la Case était convenu. Et la quatrième dimension s’est ouverte à moi !
Si on prend le train de 11h42 depuis Ax les Thermes on arrive à 12h13 à Foix. A Foix on prend le bus de 13h17 jusqu’à Tarascon où on loue une voiture au Rent Car situé à 20 minutes à pied pour ensuite monter au Pas de la case. Aller-retour idem, à 21h30 on est rentré. Vous en pensez-quoi ?

Moi j’ai une combinaison de pluie.

Après les apéros et resto de midi, ce sera plutôt : « moi j’ai sieste ».

Nous passerons l’après midi à flâner dans les ruelles de la ville imprégnée de cette odeur de souffre de moins en moins supportable. L’après midi se dissipe ainsi entre la paix et l’odeur du pet. Très vite vient l’heure de l’apéro fort heureusement. C’est qu’on bosse dur même sur nos temps de repos !

A l’heure du digestif arrive cette question : « on va où demain ? »

Je réfléchis au quatre road-book prévus depuis Ax les Thermes. Les seuls itinéraires préparés avant le départ. Les 1000 bornes jusqu’ici n’étaient que réminiscences, improvisations et essais. La journée Off de ce lundi nous aura permis, sans doute, de préserver les pneus pour la suite à venir. Le physique ne s’en plaindra pas non plus.
Cette fois-ci point de place au hasard, la déception ne sera pas de mise. Street View m’a aidé aussi. Passé Andorre et une partie roulante, le tracé entre Tremp et Ripoll devrait nous offrir 250 km de routes de folie, du double + au minimum tout du long avec du quadriple + pour le final.

Le matin les qualifs. L’après midi la course.

« Demain on va en Espagne. »

PS : « Moi j’ai une combinaison de pluie. »
Titre: Re : Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal
Posté par: Bourrask le 03 février, 2019, 15:47:40 15:47
Mardi 14 aout 2018

The big day.

J’apprécie ces petits plaisirs simples qui annoncent une belle journée de moto. Le petit refrain que les moteurs entament les uns après les autres pour un concert de vocalises matinales. Le spectre des sonorités s’étend de l’aigu au grave selon le type de sourdine employée. Depuis sa rupture de valve mon instrument lui est comme sponsorisé par Massey Ferguson. Ses grondements m’évoquent un engin agricole voire un bateau de pêche maritime plus qu’autre chose.

Première enclenchée, gaz. Aujourd’hui nous visons la traversée d’Andorre sans un arrêt shopping au Pas de la Case reporté à plus tard. Ce sera le sud-ouest au plus direct vers les prometteuses petites routes de la carte. La montée jusqu’en Andorre s’effectuera dans une atmosphère fraiche et humide accompagnée d’un brouillard qui s’épaissira à mesure de notre ascension pour disparaître comme par enchantement au passage de la frontière montagneuse. L’épreuve du bouchon automobile habituel et étendu sur plusieurs kilomètres avant le poste douanier me laissera tout le temps de réaliser, une fois encore, que de telles conditions me semblent bien plus périlleuses qu’une arsouille sur route déserte.

La frontière rapidement franchie je retrouve ce sentiment particulier qui m’envahit à chaque fois. Cette impression de quitter le territoire connu, de s’extirper du quotidien. Ce n’est pas très loin. Pourtant le début d’une véritable aventure raisonne dans ma tête.
Je vais faire de la moto dans un pays qui n’est pas le mien, c’est génial !

Viendra ensuite la traversée de la province d’Andorre longue, ennuyeuse et ponctuée d’un grand nombre de radars. La technologie m’agaçant parfois (souvent ?) j’emploierai ici une méthode éprouvée et me fierai à un local pour nous ouvrir la route.
Soudain à l’occasion d’un rond point, Jean m’indique sa pressante envie de culture locale: « Faut qu’on s’arrête boire un café ! »
Alors nous faisons halte dans l’une des dernières stations essence particulièrement bien équipée située peu avant la frontière, pour se ravitailler en essence et se rafraichir. A la vue des portes de l’officine ici présente chez nos voisins catalans, je prendrai la pleine mesure de la politesse de Jean.

https://youtu.be/8bsXIpufoz0

La courtoisie française honorée, nous quittons la station et franchissons la douane espagnole quelques minutes après. Les premiers kilomètres envahis par un trafic routier certain laissent bientôt la place à un réseau déserté et une chaleur agréable à partir de la Seu d’Urgell. Comme l’année dernière le contraste est saisissant entre les deux contrées toutes proches. Enfin arrive la bifurcation pour le col del Canto après les 80 kilomètres inintéressants empruntés depuis le départ de l’hôtel. Place au jeu !

La route grimpe d’un coup et nous offre des points de vue magnifiques sur les reliefs de la Serra del Cardi. Dans le rétroviseur.
Pourquoi on s’arrêterait ? On vient de lancer le jeu!
La descente de l’autre coté du sommet est belle aussi. Plus loin s’ouvre à nous le Vall de La Noquera. Le tracé est large, la visibilité excellente, le bitume parfait et désert. Nous n’avions emprunté que très peu de roulant sinueux jusqu’alors, c’est agréable en conviens-je ici. D’autant que sur le territoire espagnol les appareils connectés des mes compagnons annoncent précisément la position des radars. Parfois la technologie a du bon.

Les kilomètres s’enchainent ainsi jusqu’à Tremp et son lac d’un bleu turquoise splendide. Enfin j’imagine…Un jour on fera ce trip en 125 et on en prendra le temps de s’arrêter pour tout photographier, c’est promis.
Nan, je déconne ! Faudrait le faire à vélo pour être sûr.

(https://nsa40.casimages.com/img/2019/02/03/190203033949342098.jpg) (https://www.casimages.com/i/190203033949342098.jpg.html)


Un peu plus loin on s’arrêtera quand même, non pas pour le tourisme mais pour soigner la turista de Jean. Quelques conseils avisés me viennent en tête mais devant une telle implication dans la découverte de la culture locale je n’ose les partager sur le moment.

https://youtu.be/1Klb9_oPS-g

Trêve de plaisanterie, cette fin de matinée marque le début d’une « spéciale » de quasiment 200 bornes depuis Tremp jusqu’à Ripoll. Un enchainement de virages sans temps mort avec juste ce qu’il faut de très courts bouts droits pour se reposer (très) brièvement sur un bitume parfait et déserté. Une déesse routière incarnée !
Dans ces cas là je ne me souviens de rien. Seulement de la symbiose entre le corps, la moto et la route inconnue. Dans ces rares moments, la moto est une drogue. Avec l’impression de voler ou de planer. Mais bon faudrait pas se rater dans le double gauche à flanc de précipice.
Ouais y’a quand même deux ou trois éclairs de lucidités qui émergent par moment.

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On aurait pu continuer ainsi jusqu’à la panne sèche mais on décidera de s’arrêter vers 14 h pour déjeuner à l’heure espagnole.
Je ressens une immense déception en lisant la carte du restaurant. Le menu est traduit en français et en anglais. C’est quoi cette arnaque ? Où est-elle l’aventure culinaire ? Nous voudrions ne rien comprendre et rigoler en découvrant les plats mystères commandés. D’autant que je réalise enfin qu’ici on ne parle pas l’Espagnol mais le Catalan. C’est pour ça que je n’avais rien compris l’année dernière… Même les jours de la semaine sur le calendrier au dessus de notre table ne ressemblent en rien à l’Espagnol.

Rassasiés nous reprenons notre perfusion de drogue qui m’avait déjà un peu manqué.
A Berga c’est l’arrivée du gros shoot jusqu’à Ripoll. La route 4+, note maximale possible. Une urgence, une overdose ? Appelez Vincent Vega !

(https://nsa40.casimages.com/img/2019/02/03/190203034343696652.jpg) (https://www.casimages.com/i/190203034343696652.jpg.html)
Le Graal se cache derrière ces reliefs.


Le trip sera à peine ralenti sur quelques kilomètres par une voiture de la brigade florale espagnole.
« Non mais la prochaine fois tu doubles et nous attend de voir si le gyrophare s’allume pour suivre. Au pire on ne te connaît pas. » C’est noté.

Les bras tétanisés par les enchainements incessants de virages nous gagnons enfin Ripoll où nous effectuons un arrêt réhydratation obligatoire.
Déjà il est temps de regagner la France via un détour par La Molina et sa station de ski pour rallier Puigcerda et Bourg Madame. Enfin le col de Puymorens avec son tracé extra large de circuit de vitesse nous conduira jusqu’à Ax.

Devant la porte du garage, j’ai l’impression que ma moto ressemble désormais à une épave. En plus du moteur de valve HS je m’aperçois que l’optique avant est cassée depuis l’intérieur et qu’une vis de carénage s’est fait la malle. On dirait la moto de Biké de l’année dernière…

Mais qu’importe. Cette virée tant attendue valait bien tous les sacrifices. Après advienne que pourra.
Car ce V4 est une putain de drogue dure !

Ce que je ne devine pas encore c’est que le meilleur reste à venir.
Titre: Re : Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal
Posté par: Bourrask le 03 février, 2019, 16:12:22 16:12
Mercredi 15 aout 2018

https://youtu.be/B1c2ukdqxlw

Ce matin mes sous-vêtements étendus à sécher dans la chambre depuis deux jours sont enfin secs. Hourra !
Cela dit j’enfile la même sous combinaison que la veille, non lavée…parce qu’elle est super bien ! C’est l’Alpinestars Ride Tech Summer si vous voulez savoir. Judicieusement aérée, sans couture et sans fermeture éclair, elle s’enfile par le haut tel une grenouillère babygro. Confortable et respirante elle est très agréable à porter sous la combi cuir.
Voilà c’était le placement produit sur un médium de large diffusion pour récupérer quelques brouzoufs.
Je précise aussi que je suis ouvert à tout partenariat éventuel avec un marketeux de l’industrie du tabac, de l’alcool ou de la pétrochimie ; cela ne me poserait aucun souci d’ordre moral.

A 9h, comme tous les matins je retrouve ma bande de potes devant le garage. Enfin en partie. Jean et Seb d’abord. Ensuite comme tous les matins, à trois, nous attendons Biké.
En général quand il se pointe nous sommes équipés et prêts à partir, les chaines sont graissées et le matériel rangé; lui se roule une clope avec le sourire.
Oui ! Il sourit.
Sûrement savoure-t-il ces quelques minutes apaisantes avant le long supplice de la journée, ces derniers instants où un vestige de communication neuromusculaire semble encore traverser faiblement sa grande carcasse courbaturée de la veille.
Très vite le gaillard reprend ses esprits.
« Mais moi aussi il faut que je graisse ma chaine. Elle est où ta graisse Quentin ? Et t’as pensé à prendre de l’huile moteur j’espère.»

Comment te dire ? Ah si :
https://youtu.be/iGJgyuAu6eo

Mais on l’adore ! Alors le soir on encourage notre valeureux et méritant Biké à monter sur la plus haute marche du podium, à rentrer sa moto en premier dans le garage. Ainsi le lendemain on pourra sortir les nôtres sans le maudire pour ensuite se foutre gentiment de sa gueule. C’est ça, peut-être, l’esprit motard.

Avant le départ viendra le contrôle visuel de l’état des pneus, et pour certains l’opération consiste quasiment à opérer un toucher rectal de l’engin. Bref les pneus commencent à tirer la gueule. On évitera le comparatif Michelin versus Pirelli puisqu’on sait tous qui l’emportera. Seulement Seb est en Michelin, nous autres sommes en Corsa II.  Pour ma part j’en conclue qu’il devient nécessaire d’engager le mode enroulé pour espérer atteindre le terme du voyage sans passer par la case « changement de pneus ». Enroulé dynamique cela va sans dire. La souplesse à la remise des gaz n’excluant pas les entrées en courbe impromptues.

C’est bon, on peut y aller ?

Gaz pour Tarascon via la N20. Je n’avais pas réalisé sur la carte. Petite pensée à Jean Yanne, encore. C’est un vieux skecth, une vielle époque ; aujourd’hui la modernité. Seb nous ouvrira la route à la moindre alerte sur son smartphone et ce jusqu’aux portes du parc de la préhistoire ariègeois qui me fera m’interroger sur la véracité de notre continuum espace temps.

https://youtu.be/mfKl4exMvyU

A Tarascon nous bifurquons pour le col de Port. Ca tourne serré, y’a plus personne, on retrouve enfin notre routine quotidienne avec bonheur.
Une vingtaine de kilomètres plus loin le sommet et son point de vue panoramique sur les chaines montagneuses alentours est l’occasion de marquer le premier arrêt photo de la journée. Au même endroit que l’année dernière comme le veut notre pèlerinage. Aussi la vue sur le pic d’Estibat et derrière lui la frontière espagnole est l’occasion de se remémorer certains moments historiques de la seconde guerre mondiale. La culture et son partage sont des valeurs qui cimentent notre groupe.

(https://nsa40.casimages.com/img/2019/02/03/190203035929416217.jpg) (https://www.casimages.com/i/190203035929416217.jpg.html)

(https://nsa40.casimages.com/img/2019/02/03/190203040004872996.jpg) (https://www.casimages.com/i/190203040004872996.jpg.html)


Version alternative peu probable.
J’ai envie de pisser depuis un quart d’heure mais s’arrêter au milieu de tous ces pif-paf, épingles et enfilades serait un sacrilège qui reviendrait à tuer la montée fantastique. En haut je me rappelle qu’il y a un parking, Biké sera content de prendre des photos.
Biké : « Oh Quentin tu pourrais te renouveler un peu, on s’est déjà arrêté ici l’année dernière. »
Moi : « Non mais y’a qu’une route ici. Et la descente comme la montée est terrible. On s’arrêtera pas. »
Seb : « Non mais qu’est-ce qu’on se fait chier ici ? Ces paysages dégueulasses, ce ciel bleu et ces virages à perte de vue ! Hein, pourquoi ? Bordel De Merde ! »
Jean : « On s’en bat les couilles ? »
Si on croise un groupe d’Allemands en 1200 GS on les défonce !

En vérité le sketch s’est étendu sur 10 minutes et presque je me serai pissé dessus !

Dans cette bonne ambiance nous enfourchons nos motos pour la fameuse descente qui nous amènera, tout en bas des reliefs, vers une route de gorges totalement jouissive entre Massat et Oust. Double + !

A Oust deux éventualités s’offrent à nous. Soit on tire tout droit jusqu’à Seix ; soit on fait le tour de la montagne et on arrive par derrière (sic).
Je décide de la temporalité des évènements, je suis comme ça... Nous n’irons pas en Espagne comme le road book initial le prévoyait, personne n’ayant l’envie d’achever la journée par la traversée d’Andorre. La journée restera française en totalité. Et puis le coup de la boucle de 50 bornes dans un rayon de 5 kilomètres, je l’adore! Si ça se trouve ils ne comprendront pas.

Finalement je n’aurai plus aucun secret pour mes compagnons de route. Tous auront compris la supercherie avant même la fin de la boucle. A l’avenir il faudra trouver de nouveaux stratagèmes.

Vers midi quelque part sur le col de Mente, vient l’heure de la pause déjeuner. Pour une fois on s’arrête tôt, pour une fois j’innove. Bah oui je pense à Biké moi comme toujours.

Bienvenue au Groland.
Un reportage détaillé pourrait s’étaler sur deux pages tellement matière il y aurait à décrire. Finalement ce souvenir n’ayant globalement que peu d’importance je me contenterai des punchlines du sketch qui nous a été joué.
Je passe ainsi l’apéro commandé servi 20 minutes plus tard alors que nous sommes à ce moment les seuls clients ; la carte présentée sur papier A5 lignes quadrillées avec menu unique à 20€ à régler en espèces uniquement; le «J’ai de la cote de porc aussi, mais il ne m’en reste qu’une » ; le panneau parking « Ferrari only » ; le couple arrivé ensuite qui attendra lui aussi un quart d’heure sa commande de boisson ; tout comme les malheureux trois autres clients suivants.

Numero uno / on est là depuis 45 minutes, le patron s’adresse à nous :
« Je voulais savoir si vous vous vouliez manger maintenant, parce que moi je suis prêt ».
On espère qu’il parle du service. L’unique entrée, une assiette de charcuterie, arrivera 10 minutes après. C’est pas mal mais on devine que c’est juste l’introduction.

Number two / High level.
A ce moment il n’y a que nous quatre, un couple arrive. A l’intérieur une douzaine de tables est dressée et autant de possibilités sont offertes sur la terrasse où nous déjeunons.
Le patron l’air grave s’adresse à ses nouveaux clients :
« Pour boire un coup c’est possible. Pour déjeuner il ne reste plus grand chose à la carte. On va voir ce que l’on peut faire… mais je ne vous cache pas que cela va être compliqué. On va faire le maximum ! »
Là on a bien envie d’applaudir.

Numéro trois, LA blague. LA vanne du spectacle.
La femme du patron propose les desserts, le dessert. Un crumble de pommes comme choix unique vanté avec la formule magique :
« Vous ne le regretterez pas ! ».
Direct le ton employé m’a fait pensé à ça, vraiment :
https://youtu.be/UK-XrKAjvnQ

La « chose » présentée n’est qu’un amas indescriptible littéralement jeté dans ce qui s’apparente plus à une sous-coupe de tasse à café qu’autre chose.
On laissera à Jean le soin d’assurer, seul, le rôle d’Antonin.

15h. La chute. Le clou du spectacle. J’ai nommé l’addition !
On aimerait discuter le décompte des quatre menus complets pour seulement une entrée, quatre plats et un dessert. Peut-être aussi obtenir une facture avec le cachet en bonne et due forme de l’établissement ; pour rigoler.
Alors la matrone nous sert sa ruse la mieux ourdie :
« Vous avez raison. Mais j’avais oublié de vous compter les cafés. »
Et ça va couter plus cher ?

Bordel que j’eusse aimé foutre le feu à son établissement avec ma flasque de whisky et lui tatouer le front de l’infâme triangle rouge !
Au final, affranchi de notre dette on se casse enfin. Alléluia !

Pourtant à peine quelques kilomètres parcourus et je suis comme touché par une malédiction.
Les cartes me trahissent. La lecture des parchemins (ouais ma carte est annotée, pliée et repliée comme du papyrus, d’où la métaphore avec l’Egypte, le médiéval, Pulp Fiction et Marcelus Wallace https://youtu.be/A6zqu_9Sb7w, parce que toutes ces conneries sont liées) habituellement facile me devient obscure et me ramène inéluctablement à notre point de départ comme par enchantement.
Putain de sorcière ! On retourne là bas et on brûle tout !

Au lieu de cela je sacrifierai mon âme (encore une fois) sur l’autel de la technologie.
Alors j’appellerai à l’aide Seb et son GPS.
« Je ne trouve pas la route de Fronsac, faut que tu m’aides avec ton smartphone. »
Une pensée m’accompagne en même temps: Non mais sans déconner, on y retourne et on brûle toute la famille de cette tepu.

Comme par magie le sort qui condamnait la route de Fronsac s’envola avec l’aide du mage que les autres nommaient « Waze ». Je ne le connaissais pas ce Waze mais déjà je ne l’aimais pas.
Mais je lui ai quand même mis sa race à leur Waze.  Avec ma carte Michelin. Autant pour les pneus je suis Pirelli voire Dunlop autant pour les cartes et les guides culinaires je reconnais qu’il n’est pas mauvais le bibendum.
Depuis la dernière bourgade du coin au nom imprononçable « Sèngouagnet » jusqu’à Girons j’engagerai le mode tout droit sur la carte. Départementale perdue, chemin gravillonné ou route vicinale de 1,5 mètres de large tout y est passé pour rejoindre au plus court notre destination.
Alors où est-il votre« Waaaazzze » ?

Une dizaine de bornes avant Girons nous bifurquons sur la nationale. C’est aussi ça le jeu du tout droit, du tracé au plus court. Sur cette courte liaison insipide, la malédiction aura pourtant frappé encore. Cette fois-ci une automobile. Autant dire qu’on « s’en bat les couilles ». Sauf peut-être des deux charmantes demoiselles au teint halé et à la jupe courte. La valise sur roulettes en main, les yeux hagards emplis de l’air perdu du touriste loin de chez et lui faisant face à l’imprévu, le regard trahissant un « mais qu’est-ce que je fous là ? »
Et on se le demande à la vue de cette scène improbable. Malgré la dépanneuse et le déploiement de gendarmes leur voiture reste à moitié immergée dans l’étang jouxtant la ligne droite de cette cuvette dessinée par la route.

Quel enseignement tirer de cette expérience?
A – La nationale c’est le mal. Comme maintes fois nous l’avons déjà démontré.
B – La voiture va beaucoup moins bien marcher qu’avant.
C – On s’en bat les couilles ? Ne faudrait-il pas porter un «vrai» secours ces charmantes demoiselles?
D – La réponse D.

La conscience chacun pour soi, la route du retour vers Ax nous appelle.
Et le bis repetita avec la route de gorges du matin, en sens inverse cette fois ci. Rond point du départ, une garnison de gendarmes à pied s’affaire à la circulation. La ligne de départ franchie, c’est gaz !
Deux bornes plus loin une estafette de la gendarmerie nous bouchonne. Evidemment me revient en mémoire le conseil de la veille de mes fidèles amis. Non mais la prochaine fois tu doubles et nous attend de voir si le gyrophare s’allume pour suivre. Au pire on ne te connaît pas.
Au moment même de sonner l’assaut la voiture bleue s’exfiltre sur un aléa de la route. Je suis presque déçu. Plus loin Seb nous affranchira de la situation.
« Les bleus se sont écartés pour nous laissés passer. Et t’as vu la blondine gendarmette au rond point nous faire de grands coucous ? »
Non mais vas chier avec ton Waze et tes amis! Putain de vendu de capitaliste de merde !!!!

La route de gorges à peine gâchée par les copains de Seb nous conduira néanmoins jusqu’à Biert.

Ici s’engage le début d’une routaille comme on en fait peu.
Dix bons centimètres de graviers jetés sur la route sans bitume dessous parce que sinon « ça grip encore trop », et ça coute cher… La DDE locale doit avoir le même slogan que le notre « on s’en bat les couilles. » De toute façon y’a jamais personne qui passe par ici.

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Malgré les pièges tendus et les kilomètres d’épais graviers nous arriverons à rallier le sommet du col de Crouzette, sains et saufs. Biké un quart d’heure après nous cela va sans dire.
En tout cas c’est ce qu’on lui avons affirmé.

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La descente se fera sur un revêtement sans encombre jusqu’à Foix, pour rejoindre la nationale jusqu’à Tarascon puis Ax.
Y’a deux ou trois excités qui n’ont pas du bien comprendre Jean Yanne… La nationale ce n’est pas fait pour rouler à plus de 200 normalement. Leur pote Waze est de la partie aussi.
En fait je commence à l’aimer. Un tout petit peu. Mais promis juré demain je lui mets définitivement sa race à ce gros bâtard.
Titre: Re : Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal
Posté par: Bourrask le 03 février, 2019, 16:47:20 16:47
Jeudi 16 aout 2018

https://youtu.be/ZLlLtSG7xe4

I wanna be sedated.
Le clip illustre à merveille mon état au petit déjeuner. Surtout les paroles m’évoquent Biké. Je le vois et cette chanson raisonne dans ma tête. Je l’entends et je pense à lui. C’est SON thème musical ! Comme dans les films de DC quand le super héros fait son entrée à l’écran. Dans notre cas ce doit être le Dark Knight Returns de Franck Miller. Le bonhomme a du vécu, le costume aussi. Peut-être la délocalisation de l’intrigue sur le vieux continent modifie la perception. Ici l’horizon est parsemé de sommets montagneux, pas de gratte-ciels. Pourtant non loin s’érige une cité à la mesure de notre héros.
Ses combats contre des super vilains comme Miss Gravette, Big Stone et autre Vicious Corner lui ont laissé quelques stigmates même si à chaque fois il s’en est relevé victorieux. Alors après toutes ces aventures SuperBiké aurait certainement besoin d’un nouveau costume.
Ainsi ce matin nous prenons la route pour l’Amérique des comics. Là où le béton reprend pleinement ses droits sur une nature aveuglante, où les lumières des panneaux publicitaires éclipsent le soleil, où les moteurs des automobiles, engluées dans un acte processionnaire, tournent au ralenti en exultant le carbone, la promesse d’un paradis bon marché à la clef.


Le Pas de la Case ou une certaine vision de l’enfer.

https://youtu.be/Y3k5atJ7kh0

Nos impératifs mercantiles atteints, SuperBiké rééquipé de pied en cape (nan je déconne, seulement le collant sous la cuirasse démolie fût remplacé) nous quittons enfin ce sommet des vices pour des contrées moins touristiques sans avoir céder, je le précise, à la tentation du cancer et de la cirrhose à moitié prix. De l’autre coté de la frontière nous attend notre véritable mission: combattre une armée de virages et faire triompher la ligue des Tuono (rien que ça).
Le premier champ de bataille espagnol nous est connu. La mythique route 4+. Reconquise deux jours auparavant comme lors de notre campagne précédente. Aujourd’hui nous marquerons le territoire et établirons les frontières, et peut-être même un poste avancé hospitalier si Biké usait à nouveau de son terrible et légendaire super pouvoir communément surnommé The Fall.

Pour l’heure il est temps de s’engouffrer dans le Tube, un artifice routier qui nous permettra de rejoindre les alentours de Berga, à 88 miles à l’heure au moins. Au sortir de cette brèche de l’espace temps, facturée 20 € chacun, ce n’est pas le Doc qui nous attend mais une descente au tracé extra large comme piste d’atterrissage vers une vallée aride aux allures de décor de western.

De prime abord il est vrai ça glisse un peu, mais il n’y a pas d’indiens c’est déjà ça!
D’aucuns diront que la route était verglacée en ce mois d’août…sans doute sensibles au décalage temporel voire sujet au syndrome de la gonzitude. Que mes acolytes changent de genre cela ne me dérangerait pas outre mesure mais une inquiétude me taraude l’esprit: vont-ils se transformer en mouche ?

https://youtu.be/h_U4Y2kaN5w

Enfin arrive Berga et la même route que mardi dernier, sans voiture de la brigade florale cette fois.
Quarante kilomètres de droite-gauche-droite. Quarante kilomètres qui en paraissent le double tellement le tracé est saturé en virages. La reco précédente, si elle ne nous a pas permis de mémoriser ce Graal routier, nous en a dévoilé quelques pièges et nous incite à remettre encore un jeton dans la machine. Alors gaz ! Vers l’infini et au delà. Ou en mode Rammstein à fond dans le casque pour Seb.
Enfin c’est ce qu’il nous affirme écouter. Mais je sais très bien quel haka le motive en réalité :

https://youtu.be/-l3EGGfxIz0

A mi conquête du Graal, j’avais prévu de bifurquer sur une départementale en direction du sud pour explorer de nouveaux territoires. Pourtant tout du long j’aurai ce dilemme dans un coin de l’esprit : poursuivre l’extase de la route 4+ jusqu’au bout une deuxième fois ou bien mener une nouvelle quête vers d’incertaines contrées. Le carrefour des possibilités à vue j’opterai vaillamment pour l’aventure. Une décision à peine soufflée par mon physique quelque peu entamé par ce tracé infernal.

D’un coup nous sommes aspirés par un vortex pourtant invisible jusqu’alors. Malgré les quelques passages effectués dans les environs il était resté tapi dans l’ombre attendant patiemment que son champ gravitationnel nous attire dans son cœur piégeux. A ce moment précis nous tombons dans un véritable trou noir.
Entre Rocatrencada et Alpens d’après la carte la liaison est courte. Ici le temps et l’espace sont distordus, la matière compactée à l’extrême. Aucun semblant de ligne droite, les virages s’enchainent à l’infini dans une densité incroyable avec le sentiment que les distances sont multipliées par quatre et le temps ralenti de la même façon.
Quand on sortira d’ici notre époque aura évolué sans nous ! Les Aliens dirigeront le monde avec leur technologie avancée, les motos seront bardées d’électronique, la navigation sera assistée par Waze, la vitesse limitée à 80 km/h, et peut-être même aurai-je un IPhone.

La traversée du trou noir fut éprouvante physiquement mais l’extase provoquée grandiose, amenant avec elle la note ultime 5+ si l’on devait la qualifier. Alors que dire de cette nouvelle réalité du continuum espace temps en notre absence à part « on s’en bat les couilles » ?

Aussi une longue absence induit certains besoins.

https://youtu.be/YewcrxOQNvk

Pour assouvir nos autres obligations nous faisons halte dans un restaurant à Ripoll.
Le menu est en catalan, on ne comprend rien, c’est super !

(https://nsa40.casimages.com/img/2019/02/03/190203042720515642.jpg) (https://www.casimages.com/i/190203042720515642.jpg.html)
Y'en a un qui s'est cru sur sur Insta ou quoi?

Le chemin du retour vers la frontière nous conduira d’abord vers un nouveau spot local, une découverte enocre. A chaque fois par ici on en prend pour quarante bornes minimum ! Le début sera poussiéreux, l’adhérence un peu précaire mais la fin digne des meilleures impressions de ce voyage (4+ largement mérité).
Ensuite en sens inverse du matin la route pour le tunnel avec toujours les mêmes effets sur les systèmes APRC. J’en conclurai que l’électronique doit avoir un impact direct sur le changement de genre du pilote.

Enfin Bourg Madame est à l’horizon. La sensation de retrouver la chère patrie est aussi émouvante que de partir à l’inconnu. Cette impression du territoire familier, d’être presque chez toi alors qu’en fait tu en es loin, je l’aime beaucoup.
On est bientôt arrivé les gars ! Seulement 1000 bornes de virolos et on est rentré à la maison, alors maintenant on peut mettre gaz en grand!
Et fuck les statistiques qui avancent que les accidents routiers ont lieu très majoritairement dans un rayon de 80 kilomètres autour de chez soi. On ne roule pas dans ce cercle, rien ne peut nous arriver ! Sauf si SuperBiké use de son super pouvoir, on est d’accord.
Une précision concernant les roulages frontaliers. En territoire étranger on a le droit de rouler vite parce qu’on est Français. Là bas les limitations sont faites pour les autochtones. Coté français de la frontière on a le droit de rouler vite parce qu’on est chez nous, les limitations sont faites pour les touristes étrangers. Cette règle j’y crois dur comme fer.

Font-Romeu Odeillo-Via, c’est en France ou en Espagne ?
On s’en bat les couilles !
L’horizon me confirme que nous sommes bien en France avec tous ces nuages noirs accrochés aux sommets montagneux, la pluie comme promesse. Mais là y’a pas moyen ! Ma combinaison de pluie est restée à Ax.
Alors vient le moment opportun d’user de mon super pouvoir. Et celui-ci n’est pas d’accomplir une boucle de 100 bornes juste avant le retour à l’hôtel alors que l’on pourrait terminer l’étape en à peine 20, on est d’accord.
Oh précieuse carte, dis moi quelle direction suivre.
Alors j’interroge les massifs alentours, détermine la direction du vent et la pression atmosphérique à l’aide de mon seul index, calcule les probabilités et les chances de réussite. Mon cerveau suralimenté analyse tous les scénarios possibles.
Alors ? Je le mets pas définitivement minable l’infâme Waze ?
En vérité je fais comme Rahan avec son coutelas, le hasard décide pour moi. Quand mes compagnons m’interrogent je leur réponds d’un air assuré l’index pointé vers le premier sommet aperçu (c’est le plus important l’assurance): « On va par là ! »
De toute façon il n’y a qu’une seule route possible désormais, mais ça je ne leur avoue pas.

Convaincus nous repartons pour le col des Harès (est-ce un signe ?) jusqu’à Quérigut où nous poursuivrons notre route en direction d’Ax par une route à chèvres.
Le col de Pailhères.

(https://nsa40.casimages.com/img/2019/02/03/190203042803240219.jpg) (https://www.casimages.com/i/190203042803240219.jpg.html)
Cette photo provient de mes archives. 2006. Des baltringues je vous dis. La route n’a pas changé.


A l’instar du col descendu moteurs coupés dans le brouillard l’année dernière, celui-ci nous rappellera de grands moments de routaille perdue. Le tracé relativement large au départ s’étrécit à mesure que la montée s’accentue et que le nombre d’épingles augmente. A chaque fois plus rapprochées les unes des autres elles auront mis à rude épreuve l’embrayage de nos motos.
Qui osera affirmer avoir passer la seconde ? La première était déjà compliquée.
Aussi on apprendra plus tard le thème musical de Jean, trahi par sa Go Pro à fredonner cet air :

https://youtu.be/0J2QdDbelmY

L’alunissage au sommet des 2001 mètres du col s’effectue vers 18h30 heure locale. Le plafond est bas, la couverture nuageuse épaisse mais la pluie est absente. Mission accomplie. Notre odyssée de l’espace s’achève.

(https://nsa40.casimages.com/img/2019/02/03/190203043217344425.jpg) (https://www.casimages.com/i/190203043217344425.jpg.html)

(https://nsa40.casimages.com/img/2019/02/03/190203043235855223.jpg) (https://www.casimages.com/i/190203043235855223.jpg.html)

Ces photos ont été prises par moi contrairement à toutes les précédentes. Voyez à quelle bassesse je dois me résoudre.

La présence de quelques équidés nous indique que nous sommes de retour sur Terre. La définition de l’époque demeure incertaine. Nous les dépassons sans un bruit pour redémarrer plus loin les moteurs. Aux pieds des reliefs la route de gorges sonne comme une invitation aux hurlements de V4.

Ce matin le meilleur des mondes était. Ce soir est-il toujours ?
Le Roc de la Vierge d’Ax les Thermes domine-t-il toujours les hauteurs ou est-il désormais enseveli sous le sable ?

Moi je veux des singes ou des zombies à écraser!
Titre: Re : Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal
Posté par: Bourrask le 03 février, 2019, 17:11:38 17:11
Vendredi 17 aout 2018

Journée off.

La décision est prise à l’unanimité de laisser les motos aux garages aujourd’hui. D’une part la météo est médiocre et d’autre part l’état des pneus laisse planer l’incertitude quant à leur durée de vie restante. Encore deux journées et 800 kilomètres environ, ça devrait le faire mais il ne faudra pas leur en demander plus.
Ou alors :
https://youtu.be/N_k8lcqs7tE

Pour se consoler et parer aux éventuels regrets on picolera toute la journée !




Samedi 18 aout 2018


La fin de notre périple est proche, une semaine complète s’est déjà écoulée. Aujourd’hui nous entamons la route du retour.

A 9h comme à notre habitude nous décollons. La température matinale est fraiche, la route partiellement humide mais le ciel est d’un bleu limpide. Nous rejoignons Quillan en empruntant une partie de la retour de l’aller en sens inverse avec les cols de Chioula, de Mamare, et des Sept Frères jusqu’au plateau de Sault. Ici le thermomètre remonte comme pour annoncer la descente des cols de Coudons et de Portel. La dernière portion menant aux portes de Quillan est un véritable appel au crime avec son large tracé tout en enfilades et son bitume parfait. Alors gaz !
Mais au fait y’avait pas un radar qui prenait dans l’autre sens ? Donc dans notre sens cette fois-ci ! A l’aller je ne l’avais pas vu.
Et je ne le verrai pas non plus aujourd’hui.

Nan mais il où Waze ?
L’unique fois où j’aurais véritablement eu besoin de lui il n’était pas là ! Waze t’es qu’une baltringue !
A l’heure où j’écris ces lignes aucun courrier n’est arrivé dans ma boite à lettres. De toute façon il était difficile de réaliser de gros excès sur ce ruban qui serpente au milieu des reliefs surplombant la bourgade (ou alors revoir la vidéo du vendredi). La prochaine fois on essaiera de passer plus vite pour étoffer la galerie de photos souvenirs si chère à Biké.

Quillan conquis, la carte mène au col du Paradis annoté double + et déjà emprunté à l’aller. Les parages doivent évoquer quelques souvenirs à mes acolytes parce que derrière ça pousse au cul ! Même si je me serais volontiers laissé tenté par la route du Paradis nous l’abandonnerons à ses portes même pour l’enfer de la routaille.
Le quatrième road book que nous n’avons pas accompli devait être une journée spéciale routes à chèvres étendues entre le plateau de Lacamp au nord et le pic du Canigou plus au sud avec ses cols en pointillés rouge et blanc sur la carte. La faute à la météo ou à notre capital pneus dirons nous. Ca fera une bonne excuse pour revenir l’année prochaine.
En attendant je veux découvrir une partie des routes perdues de l’Aude et respirer cette poussière ocre rouge qui s’effrite de ses reliefs. A Arques on prend à gauche.

Débute alors une navigation toute en improvisation.
L’objectif est de traverser le plateau de Lacamp au plus court. Il n’est pas question d’exploration ou de quadrillage de zone, un simple aperçu des lieux suffira. En général à ce jeu là il faut toujours avoir un à deux coups d’avance sur les changements de direction pour conserver une conduite fluide.
Mais dès le premier je perds le nord.
Un néant d’anticipation sur une mer de possibilités conduit au naufrage.
A la deuxième intersection la carte me devient indéchiffrable, je suis à l’ouest.
Hors de question de sortir Waze de son cachot. Une seule possibilité en pareil cas, la solution des Anciens sans carte et sans boussole : tirer des bords. Une fois à gauche, une fois à droite, bon an mal an ça va tout droit. De toute façon cela m’étonnerait que les trois autres aient compris que nous venions de pénétrer dans le triangle des Bermudes et sûrement doivent-ils s’extasier sur mon génie de la navigation. Pourtant cette fois c’est un chant de sirènes qui nous dirigera dans une tempête de routes sinueuses oubliées. La boussole retrouvée, elles nous délaisseront comme des naufragés à l’entrée du col de Taurize, face à des gardiens aux allures de Centaures.
En fait une table en travers de la route avec trois pélos assis derrière. Mais la mythologie en pâti.
D’un simple geste interrogatif de la main la voie nous est ouverte, pas même besoin de tomber la première dans ce gauche serré, on continue sur notre lancée en espérant ne pas se retrouver nez à nez avec un peloton quel qu’il soit.
Quelques hectomètres plus loin et un panneau « demi tour » de compétition, on devine que la route ne sera désormais rien qu’à nous. D’abord étroit et défoncé le ruban noir en sous bois, que l’on devine d’emblée peu emprunté, nous conduit rapidement vers une vue dégagée sur de sauvages paysages exaltant cette odeur si particulière du sud.
Ne faudrait-il pas s’arrêter pour immortaliser l’instant en photographie ?
De ces moments on ne peut pas en capturer la perception complète. Alors à quoi bon en posséder un pâle souvenir, qui très vite sera lointain, au détriment du déroulement des sensations instantanées qui restera, lui, plus profondément gravé ?
On s’en bat les couilles ?
De toute façon j’ai Seb au cul ! Les tergiversations sont courtes, alors gaz !

Au bout de la route on finira par regagner enfin un semblant de civilisation que l’on quittera aussitôt pour franchir la montagne d’Alaric puis la montagne Noire du Minervois qui nous séparent de St Pons de Thomières.

S’en suit un arrêt déjeuner sur la place de St Pons à l’ombre de ses platanes.
Jean profite de l’occasion pour téléphoner à tous les bouclards et autres grandes enseignes alentours  dans l’espoir d’un changement express de son pneu arrière non loin de l’agonie. Un samedi 18 août la quête s’avèrera peine perdue. C’est ici que l’on se rend compte de l’importance de la gestion du capital pneumatique. Si tu veux gagner la course il faut d’abord être en mesure de rallier la ligne d’arrivée.
Je vous laisse deviner la conclusion.
Allez, pour le plaisir: on s’en bat les couilles !

Et nous voilà déjà repartis pour Lamalou les Bains, point de départ de La Boucle Magique. 60 kilomètres que l’on finit par connaître mais qui s’avèrent toujours aussi grandioses. Aux trois quarts de la « spéciale » nous sommes contraints, à Avène, de nous arrêter. L’intervention des pompiers qui obstrue la voie principale est l’occasion de se désaltérer, pour patienter. Et quel meilleur endroit que la Cour des Miracles ?

On a du s’absenter plus longtemps que je ne l’imaginais durant notre voyage temporel en Espagne. Et on se s’était encore rendu compte de rien 28  2 jours plus tard…
Tout le monde a l’air malade, même les enfants, dans cette ville de cure.
On l’avait bien dit pourtant ! Quand on part à moto, on ne parle pas d’hospitalisation (sauf Biké qui ne craint rien) et on n’évoque pas même l’idée d’accident, ça porte le mauvais œil. Alors virez moi tous ces malades !
C’est de l’humour noir. La vision était assez triste.

A choisir, aux morts vivants je préfère le monde de Mad Max. Je suis l’Aigle de la Routeeee !!!!
En vérité je suis plutôt lièvre. Ou lapin. Mais je le vis bien.
Après le passage d’un cortège de mariage suivi d’une estafette de gendarmes, la voie libre, on s’arrache enfin.


Mode V8 Interceptor

Avène – Lunas. Gros gavage.

La descente sur Lodève. Pas plus qu’à fond. Le triple virage serré est moins impressionnant en descente, la lecture de la route étant bien meilleure. J’aurais préféré éviter la surprise du genou gauche qui frotte alors que je ne déhanche pas vraiment et que je ne cherche pas du tout « à poser », mais bon c’était marrant. Suis-je redevenu jeune ?

Interlude à Lodève.
A la faveur du ravitaillement en essence, la malédiction du triangle rouge frappa de nouveau. Cette fois Seb en fût la victime.
« Non mais c’est juste une ampoule de clignotant. » Nous annonça-t-il, rassuré.
Je n’irais pas dire que j’étais déçu, mais j’aurais bien dégainé mon rouleau de scotch noir...

Montée du Bout du Monde.
Gavage encore et encore, c’est que le début d’accord, d’accord. Soit disant Rammstein pour la bande son…Mais on connaît désormais les préférences des protagonistes. Je crois qu’ici mon pneu avant rendra une partie de son âme.

St Maurice de Navacelles jusqu’au Vigan, une véritable planche du JBT : « T’attaquais toi ? »

La montée depuis le Vigan jusqu’au Mont Aigoual façon je donne tout. Le pneu avant aussi. A droite ça ne grippe plus du tout comme avant. On avait pas parlé de gestion de capital pneu plus tôt ?
Le sommet avant la bifurcation pour Dourbies marque le dernier arrêt de la journée. Totalement déshydraté, j’ai bien envie d’affirmer à Seb « qu’on s’est bien trainé la teub pour monter » mais la soif est plus forte. Et puis il faut que je fume une clope ou deux aussi pour me remettre de mes émotions.

Dernier galop jusqu’à notre hôtel de Dourbies. Si la route nous avait paru incertaine quelques jours auparavant ce soir la vision dégradée par les rayons de soleil en pleine visière nous désinhibe complètement. Quand tu ne vois rien, c’est qu’il n’y a rien à voir. Un peu comme le scotch noir sur le voyant rouge. Et miracle on arrive à l’hôtel vivant !

https://youtu.be/I1EFYiVKcok

Après les apéros et le resto viendra l’heure du digeo devant les films de la Go Pro projetés sur l’écran géant de l’hôtel.
Pour le prochain trip on partira tous avec une caméra c’est décidé. Les images filmées sont plus proches des sensations vécues, surtout il n’y aura plus aucune raison de s’arrêter sauf pour le plein d’essence.
Elle est pas belle la vie ?
Peut-être un plus encore pour Seb qui retrouve, après toutes ses aventures, sa cuisinière éperdue.
Comme dans les contes de fée ils se marièrent et vécurent heureux.
Titre: Re : Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal
Posté par: Bourrask le 03 février, 2019, 17:20:13 17:20
Dimanche 19 aout 2018


Bientôt il faudra revenir à la réalité. Aujourd’hui notre voyage prend fin.
D’ici peu les souvenirs prendront le relai sur le déroulement de cette petite aventure qui se termine. Une échappée du quotidien remplie de rigolades nombreuses, de sensations de conduite parfois incroyables, de routes à virages larges ou étroites, souvent désertes, de revêtements variés tout du long et régulièrement des portions véritablement dantesques. C’est la deuxième fois (en fait la troisième, mais la première date un peu) et définitivement ce périple pyrénéen surclasse largement tous les autres que j’ai pu faire. Avec très peu de routes de liaison et un trafic routier minime, ce trip est une véritable spéciale de 3000 bornes.
Comment faire mieux ? En terme de qualité de routes je ne connais pas. Chacun trouvera son compte là où il l’entend, personne ne peut avoir de vérité à asséner, cela dit le voyage dans les Pyrénées au départ au départ de Lyon s’avère un trip d’enfer !

De cette dernière journée il n’y aura pas de long compte rendu des évènements ou des sensations ; l’essentiel et plus encore ayant déjà été exprimé.

En fin de matinée au Pont de Monvert, le pneu arrière à l’agonie Jean nous arrêta subitement sur le bord de la route pour nous exposer sa décision : « Je vous abandonne ici et je rentre au plus court. Poursuivez comme bon vous semble. »
Bel effort que l’on salua. Mais point de baltringue parmi nous.
La question ne se posa même pas. Sans concertation la réponse fût unanime et le contraire eut été inconcevable.
« Nous sommes partis ensemble, nous rentrerons ensemble. »

Alors nous rentrâmes par la nationale.
Ce fût chiant. Mais, je l’avoue, rapide et reposant. A 17h nous étions rentrés.
Jean Yanne m’entends-tu ?




Le récit qui précédait, plein de conneries mais totalement véridique, est destiné à un public averti, un truc que seul les motards peuvent comprendre. Mais quand tu dois le raconter à des personnes pour qui la moto ne signifie pas grand chose, c’est un peu différent.
Alors pour finir un petit QCM non exhaustif de ce qu’il faut répondre aux questions d’usage pour briller ou pas en société le mercredi soir.

1/ C’est comment les Pyrénées, c’est beau, non ?
A - Pour le peu que j’ai aperçu c’est beau. Dans le rétroviseur l’image est toute petite aussi…difficile de se prononcer de manière définitive.
B - C’est gris-noir, comme le bitume.
C - C’est magnifique ! Coté français les reliefs sont pointus et verdoyants, coté espagnol les montagnes arides de couleur ocre jaune dégagent une impression de territoire sauvage à conquérir.
D – Qu’est-ce que le Beau ? Une plaque minéralogique c’est joli aussi ! Y’en avait trois devant moi toute la semaine, et ce cul de RSV4 je le kiffe autant que le 69!

2/ Vous faites quoi toute la journée ?
A – On roule. On se promène pépouze, on visite de nombreux lieux culturels, toussa.
B – On roule à donf.
C – On roule à donf et on écrase des enfants (espagnoles de préférence).
D – On roule à donf, on écrase des enfants et on contribue au rayonnement des valeurs de la France à l’étranger. Savoir vivre, élégance et politique étrangère. La légion d’honneur doit nous être décernée.

3/ Et le soir ?
A – On boit en regardant les étoiles.
B – On va au casino.
C – On se couche tôt après un repas léger sans alcool.
D – On boit, on va au casino, on va aux putes et après on se couche.

4/ Vous avez pris plein de photos j’espère.
A – J’ai perdu la carte mémoire que je n’avais pas insérée dans mon APN avant de partir.
B – Mais plein ! Parmi nous il y avait deux photographes dont un professionnel. L’agence Magnum n’a qu’à bien se tenir.
C – Aucune. Rien à secouer des 1497 photos de vacances qu’on ne regardera jamais.
D – Je ne prends que des diapos.

5/ Comment faites-vous pour vous parler?
A – On s’en bat les couilles. Le matin on enfile le casque en se disant « à ce soir ».
B – Par le langage corporel sur la moto voire la télépathie. Ou alors ça gueule tellement fort dans le casque que parfois on s’entend…
C – Aux arrêts. On a beaucoup rigolé !
D – On utilise le langage des signes comme dans la plongée sous-marine. Mais on ne connaît que deux signes éloquents.

6/ Aucune panne mécanique, aucun souci?
A – RAS, pas même le coup de la panne d’essence. Les italiennes c’est plus ce que c’était malheureusement.
B – Connais-tu la malédiction du triangle rouge ?
C – Seulement un train de pneus et deux-trois babioles.
D – Biké a eu mal de partout mais il n’est PAS tombé !

7/ Au final c’était comment ?
A – Alléluia je suis vivant!
B – Je suis ruiné.
C – Ma moto est ruinée.
D – C’était GENIAL !

Si tu as une majorité de réponses D tu t’appelles Biké.

Pour le reste on s’en bat les couilles.



PS : pour moi le thème musical de ces quelques jours :
https://youtu.be/bKqpaWUFHdo
Titre: Re : Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal
Posté par: Bestof le 04 février, 2019, 18:05:40 18:05
oulalalalalalalala
ca c'est du CR

je vais poser une journée pour tout lire....
Titre: Re : Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal
Posté par: Drake62 le 28 mars, 2020, 08:49:02 08:49
En ces temps bien pourris du confinement ça fait vraiment plaisir de lire ce genre de récits :)

Au plaisir de vous relire, ou de vous croiser, visiblement on est dans la même région ! :)
Titre: Re : Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal
Posté par: dam-s le 11 novembre, 2020, 21:52:26 21:52
salut, vraiment cool ce CR .....
en ces temps moroses où les roadtrip paraissent + loin que jamais, ça fait du bien ...

à bientôt en ardeche .... ;-)
Titre: Re : Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal
Posté par: Bourrask le 13 novembre, 2020, 20:52:33 20:52
Sympa!

En ces temps de confinement j'ai envi de fabriquer quelque chose.

...Réactivation...

L’ivresse du Graal n’est pas facile à sevrer.
Après les deux campagnes relatées ici, autant ont été accomplies les étés précédents.

2019
Point de récit, les souvenirs des événements sont désormais trop lointains.
Néanmoins je me souviens avoir troqué mon V4 1000 contre un 1100 RR tout neuf, ou presque.
C’était l’année de mes 40 ans. Il fallait marquer le coup.
Résigné à l’idée que le RSV Haga que je convoitais ne serait pas pour moi, je craquais pour le Tuono V4 de démonstration de la concession autant pour cocher une case dans la liste des trucs à faire au moins une fois dans sa vie que pour compenser... Acheter un véhicule neuf, ça c’est fait. Au delà de l’idée d’un carcan plus ou moins imaginaire à briser, je dois bien avouer que c’est la couleur de la moto qui m’a décidé. Noire et rouge à l’image de mon premier Tuono V2 de 2004. La jante avant rouge, l’arrière noire, et le sabot de RSV4 aussi. C’était bien la première fois que je craquais pour l’esthétique d’un Tuono.
Et quelle moto! La meilleure, la plus fantastique mécaniquement et géométriquement parlant, la plus sensationnelle et la plus facile Aprilia que j’ai conduite. Les quelques défauts du V4 1000 tous gommés. Une machine quasi parfaite, rien de moins.

Cette année là nous partîmes Jean et moi seulement.

Pour résumer je dirais que tout ce que j’ai raconté précédemment était naif. Les deux années précédentes nous n’avions qu’entrevu le Graal, nous extasiant sur quelques spots certes incroyables les yeux et le cœur remplis de victoire. En vérité, alors, et aveuglés, nous ne franchîmes pas même les portes du pays magique des perceptions nouvelles.
Le Graal n’est pas la route qui mène à la Catalogne. LE Graal EST La Catalogne.

Cette année nous le découvrîmes.

Il faudrait revenir pour une dernière campagne l’année prochaine avec Biké et une moto digne d’une quête finale.


2020
L’année de mes 20 ans de permis.
Une pote avec qui j’ai pas mal roulé, entre autre, jadis du temps des sorties V60 01-38-73-74 m’avait un jour de balade posé une question qui m’a marqué: « Est-ce que c’est toi qui ressemble à ta moto ou est-ce ta moto qui te ressemble ? ».
Si la question m’avait paru drôle, intéressante et pleine d’interprétations sous jacentes, je n’avais à l’époque pas osé une réponse étant donné sa monture à elle, une RSV Mille orange DDE (et c’est elle qui décrivait le coloris ainsi. Y’avait aussi une analogie avec les chiens - ou les enfants ? -  mais moi je peux pas comprendre, j’aime que les chats).
Si je n’ai pas de réponse universelle à cette question existentielle, il est sûr que le Tuono V4 1100 ne me ressemble pas, lui.
Une moto bourrée d’électronique avec laquelle j’ai parfois la désagréable sensation d’être le passager uniquement ; sans défaut pas même l’autonomie qui peut pourtant pimenter l’aventure, trop facile et donc sans challenge. La perfection c’est frustrant et surtout chiant au final.

Alors pour l’anniversaire de mes 20 ans de permis, c’est décidé je possèderai la moto qui m’a mené vers Aprilia. Celle de mes rêves. Celle de mes 20 ans. Je ne sais pas si elle me ressemblera mais je ferai en sorte de lui ressembler. Une brêle à l’ancienne sans assistance pour handicapé (ça c’est gratuit !), « old school », simple, pure, belle à se damner à mes yeux.

Je vise une RSV Mille R 2001 de préférence, ou 2002, ou 2003. La plus belle génération!
A ce moment je ne me doute pas de la difficulté de dénicher un tel modèle surtout pas trop borné ou modifié. Par chance presque incroyable au bout de 2-3 mois seulement je trouve la perle rare à 500 bornes de chez moi. C’est un modèle 2001 ! L’annonce sera restée en ligne une demi journée.
Je récupère la moto en janvier 2020 à Orléans (recherche lancée en Octobre 2019 pour la chronologie).
Dès début février la météo est clémente, la saison s’annonce prometteuse. Mon objectif est clair: engranger un maximum d’expérience à son guidon pour éprouver la fiabilité de cette moto qui a trop peu roulé depuis tant d’années; aussi éprouver mon physique à cette position bien différente de celle du Tuono.
Cette moto est taillée pour dévorer le Graal !

Trois roulages et c’est le premier confinement.
Titre: Re : Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal
Posté par: Bourrask le 14 novembre, 2020, 18:38:21 18:38
Mai, la libération. Les choses peuvent reprendre leur cours.

Je commence à rouler sérieusement avec la RSV, à prendre mes marques à ses demi-guidons et à me faire à cette position dont je n’ai pas l’habitude. Avec les événements liés au Covid j’ai beaucoup moins de temps que je ne l’avais prévu avant le périple de l’été prochain. Aussi s’accompagne à cette adaptation un problème mécanique nouveau et différent à chaque roulage. Disques de frein à remplacer, fuite d’huile sur le moteur, souci d’embrayage, pompe de frein avant fuyante, phénomène de louvoiement dû à de mauvais réglages de fourche, etc. Les problèmes s’enchainant les uns après les autres, mes sorties se terminant toutes par un passage chez le mécano, me vient cette interrogation: ne serait-ce pas une année de merde ?
Néanmoins, la moto m’octroie finalement une faveur et décide de fonctionner presque correctement, le temps d’une journée. Le dimanche 31 mai 2020. J’ai noté la date.
Alors j’en profite pour effectuer un test grandeur nature. 600 bornes de virolos à travers l’Ardèche à rythme plus ou moins soutenu. Je suis rentré moins fourbu que je ne l’avais imaginé…Pourtant ma décision était prise.
La pure sportive je laisse tomber pour cette année. Je n’aurais pas le temps de m’acclimater totalement et physiquement à cette moto ni de vérifier sa fiabilité avant un périple de 3500 à 4000 km. Choses essentielles.
L’idée me faisait beaucoup rêver. La moto je l’ai quasi achetée pour ça, mais il faut parfois raison garder. Que j’eusse aimé cramer du maxi trail allemand équipé de 80 litres de bagagerie vide pour affronter le périphérique avec ma moto issue d’une lignée abandonnée.

Je décide de réactiver La Brute.
Ma fidèle. C’est une mission pour elle ; prête à tout rien ne lui fait peur, avec elle j’ai découvert la voie du Graal plusieurs années auparavant. La quête serait ainsi définitivement scellée. Tout finira avec elle.

Au début de l’été, une organisation incertaine se met en place. Nous sommes sûrs de partir à 3, Biké, Jean et moi. Où ? Nous ne le savons pas encore précisément. Le tracé de notre périple évoluera à mesure des annonces de notre gouvernement. D’abord un aller retour Méditerranée – Atlantique tout par la France, puis d’autres variantes entre France et Espagne, on décidera 2 semaines avant le départ de miser la plus grosse partie de nos chances sur la Catalogne, un WTF en tête.
On gardera quand même une partie de nos jetons pour Carcassonne et ses routes alentours qui en promettent sur la carte, histoire de ne pas être pris au dépourvu et de découvrir de nouvelles contrées.

On part le 7 août et on rentre le 16.
Titre: Re : Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal
Posté par: Bourrask le 21 novembre, 2020, 15:03:23 15:03
Jour du départ. Parking des pompes à essence du Carrefour Givors. Ca commence toujours pareil.
Là c’était un vendredi.

Comme toujours je suis épaté par le chargement de mes compagnons de route qui misent tout sur la sacoche de réservoir. Il est vrai qu’ils n’ont pas vraiment d'autre solution avec la coque arrière de RSV4 qui habille leur Tuono respectif. Pour ma part mon choix se porte sur le sac de selle qui offre plus de contenance au détriment d’une légère incidence sur le comportement dynamique (ça déleste parfois un peu de l’avant), au moins la mentonnière ne repose pas sur le sac de réservoir. Aussi je me dis qu’ils n’ont pas retenu la leçon. Ou alors trop au contraire ! Ils doivent prédire, peut-être, que j’ai prévu le canot de sauvetage pour nous trois.

En attendant notre quatrième larron qui nous accompagnera jusqu’à la pause du déjeuner, Biké nous rappelle à Jean et moi son manque de roulage depuis le confinement l’été précédent voire depuis la dernière virée en Espagne deux ans auparavant si on parle sérieusement.
« Faut me laisser le temps de retrouver mes marques », « Allez-y mollo au début » et autres palabres que je n’écoute à vrai dire jamais. C’est toujours pareil. Avant même de partir Biké tente de me tirer la larme à l’œil alors que je suis certain qu’il sait que je m’en balek de son sketch.
« Oui Biké, on part cool, on te laissera du temps, c’est promis ».
Ca nous fait tous marrer, enfin moi pour ce que j’en sais, à chaque fois. Et à chaque fois Biké revient. Il doit aimer sa longue et douloureuse semaine annuelle de moto parsemée de quelques épisodes transcendants…
L’arrivée de Chris en MT10 sonne la fin de notre préambule coutumier. On va pouvoir se foutre gentiment de sa gueule à lui et de sa moto surtout.
« Nan mais y’a des gens qui l’achète pour de vrai ce laidron?» Etc. Nous on roule en Tuono alors c’est dire si on a du crédit.

Départ. On lance les moteurs (la MT10 produit un son à l’égal de son physique soit dit en passant).
Givors – Rive de Giers, la spéciale des motards lyonnais. Une route qui tourne aussi facilement que la prise de vitesse potentielle. Je repense à mes maigres engagements auprès de Biké alors on y va cool. Reliés par intercom je lui aurais demandé : « t’as 10 bornes pour te refaire, après je ne garantis rien, ça te convient ?». Sans réponse j’opte pour un oui franc et massif en véritable altruiste que je suis.

Le Pilat que je n’aime guère disparaît aussi vite que cette pensée habituelle qui m’habite avant chaque long trip en résonnant tel un avertissement : «ne te plante pas si près du départ ».
Le nord Ardèche atteint, mes tergiversations s’effacent totalement. J’ai prévu un itinéraire bis sur une base de routailles perdues à partir de là.
Un tracé expérimenté avec Greg « le traileux » en Ktm Adventure bleu et orange. Ce jour là j’avais la 690 Duke 3R. J’en garde le souvenir mémorable de la plus incroyable balade de cette époque désormais lointaine où les forums étaient source de virées avec des inconnus.
On avait explosé les Gafa ! Maps avait dit 4 heures, nous on avait fait 2 pour une Givors fin-fond de la vallée de l’Eyrieux. Sur le parking du bistrot où l’on avait retiré les casques pour la première fois, on s’était lancé un véridique et malicieux « T’attaquais toi ? » après 2 heures à se passer et repasser dans une immédiate et évidente complicité.

Sur ce même début de tracé nous remontons sur une 690 Duke3 orange. Va falloir assurer me dirais-je ces souvenirs en tête. Evidemment Greg ne roule pas sur toutes les Katoches que nous croisons, la poursuite s’avèrera donc soft. Cette moto sera surtout la dernière un peu joueuse que nous verrons tout du long de notre petit périple. Les temps sont durs.

Un arrêt bistrot plus loin dans un trou perdu de l’Ardèche où nous expérimentons pour la première fois le port du masque (à l’époque ces mesures n’étaient pas encore d’usage), nous repartons pour un classique Saint Agrève - Le Cheylard.

Depuis ces dernières années, un classique V4. Pour cette édition le V60 sera source de renouveau, tout sera redécouverte. Des claquements du Evo Titanium en bande son accompagnent toutes les envolées et soubresauts du moteur jusqu’au au comportement de la fourche fraichement révisée, la moto est parfaite. 67 000 bornes à peine. Elle devrait s’en prendre 3500 minimum cette semaine.

Perdu dans mes pensées, au sortir du Cheylard en direction de Mézilhac et remontant une file d’automobiles enfermées dans leur inébranlable rôle de chicane mobile, nous doublons innocemment un audiste. A cet instant mon sens de l’araignée comme j’aime à l’appeler ainsi émet des ondes intuitives de danger imminent, autrement dit « l’audiste va chercher à surpasser sa condition ».
Plus loin dans la bourgade, à la faveur d’une ligne droite la RS3 s’extraie du trafic et nous double à très vive allure comme échaudée par notre manœuvre.
Moi perso je m’en balek des travers des uns et des autres, j’ai pas de complexe mais j’avoue, j’aime jouer. Néanmoins on attendra de passer le panneau de fin d’agglo pour lancer la poursuite parce que d’une y’a des limites à ne pas dépasser, et de deux ça lui laissera de l’avance. Le panneau franchi on passe en mode « no limit ». On l’aura rattrapé et relâché par deux fois à la faveur des villages traversés. Il roulait bien, propre mais sans honneur.
On stoppe le jeu à l’hôtel des Cévennes (situé en Ardèche va savoir pourquoi), une halte certifiée par nos soins. Après c’est la descente sur Vals les Bains gravillonnée où on aurait pris cher. « T’as de la chance qu’on s’arrête la ! »

Le déjeuner avalé il est temps de repartir. Après quelques adieux Chris nous quitte pour la région lyonnaise, nous poursuivons notre route vers les Cévennes. Le col de la Croix Bozon coté triple + en premier lieu et de nombreuses routes jouissives plus loin, nous bifurquons pour la dernière ligne droite finale sur la seule partie roulante de l’itinéraire du jour, la corniche des Cévennes. Y’a pire.

Hôtel La Patache, notre repaire cévenol.
Le maître des lieux nous accueille le garage ouvert. Avec le temps il nous reconnait.
Le soleil couchant sur les monts alentours il nous ressert toujours ses mêmes histoires à propos de motards allemands en GS. Même si on a bien envie d’une douche et de fringues légères, on l’écoute patiemment et poliment.
Moi j’aimerais qu’il parle de nous comme des trois connards- alcooliques- drogués gars en Aprilia.
Titre: Re : Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal
Posté par: dam-s le 22 novembre, 2020, 19:58:54 19:58
cool, les aventures reprennent ...

dommage pour la RSV.... il est vraiment cool se V60, une pure moto sans fard ...
quand je suis sur mes japs, je me dis que l'XJR c'est vraiment confort, que le FZ8, c'est vraiment facile et efficace....
mais put1, ce Twin, qu'il est jouissif !!!!

au fait, je vis au fin fond de la vallée de l'eyrieux ..... le cheylard ....   >:D
Titre: Re : Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal
Posté par: arvigna le 23 novembre, 2020, 00:17:58 00:17
Vraiment un régal à lire!
Merci.
Titre: Re : Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal
Posté par: Bourrask le 27 novembre, 2020, 20:02:52 20:02
Cool ;). Je continue.


Ce matin on décide de prendre notre temps, loin de tout, de profiter de la chambre d’hôtel et de la vue sur les monts qui scintillent à l’horizon posés depuis une éternité comme pour nous rappeler que nous ne sommes rien à l’échelle humaine. Le silence est tout autant contemplatif… Je me trompe de film ! On a pas que ça à foutre, l’Espagne nous attend ce soir.

450 km nous en séparent. L’autoroute et les nationales sont prohibées, je ne nous autorise que les départementales sinueuses pour rejoindre notre destination. Le roulant c’est seulement en l’absence d’itinéraire bis valable ou en cas de force majeure.
Petit déjeuner à l’ouverture du restaurant, soit 8h30. A 9h on se retrouve devant le garage. Tel est le planning. Dans les faits il faudra rajouter une demi-heure aux horaires préalablement définis.

Au concours de l’arrimage des bagages la sacoche de réservoir gagne à tous les coups. Heureusement Biké est avec nous alors j’ai largement le temps d’assurer la fixation de mon sac sur la selle en l’attendant.
« Hé Biké, dans ton petit bagage, t’as de la graisse à chaine? De l’huile moteur? Du nettoyant pour visière de casque? Rassure-moi ? » La réponse est non à tout. On ne se refait pas comme on dit.
Pour ma part j’ai prévu un nécessaire de survie plus large dans mon chargement. Quelques outils, une paire de leviers de rechange, une batterie neuve équipe ma moto, un relai de démarreur au cas où, des colliers rilsan, un nouveau jeu de cartes Michelin complet…Le minimum pour assurer une illusion d’autonomie.
Alors de bon matin devoir graisser la chaine de Biké après une attente certaine m’agace un peu.
Mais cette impression est très vite dissipée car en vérité, comme à chaque fois, il me fait marrer. Biké est un véritable personnage de bande dessinée. On l’aime ou on le déteste, sans demi mesure. Nous on l’adore ! Il est le héros de mon récit.
Evidemment face à sa grande carcasse déjà abîmée par la première journée je ne lui détaille pas ce qui nous attend aujourd’hui. On fera « au bout le bout ». J’aime bien cette idée.
Je préfère les grandes liaisons aux boucles autour d’un même point finalement. Dans ce cas l’objectif est clair et établi, et lorsque l’on part en retard, le challenge est plus grand.
« Garde la foi Biké ! Dis-toi qu’hier seulement tu as bouffé plus de virages qu’en 5 années de moto en région parisienne !»
Biké est reparti en exil depuis quelques années dans sa ville d’origine pour le boulot. Oui, il est parisien…

« Aleluia! » On décolle.
20 mètres pour sortir de la bourgade de l’hôtel nous suffisent à rejoindre le tracé de la course de cote jusqu’à St Jean du Gard. En descente dans notre sens. Parfait pour chauffer les moteurs et les pneus. Ensuite on tire sur St Hippolyte du Fort par une départementale digne d’un rallye auto et on bifurque plus loin vers les gorges de Navacelles au bitume refait à neuf. Puis Lodève et une autre spéciale de course de cote version F3 avec son singulier triple gauche à l’aveugle. Que du best of régional pour ainsi dire.
A l’identique, le tracé se déroule en passant par St Pons, Lézignan-Corbières et son plateau bordé de reliefs à 360 degrés comme court intermède, puis Tuchan et enfin Amélie-les-Bains via Fourques - Céret.

Depuis l’année dernière j’évite les alentours de l’Andorre. Le Pas de la Case ou Font Romeu m’étant insupportables à traverser je vise les Prats de Mollo. Le fond de vallée pour y parvenir est néanmoins  assez pénible à remonter avec ses nombreuses bourgades enclavées dans une lourde chaleur et submergées par un trafic pourtant faible; des feux et des travaux incessants jalonnent cette vingtaine de kilomètres.
Si le chemin de croix est plutôt court, la récompense elle est bien plus grande.
Les Prats de Mollo franchis, la lumière de fin de journée s’éclipse face à d’imposants reliefs recouverts d’une riche palette de verts foncés, la route brusquement devient déserte et serpente vers des sommets pour l’instant invisibles. On devine que la frontière arrive et qu’il n’est plus l’heure usuelle des passages entre France et Espagne, à partir de là la route ne sera promise qu’à nous.

Alors nous dîmes Amen et nous fonçâmes vers la lumière.

Le sommet du col marque la frontière entre les deux pays autant qu’entre le nord et le sud, le sombre et la lumière, le connu et l’inconnu. On s’arrête ici pour apprécier le moment présent.
« Putain il est où mon feu ? J’ai perdu mon feu…Quentin tu me prêtes ton briquet s’te plait ? »
Biké…Je caricature à peine.

Une bande de motards espagnols en enduro trail surgit dont je ne sais quel chemin décide de marquer le même arrêt que nous. On repart ensemble.

J’aurais kiffé me tirer la bourre avec des locaux en trail routier ou mieux des Allemands en 1200 GS, mais il n'en fût rien. Nos hôtes effectuaient une liaison routière en mode pépouze, leurs pneus enduro visiblement à l’agonie sur ce type de surface.
Ils doivent être moins cons que nous aussi. Et leur trip que j’imagine me fait rêver.

Pas le coté off road. Se faire chier pour effectuer 30 bornes à l’heure c’est pas du tout mon truc, mais le bivouac beaucoup plus. Je ne sais pas si c’était le leur d’ailleurs vu leur faible chargement, pourtant cette envie m’est revenue en mémoire à leur rencontre.
Pour tout dire j’ai pas mal hésité avant de re-signer pour cette escapade tout à hôtel-restau avec un trip camping comme à l’ancienne. En ces temps étranges j’avais envie de revenir à une certaine simplicité, vivre dehors toute la journée avec le temps qu’il ferait pendant une dizaine de jours, ressentir de l’essentiel pimenté d’un peu d’aventure. Un truc authentique.
La voie du samourai du Ghost Dog ou Fight Club ? Trip solo ou avec des potes ? Hollywood chewing gumm ou Pernod Ricard ?
La décision finale ne fut pas très difficile à prendre.

Le saint esprit retrouvé, on dépose nos traileux quelques hectomètres avant le passage effectif de la frontière. De l’autre coté les derniers rayons de lumière découpent l’horizon pour l’ultime descente vers notre but tout proche, l’aventure espagnole commence. Ces prochains jours nous boirons le Graal jusqu'à la lie.








Ce même début de soirée. Jean et Biké m’attendent dans le salon de notre hôtel perdu dans la montagne, un verre d’une boisson espagnole indéterminée à la main.
« Vous m’avez pas attendu ? »
« Goute. » Me répondent-ils à l’unisson.
Un mélange anisé et sucré dont j’ai oublié le nom mais qui ne m’inspire guère confiance à première vue.
Une gorgée puis une autre, la sentence est unanime : ce breuvage est déclaré boisson officielle de la Tuono Cup 2020 !
Titre: Re : Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal
Posté par: dam-s le 28 novembre, 2020, 18:04:38 18:04
trop bon !!!  :D
t'as oublié l'appareil photos ???  :P
Titre: Re : Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal
Posté par: Bourrask le 01 décembre, 2020, 23:03:22 23:03
Ahahaha! ;)


Notre quête avance, le Graal est proche.
Le déroulé de notre pèlerinage validé deux semaines avant notre départ était le suivant : une descente par les massifs ardéchois et cévenoles depuis Lyon jusqu’en Espagne sur deux jours comme échauffement. Trois étapes en terre catalane. Ensuite une journée de liaison pour rejoindre Carcassonne et réaliser deux autres boucles dans cette région prometteuse. Enfin retour au point de départ en deux temps à travers l’Aubrac et l’Auvergne. Dix jours de moto et 3500 bornes de montagne au total.

Itinéraire espagnol n°1. C’est désormais un classique depuis l’édition originelle de la quête du Graal, celui que l’on suit toujours en premier.
Une manœuvre de 400 km découpée en deux parties avec une première percée plein est par le nord relativement roulante jusqu’à Tremp, pour ensuite à mi chemin revenir par le sud et un tracé incroyable de plus de 150 km de virages enchainés les uns aux autres de manière quasi divine.
La section roulante du début un peu ennuyeuse par endroits, tout de même parsemée de très grands moments, permet traditionnellement de rependre des forces après les deux premières étapes avant d’attaquer la route du Graal qui, elle, s’avère physiquement beaucoup plus rude par sa durée.
Mais ça c’était avant. L’année dernière j’ai découvert une voie parallèle perdue et bien plus joueuse qui permet de shunter une grande partie de la section indigne pour n’en subir qu’une quarantaine de kilomètres tout au plus. Avec le temps cette étude cartographique est devenu un diamant poli, une pure œuvre d’art.

Dis-moi merci Biké ! Tu vas souffrir…

Contact. Moteur. Explosion. Le silencieux, qui avec les années n’en a plus que le nom, crache sans retenu les décibels graves du V60. La journée est lancée.
Dans les faits, nous traversons la bourgade de notre hôtel isolé sur les hauteurs de Ribes de Freser en roue libre pour démarrer les moteurs plus loin. Parfois hélas nous sommes traversés par quelques moments de lucidité…

Le kilomètre zéro de la première boucle magique se situe à 10 km de notre point de chute. Le temps de ravitailler en essence, de chauffer le moteur et les pneus, les choses sérieuses peuvent enfin commencer.

Hé Doc nous revoilà !

Le 88 miles à l’heure faut oublier par contre.
Campdevanol – Guardiola de Bergueda par le col de Merolla, 30 bornes à couper le souffle. Je ne parle pas des paysages, je les vois mais je ne les regarde pas, comme un arrière plan. Faut pas s’attendre à des photos, j’en prends presque jamais. Si je roule à moto c’est pour provoquer un état de transe, un moment de symbiose magique entre la route, la machine et le corps. Ces moments sont rares. Toujours cette sensation s’opère sur route inconnue, d’une manière très singulière quasi impossible à reproduire ; en vérité la quête du Graal est la recherche de cet état et non pas celle d’une route en particulier. Alors quand tous les astres s’alignent, que la montée d’adrénaline tant espérée arrive enfin, je ne m’arrête pas pour photographier les panneaux des cols franchis.
Ceci dit j'ai trouvé le remède pour apprécier un peu les paysages et le gris du bitume, j’ai tenu un engagement passé.

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Casse-toi Pierre Soulages avec ton noir! Le gris est plus beau.

Un bon trip doit commencer fort et se terminer en apothéose avec entre les deux un minimum de déchets. Alors passées les trente premières bornes du premier manège infernal, on continue en direction du passage obligé de la Seu d’Urgell à travers la Serra del Cadi, une parallèle montagneuse et reculée délivrant la sensation d’être seul au monde.

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A partir de la Seu on passe en mode avance rapide jusqu’à Tremp via la partie roulante obligatoire de notre itinéraire. En étudiant la carte y’aurait bien là aussi une alternative mais je crains que ce ne soit encore un raccourci qui rallonge, et en vérité je les aime bien ces parties roulantes, larges, faciles avec un peu de vitesse, elles sont fun et reposantes.

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Rapidement nous atteignons le point le plus occidental de la journée et la ville de Tremp, une balise à contourner pour un demi tour vers l’Est, vers Isona et le col de Nargo situé quelques kilomètres plus loin qui ouvre la voie de la route magique. Il serait l’heure aussi de déjeuner cependant Jean et moi avons briefé Biké la veille. En Catalogne l’heure espagnole est de rigueur : le déjeuner de midi c’est pas avant 14h, le soir c’est 21h au plus tôt.
Il doit être 13h50. Soit on trouve un restau maintenant dans un des bleds perdus alentours, soit on se goinfre les 40 bornes du col désormais juste devant nous. Devine ! Quand tu découvres la carte au trésor tu ne t’arrêtes pas en chemin.

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Derrière le panneau, la quête mystique commence.
Deux minutes en caméra embarquée pour découvrir la vérité à nue.
Je sais c’est toujours chiant les caméras embarquées des autres alors je vous livre un court extrait de 2 minutes seulement.

https://youtu.be/3VePu7MG3w8

(https://nsa40.casimages.com/img/2020/12/01/201201103920195125.jpg) (https://www.casimages.com/i/201201103920195125.jpg.html)

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Parfois faut quand même s'arrêter bouffer. J’avais en point de mire au bout de ces 35 bornes le restaurant déjà expérimenté l’année dernière.
Enfin attablé en terrasse, on rigole une fois de plus à la lecture du menu que l’on ne comprend pas même si l’on finit tout de même par deviner certains plats, on apprécie le moment présent simplement.
Sur la fin du repas subitement un vent violent se lève, les serviettes et les nappes s’envolent, les motos tressaillent sur leurs béquilles et comme dans un western des rouleaux de paille virevoltent sur la chaussée, le propriétaire des lieux abaisse en hâte les stores de notre havre de paix. Un ciel d'un noir profond plane au plus près des sommets face à nous.
Casse toi Soulages, vraiment!

« On repart dans quelle direction? » me lance Biké.
« Celle de l’orage.»
« Y’aurait pas un plan viable par la nationale sur ta carte, un itinéraire plus court ? »

La carte je ne l’ouvre même pas. Soit on trace par la nationale en ligne droite immédiate vers l’orage, cap plein nord, soit on continue comme prévu via la voie du Graal qui longe le massif par le sud-est en espérant contourner et échapper à la dépression plus loin.
Voilà la version raisonnée que j’aurais pu répondre.
Non mais bordel rien ni personne ne me fera rebrousser chemin si près du but. Les aléas de la météo font parti des risques du métier, et à vaincre sans péril on triomphe sans gloire (Pierre Corneille), et parce que sans maîtrise la puissance n’est rien… Ah merde ça c’est la pub de Pirelli.
Voilà ce que je pense à ce moment précis.
Ce que je réponds :
« On paye et on se casse, ça raccourcit à peine par la nationale mais faut se barrer fissa. Ca passe large j’en suis sûr ! Vous avez des combinaisons de pluies au pire ? »
« Non. » m’indiquent-ils tous les deux.
Mouais. Je m’en doutais…Si y’avait un seul truc à retenir parmi toutes les conneries que j’ai pu écrire auparavant c’était bien la liste des courses, bordel !
« Je vais être solidaire, je ne mets pas la mienne. »

C’est surtout que là faut revêtir tout le bardas. La dorsale, la combi cuir, le tour de cou, les bouchons d’oreille, le casque, les gants, les lunettes des soleil, etc, c’est long, trop long. Alors après tout ça se lancer dans l’enfilage de la combi pluie en pardessus, laisse tomber ! Quand les premières gouttes de pluie s’abattent sur nous c’est chacun pour soi et dieu pour tous, prêt ou pas, moi j’me casse.

Le road book est simple. A 400 mètres, la prochaine à droite pour 120 bornes de virages sans intersection. Coup d’œil dans le rétro, Jean et Biké ont tourné. C’est bon on ne pourra pas se perdre. Dans le creux de la vague, je mets grand gaz vers le sommet pendant qu’il en est encore temps car, optimiste, je suis certain qu’en haut le ciel sera dégagé et l’horizon prometteur. La pluie s’amenuise. Le sommet approche, la délivrance avec.
En haut, la grêle.

Heureusement que je ne suis pas pilote d’avion. Je te dézinguerais l’appareil avec 300 passagers à bord par ce que ça passait large au dessus de la crête les moteurs en feu.

Ma première pensée est pour la carène de mon Tuono. Si la grêle s’épaissit elle va tout casser ! Le carbone résonnant beaucoup, le moindre impact éveille l’idée d’une déchirure profonde de sa robe noire mate si fine et courte. Comme par miracle l’averse de grêle disparaît aussi vite qu’arrivée cédant la place à une pluie lourde, froide et durablement installée sur notre sort.
Je suis détrempé en quelques minutes à peine. Je ne distingue plus aucune lueur dans le rétro depuis des kilomètres. Ils sont deux alors tout va bien. Un arrêt pour revêtir une protection waterproof n’étant plus approprié, l’erreur du débutant déjà largement consommée, je continue sur ma lancée jusqu’à la prochaine bifurcation majeure du tracé sur lequel nous nous sommes engagés. Dans ces conditions chacun doit trouver son rythme ou suivre son propre chemin de croix. Le mien s’arrêtera plusieurs dizaines de kilomètre plus loin sur les hauteurs de Berga pour vider l’eau de mes bottes doublées en membrane étanche GoreTex.
Deux lumières attendues scintillent enfin à l’horizon. Ce sont eux ! Les deux motos se garent à mon coté.
« Mais qu’est-ce que vous avez foutu, bordel !? »
« On a eu des soucis d’électronique… »

47 minutes plus tôt.
Jean.
Cartographie Rain : OK. Traction Control en mode bridage 106 chevaux : OK.  Anti-wheeling sur 8 : OK. ABS « que c’est même plus toi qui actionne le levier»: OK. Suspensions Olhins pilotées : réglage soft 3 variante B. Contrôle de vitesse sur la pit lane : pas besoin on passe. Connection Bluetooth via appli Smartphone pour retransmission oreillette: OK. Pneus pluie : pas OK ! Merde pourquoi j’ai pas les pneus pluie?
7 minutes et 43 secondes plus tard…
Bordel il m’a même pas attendu ce connard de Quentin !

47 minutes et 8 secondes plus tôt.
Biké.
Moto déjà défoncée par la chute: faire OK puis valider 3 fois. Carto-quoi : appuyer sur le démarreur gaz coupé puis valider je sais plus comment : trop compliqué, on abandonne. Pneu avant en fin de vie au départ de Lyon : check. Etanchéité de la combinaison intégrale cuir: check, les trous améliorent l’aération et le séchage. Se rouler une clope : pas le temps.
Bordel ils m’ont même pas attendu ces deux connards !

1h30 plus tard nous regagnons enfin notre hôtel non sans la complicité de la formidable et inespérée petite averse des 5 derniers kilomètres.
Sacré Graal, je t’aime !

A 21h30 on est défoncé après le troisième apéro d’alcool espagnol au nom toujours indéterminé.
On note qu’aucun des différents barmen ne nous sert le même mélange, alors quand le patron en personne prépare le breuvage on s’enquiert :
« C’est une boisson espagnole traditionnelle ? Vous l’aimez aussi ? »
« Muy muy gusto ! »

C’est peut-être leur Suze à eux mais on torche la dernière bouteille quand même.




PS : En mode bivouac ou camping ce soir là j’aurais versé une larme sous la tente j’avoue.
PS2 : Avant de me coucher seul dans ma chambre j’ai ouvert la carte et effectivement par la nationale le temps de l’épreuve aurait été divisé par deux. Mais ça je ne leur ai pas dit. Ni le lendemain, ni jamais.

Bande son
https://youtu.be/0oaxCggPurI
Titre: Re : Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal
Posté par: Bestof le 02 décembre, 2020, 10:38:44 10:38
moi jaime cette vision de la ballade entre potes
Titre: Re : Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal
Posté par: arvigna le 02 décembre, 2020, 13:50:49 13:50
En fait tu t'entraines pour la sortie de ton roman.
Merci encore pour cette belle lecture.
Titre: Re : Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal
Posté par: dam-s le 02 décembre, 2020, 21:25:24 21:25
excellent, vraiment excellent  ...
j’étais avec vous sous le drache  ....  :D  ... c'est régulièrement mon lot !!

mais alors là, c'est vraiment de la poésie !!!
l'image exact de le définition que je me fais de la pratique motocycliste, depuis  + de 30 ans que je pratique ...
c'est ça : (je reprends tes paroles  !!)

"Si je roule à moto c’est pour provoquer un état de transe, un moment de symbiose magique entre la route, la machine et le corps. Ces moments sont rares. Toujours cette sensation s’opère sur route inconnue, d’une manière très singulière quasi impossible à reproduire ; en vérité la quête du Graal est la recherche de cet état et non pas celle d’une route en particulier."

je vais en faire ma devise  !!!!  :P
Titre: Re : Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal
Posté par: Dayto06 le 02 décembre, 2020, 22:23:11 22:23
Toujours émerveillé par ceux qui ont la plume facile!

Un régal à lire... On attend la suite.

;)
Titre: Re : Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal
Posté par: cooter le 02 décembre, 2020, 22:29:38 22:29
Quand je relis notre sortie en aveyron et celle de bourrask, c’est comme un match d’amateur et une finale de coupe du monde 86 avec diego.
Tout y est , rythme, paysage , endurance , routes sélectionnées ...... la référence du motard expérimenté ....... respect ;)
Titre: Re : Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal
Posté par: arvigna le 03 décembre, 2020, 09:50:21 09:50
Citer
je vais en faire ma devise  !!!! 
Idem !!  :D
Titre: Re : Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal
Posté par: Bourrask le 03 décembre, 2020, 20:01:53 20:01
Merci pour vos messages, c'est cool si ça vous plait.
Moi je vois ça comme une bande dessinée ou un scénario de film, un truc le plus visuel possible en tout cas.
La suite sans doute pas avant la semaine prochaine. Je vais avoir la pression maintenant, va falloir assurer jusqu'au bout :P ;)
Titre: Re : Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal
Posté par: dam-s le 03 décembre, 2020, 21:25:16 21:25
prends le temps, faut pas décevoir .... ;-)

et même si c'est pas loin, faut  faire une halte au cheylard ...
y a toujours de la binouze, du café ...  etc ...

on pourras causer becanes et roadtrip ...

on a pas mal roulé dans les Pyrénées et l’Espagne ... entre autres  ....
Titre: Re : Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal
Posté par: maico le 06 décembre, 2020, 17:41:26 17:41
On plane facile et c'est cool !
Elle t'emmène à coup sûr ... La Bourrask  :)
Titre: Re : Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal
Posté par: Bourrask le 12 décembre, 2020, 21:21:12 21:21
Si hier la conquête de la route magique fût perturbée par les éléments j’avais planifié, pour cette deuxième journée, de l’emprunter « en mode reverse » dans l’espoir de revivre l’expérience initiale remontant à plusieurs années, de retrouver la première fois.

Smells like teen spirit

Août 2014
Le trip avec Mehdi.
Partis de Lyon une semaine auparavant nous avions alors déjà traversé les Alpes jusqu’à Nice, exploré les alentours du Verdon, découvert le lac de Salagou et les gorges de Navacelles. Tout du long nous avions adapté l’itinéraire global étudié au préalable en fonction du moment présent, au jour le jour. Si le plan du départ ne prévoyait pas de halte au camping municipal de Sournia, nous nous y arrêtâmes la veille simplement parce que le coin était beau, l’heure tardive, la fatigue murmurant aussi ses choix.

D’après mes souvenirs, ce jour là nous partîmes sans réel but si ce n’est que de tirer jusqu’à la Province d’Andorre et d’aviser plus loin selon le ressenti. L’essentiel du voyage étant déjà accompli, la remontée vers Lyon toute proche, il ne nous restait qu’à valider le check point pyrénéen et à rentrer, la jauge des sensations à son maximum.

Encore engourdi, une bonne vibration me tirait doucement de ma léthargie matinale. Celle du devoir accompli, des régions traversées ou de la résonnance du V60 à travers le corps… C’est finalement celle de la panne sèche qui acheva de me réveiller à hauteur du panneau d’entrée de la première agglomération rencontrée. Mehdi vint à mon secours. Les réservoirs remplis à ras bord, la journée pouvait enfin commencer.

Nous reprîmes notre bonhomme de chemin vers l’Andorre, vers l’imprévu.
Sur le col large et roulant nous «cruisions » paisiblement, quand tout à coup un gugus en tenue de clown aperçu sur le bord de la route quelques hectomètres plus tôt nous doubla en trombe pour finalement s’arrêter à nouveau tout juste sa manœuvre effectuée. Nous reconnûmes un roadster midsize avec plaque allemande que nous saluâmes poliment en le dépassant à nouveau.
Une poignée de secondes plus tard, il réitérait sa manœuvre malicieuse. Avant la fin de la 3e répétition, très poliment nous acceptâmes l’invitation lancée en bonne et due forme.
Alors nous voilà parti en combat (presque) singulier. La France contre l’Allemagne.
Etaient aussi engagés dans la bataille, le Japon, l’Italie et l’Angleterre.

Au terme d’un échange de politesse de plusieurs kilomètres, Mehdi, beaucoup plus sociable que moi, proposa d’un geste au sens universel un arrêt commun pour signer l’armistice dans le bar le plus proche. L’Allemand accepta le cessez le feu.

Le motard étranger ne parlait pas un mot de français et à peine mieux l’anglais. Je ne pouvais le blâmer. Mehdi s’adressa alors à lui dans sa langue…

Avant notre trip, Mehdi je ne le connaissais pas vraiment. Nous nous étions rencontrés à travers un forum moto, avions roulé par deux fois ensemble et surtout validé un câblage mental identique concernant la pratique de la moto. Bref, surprise, Mehdi était un ancien LV1 allemand.
En résumé, notre hôte se prénommait Bernard. Il était en vacances dans le sud de la France pour quelques semaines et ce matin il était parti pour une balade avec la moto de sa femme. Une petite Street Triple R chaussée en Supercorsa, une bonne brêle pour aller chercher le pain.
Par rapport à nous, Bernard était un « ancien ». La cinquantaine passée, cheveux blonds, mâchoire carrée, les traits du visage saillants et l’allure générale svelte trahissant une certaine condition sportive, passée ou présente. Il portait un blouson textile aux couleurs délavées jaune et bleue de la marque Husqvarna des années 90 au moins avec pardessus une ceinture lombaire. Jeans et baskets complétaient son équipement.

« On va en Andorre après on se sait pas encore mais si tu veux tu peux nous suivre. »
Voilà à peu de choses près ce que proposa Mehdi à l’étranger.
Comme accords auprès des autorités officielles Bernard sortit son portable pour annoncer à sa femme son probable retard.

Les moteurs s’ébrouèrent. Façon de parler. La pression sur le démarreur du 4 cylindres du ZXR 750 de Mehdi s’accompagna comme à l’accoutumée d’une déflagration à péter toutes les vitres aux alentours. Le V60 accouplé au RSV Titanium produisait un son à peine moins agressif au démarrage, rauque et puissant une fois lancé et presque agréable quand on aime la sonorité des V2, que l’on est équipé de bouchons d’oreille aussi.
Ouais c’était l’ancien temps.
L’anglaise émit un son. Aspirateur Dyson? Turbine électrique ? Volkswagen Polo TDI 3 cylindres ? Va savoir. Cela dit, pour réaliser sa manœuvre de retournement sur le parking recouvert de gravier, Bernard effectua un demi donut pied à terre ! Les évènements pourraient prendre une drôle de tournure, me dis-je alors.

Gaz vers notre but indéterminé.
La frontière de l’Andorre franchie, Mehdi m’indiqua un petit col permettant de shunter une partie de l’insupportable traversée de la province. Une réminiscence de son enfance, un assaut qu’il me laissait mener, Bernard à mes trousses.
Dans la descente étroite, piégeuse, voire vicieuse dans ses enchainements, j’aurais tout tenté. Planté le freins en limite de blocage de roue avec ré-accélération à l’unisson, sorti la technique secrète et habituellement imparable à la supermot tout en contrebraquage et pied sorti dans les épingles, le repose pied léchant le sol, rien n’opérait. A part peut-être dans les enchainements où la trajectoire prédomine sur la technique pure… la moto de gonzesse surmontée du vieux clown ne me concédait pas un pouce.
La joute était très marrante. Eloignée du concours c’était plutôt un échange à l’égale d’une impro entre musiciens, le tempo montant à mesure que chacun apprenait à se connaître, révélant le rythme qu’il pouvait atteindre pour définir les limites techniques qui permettraient d’établir le cadre d’une performance commune. Bref c’était les répétitions avant l’interprétation magistrale et Bernard envoyait du très lourd.

Arrêtés au rond point au pied de la descente nous attendions Mehdi soumis à des problèmes de freins depuis le début de notre trip une semaine plus tôt. En montée ça allait, en descente c’était beaucoup plus sport.
Le V60 sur le ralenti, les bouchons dans les oreilles, j’entendais néanmoins Bernard gueuler. Pour moi l’allemand sonnait de manière plus agressive que nos motos.
Je me retournai vers lui. Il descendit de sa brêle et me tapa sur l’épaule en beuglant « Wunderbar !  Wunderbar ! »
Je devinai aisément le sens de ses exclamations.
Chez nous on dit : « T’attaquais toi? »

Le trio reformé, nous marquâmes l’arrêt peu avant la frontière entre l’Andorre et l’Espagne.

« On mange pas le midi, on boit du coca, on fume 2-3 clopes et on repart. »
Un truc comme ça traduit en allemand. C’était Mehdi qui parlait évidemment pendant que je sortais la carte…

Parce que j’ai toujours la carte !
Mehdi, lui c’est le roots, le mec qui te dégote un chemin à 23h passées en guise de bivouac parsemé de crottes de renards. Pas de problème pour dormir en combinaison cuir intégrale, le casque sur la tête visière fermée pour échapper aux moustiques. Il est l’impulsif, l’aventurier.
Moi je suis l’organisé, le prévoyant. J’ai toutes les cartes à l’échelle départementale de notre voyage. A vrai dire je n’étais pas comme ça avant, mais dormir trempé dans une tente, sans aucun change sec, dans le froid des sommets alpins ça forge l’expérience. Avec nos différences nous formions un duo de choc. L’union sacrée au service de la connerie.

Je présentai la carte du nord-est espagnol à l’échelle 1/400 000e que j’avais emportée au cas où.
« On peut tailler un bout de route en Espagne, ce sera court, 2h grand max. » Estimais-je en traçant du doigt l’itinéraire sur le papier.
En même temps que l’on discutait roadbook on en apprenait un peu au sujet de Bernard. Ancien Crossman en compétition dans sa jeunesse, il roulait désormais sur différents circuits européens au guidon d’une CBR 1000 RR et d’une S1000 RR. Le smartphone en main il nous présenta une photo de la BM sur le tracé d’Alméria avec beaucoup de modestie. C’était visiblement un mec simple et cool. Et surtout un très gros client.
Bernard décida de nous accompagner. Nouveau coup de fil à sa femme « Ne m’attends pas avant la fin d’après midi. » Traduction supposée.
Il insista aussi pour nous offrir boissons et paquet de clopes.
Ouais, y’en a même qui nous donne du fric.

La portion rectiligne jusqu’à la prometteuse bifurcation vers les massifs s’éternisait, la route était ennuyeuse et plus longue que je ne l’avais imaginée au départ. Je compris néanmoins assez vite mon erreur, celle de l’échelle, bien différente des cartes utilisées jusqu’à présent. Deux fois plus grande, les distances et le temps étaient multipliés par le même facteur. La petite demi heure de ligne droite prévue s’étalait finalement sur une cinquantaine de minutes avant l’embranchement convoité.
Ici commençait le Nirvana. Une route taillée comme une piste de kart, étroite et sinueuse à l’extrême, revêtue d’un bitume digne des plus beaux cols alpins suisses. D’emblée je devinai qu’on allait se prendre une grosse dose de sensations incroyables. Y compris l’angoisse quand il faudrait planter les freins dans un gauche aveugle face à cet énorme et improbable car de tourisme noir à double étage emplissant toute la voie, perdu dans sa manœuvre entre les garde-fous du précipice et les débords de la falaise. Objectif le pied à terre au plus court, sinon c’était le choc frontal assuré. On s’arrêta à cinq mètres du mur.

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Une pause plus loin pour savourer quelques instants sur ce tracé fantastique d’une trentaine de kilomètres, certainement unique et à la qualité indétrônable selon moi à ce moment précis, nous découvrîmes une section plus dantesque encore. Le bitume étroit céda la place à une descente extra large en opposition complète à la montée précédente et au bitume tout aussi parfait. Au niveau sensoriel, aucune redescente, plutôt une envolée encore plus puissante que la première dose.
Au total 80 bornes cumulées. Il était temps de s’arrêter pour ravitailler en carburant et échanger sur cette expérience singulière partagée ensemble.
Nous repartîmes l’esprit apaisé et serein à l’idée que la déflagration sensorielle était belle et bien terminée. C’était sans compter sur la troisième dose encore plus phénoménale qui nous emporta dans sa prodigieuse montée en puissance.

Quelque chose arrivait devant. Les premiers enchainements paraissaient irréels. Coup d’œil rapide sur la carte comme pour m’assurer que je ne rêvais pas, désormais j’intégrais l’échelle, il devait y avoir 50 bornes au bas mot. Ca allait être une putain de déferlante!
Je sentais que mes derniers instants de conscience allaient bientôt s’évaporer alors dans le dernier court bout de droit conduisant au Graal… Je me vois encore me retourner vers Bernard pour d’un geste évocateur lui demander s’il souhaitait ouvrir la voie. Un peu trop souvent coller à mes basques, je réalisai là que ne voulais plus me soucier de qui que ce soit pour apprécier pleinement ce qui allait arriver. Geste tout aussi explicite en guise de réponse négative. Surtout pas! Alors ainsi soit-il, Amen.
Pour la suite je n’ai pas de souvenir précis de cette première expérience de la route magique.
Au terme de 50 kilomètres infernaux, nous nous s’arrêtâmes sur un parking pour retirer les casques et se jauger les uns les autres. Hallucination collective ou expérience mystique ? Avions nous rêvé ce même moment tous ensemble ?
Hare Krishna ! Bernard lui était comme sous trip LSD façon seventies répétant en boucle les« Wunderbar ! ».

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La raison retrouvée, nouveau coup de fil à sa femme : « Je vais rentrer un peu plus tard que prévu. »
J’imaginais là encore son échange téléphonique.
Il devait être 20h et la frontière française se situait à plusieurs dizaines de kilomètres. Nous visions les Prats de Mollo puis Amélie les Bains où nous couperions par le massif nous séparant de l’Ille sur Têt et Sournia. Il était temps de repartir. Le ciel s’assombrit, quelques gouttes de pluie tachèrent le sol en guise d’avertissement. Ce fût l’apparition des premiers effets d’une force qui tentait de nous retenir.

Le sommet du col d’Ares recouvert d’un brouillard à couper au couteau, nous passâmes au milieu des vaches plantées sur la route. Bordel de merde, était-ce un autre signe ?

Amélie les Bains, la nuit tombée nous fîmes nos adieux à Bernard. Nous ne le reverrions jamais mais nous garderions tous, je pensai, le même souvenir de cette incroyable journée.
Dernier coup de téléphone à son épouse. Il prit cher sûrement.

Quelques clopes grillées en guise de victuaille plus tard nous repartîmes Mehdi et moi pour le col de Xatard dans la nuit noire éclairée seulement par nos phares, et aussi un petit voyant orange allumé sur mon tableau de bord. Nous nous arrêtâmes au sommet pour profiter de l’ambiance sauvage qui régnait ici. Les sonorités de la vie nocturne animale envahissaient le fond sonore de manière très intimidante. On se serait cru dans un film d’Indiana Jones. C’était même un peu effrayant.

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Fallait rentrer. Au redémarrage, panne d’éclairage du ZXR ! Plus de lumière, rien, que dalle.
Moi : « Comment on la joue ? »
Mehdi : « Bah je vais te suivre comme le fil d’Ariane. »
Je lui avouai ne pas être rassuré et sur la réserve depuis 20 bornes alors que la carte indiquait 30 kilomètres à travers la montagne avant la prochaine ville.
Il était cher ce Graal.

Nous repartîmes à une allure adéquate pour profiter d’une lumière pour deux. Etant donné les capacités d’éclairage du Tuono autant dire qu’on se traina méchamment. Et pour ne pas faire les choses à moitié je nous engageai sur un raccourci qui rallongeait. Jaune ou blanc sur la carte, à la lumière de la lampe frontale c’était du pareil au même, ainsi nous bifurquâmes sur le col de Palomère au lieu de poursuivre par la départementale jaune plus directe.
Le ruban routier était hyper étroit et son revêtement pourri, enfin le peu que je discernais. Les plaques de gravier furent fréquentes, la roue arrière dérapait même à faible vitesse. Enfin on bascula du coté de la descente vers la vallée. On coupa les moteurs pour économiser les derniers centilitres de carburant et éviter le coup de la panne d’essence une deuxième fois dans la même journée.
Et au bout d’une éternité nous regagnâmes la civilisation. De l’essence aussi.

A l’Ille sur Têt nous retrouvâmes la « D2 mon amour » véritable spéciale de rallye qui menait à Sournia. A la vue d’une grosse pierre au milieu de la route je marquai quasi l’arrêt pour la signaler à mon poursuivant et au moment même de ré-accélérer une famille de sangliers traversa la voie juste devant ma roue. La récompense du Graal devait-elle s’accompagner d’un sacrifice ?
Puis les lumières de Sournia furent à vue perchées sur le flanc de la montagne. Cinq kilomètres seulement nous en séparaient, mais après tous les évènements de cette journée, ils semblèrent les plus longs.

(https://nsa40.casimages.com/img/2020/12/12/201212085031474716.jpg) (https://www.casimages.com/i/201212085031474716.jpg.html)

Minuit passé, enfin nous étions de retour. Hourra ! Le foyer du village encore ouvert nous espérions trouver pitance (on avait rien bouffé depuis 24h). Nous fûmes accueillis par des jeunes et un sympathique belge bien entamé. Subjugué de nous avoir vu sortir de la nuit à moto dans ce coin paumé il nous offrit plusieurs bières. Aussi il voulait acheter le ZXR qui lui rappelait sa jeunesse. Ca c’est parce qu’il était bourré…Le V60 eut été le bon choix.
Y’en a même qui nous donne du fric.

Deux jours plus tard, on rentrait mais le feu sacré, le Mojo, restait ici avec le Graal. Tel était le prix à payer.

Smells like teen spirit
Titre: Re : Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal
Posté par: Bourrask le 12 décembre, 2020, 21:30:46 21:30
Retour à notre été 2020, à cette époque où désormais on porte le masque.

A vrai dire ce matin je suis content de l’avoir sur le nez et surtout rassuré que tous les clients de l’hôtel le portent également. Mon cuir détrempé de la veille exhale une tenace odeur de pisse de chat. Alors un peu honteux je traverse rapidement les deux étages pour sortir de la bâtisse et retrouver les motos garées sous l’auvent. Je n’ai qu’une hâte démarrer pour prendre l’air frais de plein fouet.

Nous rejoignons rapidement Ripoll, ville au départ de la route à sensations, à dix kilomètres seulement de notre gîte. En sens inverse le tracé effectué la veille sous la pluie est parfait aussi mais la magie ne sera jamais plus celle de la découverte initiale, il faut bien s’y faire. Nous ne croiserons ni Mehdi, ni Bernard, ni même aucun autre motard comme sur la majorité des routes espagnoles. La région catalane est une terre de moto déserte…c’est sans doute ce qui demeure l’un de ses plus grands atouts.

Au bout d’1h30 nous nous arrêtons au sommet du col qui marque l’intersection vers l’aventure. Cette deuxième journée devait être dédiée en majorité à l’exploration des zones encore méconnues de la région.
« Je vais rentrer à l’hôtel, je m’sens pas bien » nous annonce Jean.
Tourista?
Pour être franc, je suis un peu déçu de ne pas pouvoir nous engager pleinement sur des tracés nouveaux surtout après la longue distance parcourue depuis la région lyonnaise, mais la solidarité doit primer avant tout. Le road book de folie je l’ai prévu pour le troisième jour, aussi cette perspective efface rapidement la déception.
« On va raccourcir la boucle et prendre le chemin du retour. On est une équipe. Toussa…»

Biké allongé dans l’herbe verdoyante et fraîche de la pluie précédente, une clope entre les doigts : « C’est bien la meilleure pause depuis le début du trip. »
Si Biké croit qu’il va s’en sortir comme ça…

Nous repartons par la descente sur Solsona totalement inconnue qui rallonge à peine la distance retour et vaut la peine de ce court détour. Le voyant orange s’invite sur le tableau de bord un peu avant Solsona. Nous poursuivons vers Berga.
Chaque agglomération possède sa station essence alors pas de panique. Cela dit les distances séparant les différentes villes sont longues et désertes, et ça nous allons nous en rendre compte dans les minutes à venir.
Sur ce tracé, nouveau lui aussi, tout en virages serrés on met du gaz. Pour un temps. Désormais la réserve est allumée depuis 25 bornes et nous n’avons pas roulé à l’économie.
Dernier carrefour avant Berga, le panneau indique 28 kilomètres, je m’en souviens nettement. Avec son V4 1000 Biké doit déjà être en train de fulminer. Bordel il nous fait encore jouer avec les limites de la réserve ! J’ai la même autonomie. Jean lui a de la marge avec son 1100 et ses 30 à 40 bornes supplémentaires. Mais là il va falloir prendre des mesures drastiques.
Alors sur la suite du tracé très joueur je nous cale à 50 km/h. C’est le seul moyen qui nous permettra éventuellement de ne pas avoir à pousser les motos…Biké et moi.

Biké sera le premier à s’arrêter.
Je revois sa moto dans le rétro finir sur l’élan de la descente et ne pas remonter la pente de la cuvette. Panne sèche.
Je ne m’arrête même pas, le demi tour serait trop couteux en essence, et poursuis sur les derniers centilitres du réservoir. La solidarité toussa...J’imagine sa tête croyant qu’on l’abandonne à son sort et ça me fait rire.
En dehors du champ de vision de Biké, je me mets d’accord avec Jean. Lui part en éclaireur jusqu’au prochain relai, et moi je poursuis à faible allure jusqu’à la panne sèche. Jean nous ravitaillera l’un après l’autre au retour.
Après quelques kilomètres de montées sur le filet de gaz et de descente en roue libre je réussis l’exploit de rejoindre la station essence la plus proche sans avoir croisé Jean.
A l’image d’une scène du nanard Torque que j’ai vu récemment j’ai bien envie de dire pour déconner à la gérante de la station, tout comme le héros en RSV Mille du film : « Je n’ai absolument aucun problème d’essence ! »
Ne parlant pas espagnol, je me contente de verser 16,85 litres dans le réservoir de 17. J’étais large.

Je reprends la route en sens inverse pour retrouver Biké.
« Alors toujours en panne ces italiennes ! »
Biké me réponds avec le sourire. Je suis presque déçu de sa réaction.
Jean n’est pas revenu, je suis le premier.
« Tu vois c’est ça les vrais potes ! »
Quelques minutes à peine et les grognements du V4 1100 raisonnent dans la campagne perdue.
Jean justifie son retard avec les quelques difficultés de paiements sur l’automate de la station qu’il avait choisie.
En tout cas maintenant on va pouvoir rigoler. Je sors la durite en caoutchouc noire que j’ai toujours sous la selle arrière et la tends à Biké.
Le monde se divise en deux catégories, ceux qui tiennent un pistolet chargé et ceux qui creusent. Toi, tu creuses…
« C’est celui qui tombe en panne d’essence qui siphonne ».
Et Jean de nous présenter une longueur de durite translucide sortie de sa sacoche de réservoir. A la fois je suis agréablement étonné et en même temps je suis un tout petit peu déçu, avec la durite noire c’était plus drôle.

On plie les gaule on se casse.
Retour à l’hôtel par des routes semblables à toutes celles qui parsèment la région et procurent la même sensation : le nirvana.

Les hôteliers aussi ont ravitaillé alors ce soir nous pourrons poursuivre l’ivresse de la moto avec l’alcool magique au nom toujours indéterminé.

https://youtu.be/bm51ihfi1p4
Titre: Re : Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal
Posté par: Dayto06 le 12 décembre, 2020, 22:38:24 22:38
Toujours excellent!
Un vrai roman avec le petit flashback fort sympathique et les petites références musico-cinetographiques...

D’ailleurs j’ai revu il y a quelques temps que teen Spirit qui a inspiré Kurt, c’était le nom d’un déodorant pour jeune qui passait en publicité à l'époque... Comme quoi on peut faire un titre phare à partir de rien.

Au plaisir de lire les prochains trips!

;)
Titre: Re : Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal
Posté par: Bourrask le 10 janvier, 2021, 18:36:31 18:36
Troisième et dernier jour en Espagne.

Le premier itinéraire était celui de la reconquête du Graal, le deuxième celui de l’exploration (même si écourté), le dernier sera un best of des routes de la région découvertes l’année dernière.
En 2019 Jean et moi avons passé cinq jours ici à quadriller le secteur alors pour ce dernier road book j’ai prévu le meilleur. On oublie la Costa Brava et le Montserrat certes magnifiques mais inroulables. De manière générale plus on avance vers le sud plus les routes sont encombrées, la chaleur intense, le bitume poussiéreux, l’adhérence mauvaise. Il ne faut pas quitter la montagne telle est la leçon à retenir.

Aujourd’hui ce sera du double + au minimum parsemé de morceaux en triple et quadruple + tout du long. Sur ma carte Michelin toutes les routes sont repérées et annotées, il n’y avait qu’à les relier les unes aux autres pour établir le road book parfait avec le minimum de temps morts entre chacune et concevoir ma plus belle œuvre espagnole.
Elle commence avec une courte portion de la route du Graal initiale jusqu’à la bifurcation vers le « Trou noir » de la seconde quête de 2017 saturé en virages. Juste après c’est la descente sur St Hipolit de Voltrega hyper étroite tout en pif paf. Ici arrêt essence dans une petite ville déserte comme à l’accoutumée dans cette région. Avec les mesures liées au Covid les rues sont encore plus esseulées, une étrange sensation de fin du monde imprègne l’atmosphère.
Ensuite nous empruntons une partie d’autoroute pendant une vingtaine de minutes pour contourner Vic et rejoindre le prochain spot. C’est la seule partie inintéressante de l’itinéraire du jour. Après nous enchainerons jusqu’à l’arrivée les spéciales de rêve.
Calders – St Llorenç Savall : la plus belle route de la région selon moi. Un décor de western et un tracé extraordinaire d’une trentaine de kilomètres, au bitume parfait, dessiné tout en enfilades de virages souvent improbables, toujours jouissifs. Ici on atteint le Saint Graal de la conduite moto. Et des routes comme ça il y en a plein la région.

Je pourrais comparer avec les Alpes. A quatre reprises j’ai traversé l’arc alpin depuis ses contreforts de l’Ain jusqu’à la Slovénie parce qu’à l’époque je pensais que le Graal s’y cachait. Pourtant jamais là bas je n’ai trouvé route aussi incroyable. Certaines sont remarquables. Le San Bernardino entre Italie et Suisse, le mythique Stelvio et quelques autres cols suisses et autrichiens. Les hauts cols alpins sont tous les mêmes finalement. Ligne droite sur épingle sur ligne droite sur épingle.... C’est grandiose si on aime les paysages pelés et minéraux et la perdition totale. Entre l’Italie, la Suisse et l’Autriche, on ne sait jamais où l’on est. Cette sensation est unique. Quand je serai vieux j’y retournerai c’est sûr.

Les Pyrénées elles sont jeunes et sauvages, leurs sommets pointus et leurs versants verdoyants. Aussi l’horizon s’ouvre sur le sud et la Catalogne au contraire des Alpes, de l’Autriche du froid et des intempéries. Au niveau des paysages je concède un match nul.
S’agissant du plaisir de conduite les Pyrénées espagnoles et plus particulièrement la Catalogne se positionnent trois ou quatre level au dessus des Alpes. Pas de tracé extra large roulant, pas de haut sommet interminable à gravir entre une multitude d’épingles et autant de bouts droits, pas de circulation touristique continue en tout genre. Ici il n’y a que des enfilades de virages à l’infini dans le désert le plus total, du plaisir de conduite à l’état brut. Le Nirvana.

Notre journée s’est poursuivie comme elle avait commencé, à travers la montagne de Montseny et d’autres, notre plan s’est déroulé sans accroc, la jauge des sensations à son maximum.

Notre soirée est la dernière en Espagne.
Sans tristesse nous consommons la boisson qui aura accompagné toutes nos fins de partie depuis notre arrivée en terre catalane. Ce soir nous ne scellons pas la fin de notre voyage mais fêtons plutôt la prochaine et toute nouvelle étape de notre Tuono Cup 2020 : vers l’Aude et au delà !
Titre: Re : Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal
Posté par: Bourrask le 10 janvier, 2021, 18:45:30 18:45
Ce matin nous partons pour l’étape de liaison entre Ribes de Freser et Carcassonne.
200 kilomètres seulement séparent ces deux villes par le trajet le plus court, alors peut-être que Jean et Biké s’imaginent une journée à l’avenant….Ou peut-être pas. Depuis longtemps ils connaissent mon super pouvoir qui permet de rallonger les distances et doivent se douter que j’ai un plan pour en effectuer pas loin du double. Et on ne va pas quitter l’Espagne comme ça !

En prévisions d’hypothétiques fermetures de frontières liées au Covid avant notre retour j’avais imaginé d’emprunter des voies dissimulées pour regagner notre chère partie. Plusieurs traversées sont possibles entre l’Espagne et la France par des routailles sinon perdues en tout cas non favorisées par Google Maps mais pourtant représentées sur la carte Michelin. En cas de block out on aurait réalisé un large détour vers l’Est pour tenter notre chance entre deux trous paumés de part et d’autre de la frontière. Le passage officiellement ouvert nous nous contenterons du petit col le plus proche que j’avais repéré depuis Castellfollit de la Roca et qui nous amènera, coté Espagnol, au pied du col d’Ares. Alors au lieu de tirer tout droit vers la frontière située à 40 kilomètres de notre hôtel, on commencera par 80 bornes de détour.

Un dernier regard lancé pour notre hôtel animé par des centaines d’hirondelles tournant sans cesse autour de sa façade plein sud, nous voilà parti pour de bon. D’abord par l’étroite route montagneuse obligée en descente vers la vallée de Ribes pour ensuite rejoindre la nationale jusqu’à Ripoll et le départ du large col qui conduit à Olot.
Désormais ici je me sens en territoire conquis. Un peu comme le passage de la frontière entre la Suisse et l’Autriche arpenté quelques années plus tôt. Là bas il fallait franchir le sommet aux éoliennes avant le tunnel en forte descente au bitume marqué par les intempéries hivernales et souvent accompagné par la pluie. On se croyait presque arrivé mais il fallait encore passer un col puis un autre avant de tourner devant l’hôtel dressé dans l’épingle signalée de bordures rouge et blanche. On aurait dit une case du Joe Bar Team. Et quand il faisait beau on passait comme dans la bande dessinée ! Une dizaine de kilomètres après on rejoignait enfin notre camping à la ferme au pied du Grossglockner. On finissait par connaitre la route. Loin de notre patrie, trempés, rincés, rassasiés par les mixed grill ou les pizzas aux mélanges farfelus d’Helmut on se sentait presque chez nous.
Ici à la frontière espagnole désormais j’éprouve cette même sensation. Et j’en suis déjà un peu nostalgique.

La petite route vers la France pas facile à trouver, je nous fais effectuer plusieurs demi-tours avant de repérer l’embranchement convoité. Mal indiqué ce tracé semble se mériter. Etroit et perdu il nous conduit à travers les massifs sauvages de la région sur un bitume à l’avenant. Bizarrement il a plus de trafic sur ce petit ruban que sur certaines larges portions routières catalanes. Alors ça et là nous jouons à saute-mouton avec les automobiles sur notre chemin.

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Une duré indéterminée plus tard nous rejoignons la grand-route et les tous premiers virages du col d’Ares. La route désertée, le plaisir élevé nous arrivons vite aux Prats de Mollo qui sonnent le départ de la pénible mais courte trêve jusqu’à Amélie les Bains où j’ai prévu de poursuivre par une réminiscence avec la D2 qui passe par Sournia.

Pas pressé de confronter mes souvenirs avec la réalité, je gaze pourtant dès les premiers virages de la D618 en direction de Prunet-et-Belpuig. Le bitume ressemble à si méprendre à une route de mes très chers massifs du Bugey. Etroit, cabossé, gravillonné et sablonné par endroits, ouvert sur quelques lignes droites favorables à de courtes pointes de vitesse, je me sens comme chez moi là aussi.
Resté à l’heure espagnole je nous arrête peu avant 14h à St Marsal en face d’un restaurant pour attendre Biké qui doit bien souffrir sur ce col.

« Holà! Para comer ? Bonjour, pour déjeuner, c’est possible ? »
Le tenancier nous invite à nous attabler en nous indiquant son unique menu encore disponible, un plat ariégeois à base de boulettes de viande et de haricots dont je n’ai pas retenu le nom.
« Ce sera parfait ! »
Le plat principal déposé sur notre table, notre hôte nous lance avec entrain :
« Elles ne sont pas trop dures les routes de la région avec vos Aprilia ? »
Moi je suis encore jeune, Jean chevauche le dernier Tuono V4 Factory aux suspensions Ohlins pilotées électroniquement… Biké lui est en train de décéder.
« Nos motos sont dans leur élément. »
« Et vous venez d’où ? »
« Bah là tout de suite de l’Espagne et nous allons à Carcassone. Nous sommes de la région lyonnaise. »
En général c’est là que ça commence. Aussi à cet instant nous réalisons ce que nous n’avions pas remarqué jusqu’alors, nous sommes dans un relai motard et à cette heure si tardive pour déjeuner, nous avons eu droit aux dernières faveurs de notre interlocuteur. Celui-ci nous indique les routes à emprunter dans la région avec entre autre le col de Pailhères et ses 2001 mètres en direction d’Ax-Les-Thermes. Je n’écoute que d’une oreille parce que la route de l’Odyssée de l’Espace nous l’avons déjà faite, les Saints Christophe locaux on a déjà donné et le plan est établi : on ira à Sournia par la D2 depuis l’Ille sur Têt. Fin de la discussion. Parfois je peux être buté.
Mais ça m’arrive de prendre le temps de réfléchir alors au moment du café je sors la carte pour discuter sérieusement géographie avec le patron.
« J’organise des journées motos dans la région. Et avec ma femme on fait parfois de grosses balades. Y’a deux ans nous sommes parti en Mongolie avec la tente et le duvet. »
Bon c’était peut-être pas la Mongolie, je sublime un peu parce que c’est la destination au bout du monde dont je rêve, mais c’était un pays d’Asie c’est sûr.

Désormais il a toute mon attention.
Ma carte sous les yeux il poursuit : « Vous devriez passez par la route fermée de la Bastide et continuer par les gorges de Cabrils par Oreilla où on se croirait en Corse. La D2 par Sournia n’a aucun intérêt. »
Mais qu’est-ce que tu dis ? Malheureux!
Au lieu de cela je l’interroge sur une intuition: « Et vous roulez avec quelle moto ? »
« Avec la meilleure moto du monde… » me rétorque-t-il un grand sourire aux lèvres, la réponse en suspens pour marquer le coup comme s’il m’avait lui même deviné.
Surtout pas elle, par pitié !
«… La 1200 GS ! »
Il enchaine : « Mais pas le dernier cri tout électronique. J’en ai eu une mais c’est lisse et chiant alors je me suis repris un ancien modèle sans aide à la conduite.»
D’un coup il regagne des points et confirme ma décision : on va suivre son itinéraire.

Au moment de partir, notre hôte charmant et rigolard nous lance ses dernières indications:
« Vous continuez la route principale sur un kilomètre jusqu’à la bifurcation à gauche vers la Bastide barrée par un panneau de chantier. Vous pouvez y aller, ça passe. Et bien le bonjour aux Carca ! »
Apparemment c’est une blague envers les Audois que seul les locaux peuvent comprendre.
« Merci ! On reviendra. »
Et c’est sûr qu’on reviendra. Le restaurant fait aussi hôtel et je kiffe l’Ariège et les Pyrénées orientales.

Je repars sur le même rythme avant l’arrêt resto, gaz en grand comme sur mes petites routes de l’Ain.
Dans un virage à droite, juste à temps je repère le panneau vers la route barrée à gauche et m’y engage. Je les pensais derrière moi mais mes acolytes devaient être en mode digestion sur ce début de reprise. Arrêté peu après le panneau j’observe Jean dans le rétro hésiter à l’intersection. Peut-être attend-t-il Biké et veut-il lui signaler le changement de direction ? Passées quelques secondes de réflexions il vient finalement tranquille-pépouze se garer derrière moi assez loin de l’embranchement.
Les yeux toujours sur le miroir du guidon je vois quelques secondes plus tard Biké prendre le virage dans la mauvaise direction sans la moindre hésitation.

Normalement la règle dans ce cas là est que celui qui a perdu son poursuivant par faute d’indications se charge de le retrouver. OK j’ai un poil merdé et surtout je n’ai pas le temps d’expliquer cette règle qui pourtant va de soi à Jean alors je m’y colle. Résigné j’effectue un demi tour en trois manœuvres sur la voie large comme un sens unique, rayon de braquage du Tuono oblige, et me présente sur la ligne de départ pour la poursuite après Biké. Il a une bonne minute d’avance mais combien pour le rattraper? Si j’avais une montre j’aurais déclenché le chrono. 5 minutes ? 10? 15 ? Et autant pour revenir… C’était une journée détour à la base mais je ne voyais pas les détails comme ça.
Hue cocotte !
Autre règle : privilégier la puissance si nécessaire. J’aime pas trop ça en général, je trouve que c’est pour les lâches. Je préfère la vitesse de passage en courbe plutôt que de taper dans le moteur dans les bouts de droit. En cas de force majeure on a le droit de faire les deux.

Le rodéo sur la routaille sera court. Trois minutes à peine et je reviens sur Biké certainement à l’agonie sur ce bitume cabossé. Mais la partie n’est pas jouée. Je le devine notre Biké, il ne va pas me reconnaître dans son rétro même si ma moto est un modèle quasi unique et ne rendra pas les armes aussi facilement. Je ne tente même pas les coups de klaxon lui aussi étant équipé de bouchons d’oreilles. Faut passer en force pour mettre un point final à ce rattrapage d’échappé au plus vite. Je profite d’une sortie de virage avant un bout droit pour faire hurler le métal et le dépasser.
« Et là tu me reconnais ? »
Il me répond d’un grand coucou affirmatif de la main.

Retour à la route barrée.
Quelques kilomètres passés le panneau, le chantier mobile est franchi, la route déserte et rien qu’à nous. Au fur et à mesure de la descente étroite au revêtement usé, les virages s’enchainant intimement les uns les autres, le ciel assombri par de lourds nuages, les souvenirs remontant, une révélation surgit. Cette route est celle sur laquelle nous nous étions perdus avec Mehdi en pleine nuit des années plus tôt, j’en suis certain.

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Arrivés à Vinça nous prenons à gauche direction Prades à l’opposé de L’Ille-sur-Têt et de Sournia, la plus belle réminiscence accomplie par un heureux hasard.

En direction du sud le ciel devient irrémédiablement noir et menaçant. A Olette, les reliefs semblent trancher les évènements. En poursuivant à gauche de la montagne vers l’Andorre, la pluie est assurée. A droite le compas vers le nord le ciel se dégage. Derrière on doit s’inquiéter d’un nouvel épisode orageux. La carte posée sur le réservoir je suis serein car ici on vire plein nord vers la route corse promise par notre guide local.

Effectivement c’était bien un tracé typique des montagnes corses. Paysages sauvages et sensations de vertige au bord des précipices dignes des plus belles routes de l’île de beauté. Plaisir de conduite à l’égal des pires rubans reculés de montagnes. Visibilité nulle, bitume large comme une voiture sans la moindre échappatoire, impossibilité technique de dépasser le 50 km/h à quelque endroit que ce soit. Bref inroulable à moins d’être suicidaire. Alors j’en profite pour réaliser mes premiers clichés du voyage.

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Une demi heure passée nous nous s’extrayons enfin de cet enfer de lenteur et nous rejoignons Puyvalador et Quérigut.
Nous terminons la partie joueuse de la fin de journée par les gorges de l’Aude à des vitesses plus que prohibées comme pour rattraper la moyenne horaire. Après c’est la route principale jusqu’à Carcassonne avec à l’arrivée la découverte de la ville fortifiée éclairée par une merveilleuse lumière orageuse de fin de journée. Sublime et impressionnante.
Il y a longtemps que je voulais revenir explorer cette région. On verra demain pour la suite.
Titre: Re : Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal
Posté par: dam-s le 11 janvier, 2021, 21:50:11 21:50
super, on s'y croirait .....

miam miam le V60 ....  :-*
Titre: Re : Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal
Posté par: Bourrask le 31 janvier, 2021, 21:48:47 21:48
Jeudi 13 août 2020. 8h35. Parking de l’hôtel. Le ciel est d’un bleu limpide, la température matinale élevée, on cuit déjà. Contact, moteur et go !

En fait non, la moto ne veut pas démarrer. Je coupe le contact, le réenclenche et appuie à nouveau sur le bouton rouge. Toujours rien. Pas la moindre amorce de lancement, nada, que dalle, pas même un reset compteur. En même temps ça ne risque pas la batterie est neuve. J’insiste sur le démarreur jusqu’aux premiers bruits de craquements typiques en provenance de la roue libre. Je ne vais pas tout casser. La moto a décidé de me faire une scène alors j’arrête.
« Ok t’as pas dormi à l’abri cette nuit, mais il fait beau et sec. Tu me refais le coup du moteur noyé au premier coup de démarreur ? »
Elle aime bien ça depuis quelques temps. Et elle a parfaitement choisi son jour.
Ce matin nous avons un créneau entre 9h et 10h30 pour le changement des trois pneus arrière dans un bouclard de Carcassonne (celui où nous nous étions arrêtés la première année pour mon pneu avant). Cette année prévoyant on avait appelé tous les garages du coin pour des Pirelli sans succès et ce rendez-vous s’est avéré celui de la dernière chance. A Carcassonne y’a que du Bridgestone et tous les plannings sont remplis depuis belle lurette en cette veille de week-end du 15 août, alors autant dire que si la moto persiste à ne pas obtempérer pendant l’heure suivante ça va être la merde.
Jean et Biké insisteront pour tenter un démarrage à la poussette. Je savais par expérience que ce serait impossible mais c’était rigolo des les voir suer sang et eau par gentillesse.
L’heure tournant, j’indique à mes compagnons de se rendre au rendez-vous en espérant démarrer d’ici la fin de notre créneau programmé.

Maintenant que je suis seul avec ma moto je lui parle sérieusement :
« Cocotte si tu ne démarres pas maintenant c’est la fin du voyage assurée. On ne pourra pas remplacer ton pneu ailleurs ni aujourd’hui ni demain et après tout sera fermé. Je te le concède on pourra rentrer jusqu’à Lyon avec ce qui reste de gomme sur la bande centrale mais ce sera par l’autoroute voire la nationale. Sur les flancs ton pneu est mort alors oublie les virages ! »
Cette connasse dédaigneuse ne me répond même pas.

50 minutes plus tard, Jean est de retour. Entre temps nous nous sommes concertés et j’ai acheté des câbles de démarrage à l’hypermarché situé en face de notre hôtel. Le chrono tourne toujours alors on démonte fissa les selles pour connecter les batteries. Au bout de trois essais comme par miracle le V60 craque enfin, Alléluia !
Si je n’y croyais plus une demi heure plus tôt j’arriverai finalement dans le temps imparti chez Axe Moto. Le pneu est remplacé et la moto redémarre, la journée peut reprendre le cours des évènements prévu, je retrouve Biké et Jean sur le parking de l’hôtel.

Nouveau problème : le pneu avant de Biké ne lui permettra pas d’accomplir les 1000 à 1500 kilomètres restants jusqu’à la dernière étape de notre trip, d’autant plus qu’on vise désormais sérieusement les 4000. Le pneu est sur les témoins et le garage du matin n’avait pas le temps d’effectuer l’opération.
Solution : démerde toi pour trouver un autre garage, nous on va rouler avec Jean, t’avais qu’à partir avec un train de pneus neufs comme nous !
Je rigole, c’était moins abrupte que ça. Biké nous refait le coup de l’excuse technique pour s’octroyer une journée de repos alors on le laisse profiter de sa journée comme il l’entend en espérant le retrouver en pleine forme avec une moto prête à avaler les kilomètres à notre retour.

Le V60 redémarre au quart de tour, c’est parti pour un tout nouveau terrain de jeu dans les environs de Carcassonne. J’avais prévu l’étape audoise en deux manches. La première après notre escale technique pour une courte boucle de 250 kilomètres au sud, la seconde le lendemain avec 400 bornes au nord, les deux itinéraires tracés en forme de trèfle histoire de ne rater aucun spot régional ou le moins possible.
La méthode du trèfle c’est Pascal, mon mentor de moto comme j’aime à le définir, qui me l’a apprise.

Petite parenthèse en Dolorean volante.

On s’était rencontré par une froide journée d’hiver au bord du lac de Dortan dans le Jura. C’était ma première saison et ma première brêle, une Honda 650 SLR. J’avais choisi le gros mono plutôt que la 500 basique parmi les choix d’usage de l’époque. Je n’y connaissais rien aux motos et à vrai dire elles ne m’intéressaient pas autrement que pour leurs sensations mécaniques brutes et bon marché. J’avais juste quelques images télévisées du Dakar et des 24h du Mans en guise de culture motocycliste. Surtout l’envie simple de rouler dans les virages par delà l’horizon des reliefs du Bugey, ressentir des sensations mécaniques et dépasser certaines appréhensions du monde proche remontant à l’enfance. Aussi je n’avais aucun pote motard dans mon entourage.
C’était au mois de janvier 2001. Je grillais ma clope dans le froid à la faveur d’une pause quand une Pampera de trial descendit d’un chemin de terre boueux depuis le versant du lac derrière moi.
Les salutations d’usage effectuées ce motard décida de s’arrêter pour discuter. J’avais 21 ans, lui une bonne quinzaine d’années de plus que moi. J’ai toujours roulé avec des vieux en fait.
Surtout c’est ici et avec cette rencontre que commença réellement mon cheminement de motard et un peu plus tard la quête du Graal.

Pascal c’était le pur. Le fils d’agriculteur élevé à l’enduro et au trial dans sa Charente maritime d’origine. Le gamin qui à 16 ans gagne un concours de sécurité routière avec une 103 SP neuve à la clef et la revend pour une 125 d’occasion à boite parce qu’une vraie moto se doit de posséder des vitesses. Et quand vint l’heure de chevaucher la moto tant convoitée, d’effectuer le premier galop d’essai en espérant pouvoir proclamer enfin haut et fort son appartenance à la communauté, il salue d’un V ganté ses tout premiers motards croisés sur la route… Des gendarmes.

Je pourrais en raconter des kilomètres sur Pascal et les trips qu’on a fait d’abord à deux puis à trois avec mon frère. La Corse et 2000 bornes sur l’ile en une semaine, les Cévennes, le Mercantour et j’en passe. A chaque fois le but était le même : on allait dans une région pour quelques jours, on arpentait toutes les routes du tiéquar en zig-zag et on rentrait. Le GPS c’était pour les nazes (bon c’était juste le début à cette époque), y’avait que la carte Michelin qui comptait. Surtout on gardait toujours la même vitesse moyenne.
Je le surnommais secrètement Monsieur 100. Autant ça pouvait me saouler de rouler à 100 sur une section de voie rapide autant je trouvais carrément sport et difficile de tenir cette vitesse sur une route à chèvre de montagne. En plus on allait toujours tout droit du point A au B. 400 mètres de double voies ou 10 minutes de chemin de terre, rien à cirer, il fallait rejoindre les deux bouts au plus court.
Pour résumer cette période reste celle dont je suis le plus nostalgique. Ces années sur des tréteaux qui ne freinaient pas plus ils n’accéléraient, ne tenaient pas mieux la route, toutes ces arsouilles étaient les plus formatrices, inoubliables et roots que j’ai pu vivre.
Aujourd’hui, j’ai passé l’âge de Pascal qu’il avait lorsqu’on s’est rencontré, je roule en mille sportive depuis longtemps, vais à l’hôtel restau tous les soirs…Mais je roule toujours avec des vieux, je reste le jeune !

Je poursuis la quête du Graal.

Cette demi journée sera marquée par la route à chèvres. Je l’avais prévue à la lecture de la carte mais la réalité dépassera grandement mes ambitions.
On démarre par le camp de Roquemaurel en direction du plateau de Lacamp. Les routes sont tape- culs sans être très joueuse, on découvre, on rode les pneus, on s’adapte, ça va. Mais cette sensation de rouler sur de la tôle ondulée apparue dès le départ s’éternise.
A la faveur d’un arrêt, Jean m’invite à nous pencher sur le paramétrage des suspensions pilotées équipant son Tuono dernier cri avec le confort comme objectif.
« Ecoute je sais à peine me servir de mon smartphone alors ta game boy, laisse tomber ! Baisse tous les paramètres au plus soft, au pire t’en feras un SUV de vieux à la mode.»
Coup d’œil complice à ma RSV dépoilée de série limitée : « On est d’accord, on touche à rien, toi tu es parfaite et prête à tout. »

La suite du parcours sera à l’unisson des routes du départ, physique et peu attrayante. Mauvaise pioche tout du long, parfois la fortune prend des airs de malédiction.
Sur la fin de la boucle on enquille sur un tracé en parallèle d’un court d’eau aux allures de billard par rapport aux bitumes empruntés jusqu’alors. Derrière Jean ralentit puis disparaît du rétro. Je devine un arrêt pour paramétrer ses suspensions. Il faut couper le contact pour réinitialiser le bouzin ; avec les assistances à la conduite faut d’abord s’arrêter pour gagner du rythme. Calé en mode Monsieur 100 j’attends patiemment et avec délice que sa silhouette réapparaisse dans le miroir. La carte sur le réservoir annonce la prochaine à gauche pour une route à chèvres. Hihihihi…
Il paraît que les assistances ont du bon mais sur la routaille et le gravier qui recouvre toutes les zones de freinage la technologie prendra un bon kilomètre de retard sur l’archaïsme. Sorcière=1 / Princesse =0.

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La première de la lignée et sa dernière descendante.

Retour à l’hôtel où on retrouve Biké pour l’apéro. De son coté il a réussi à remplacer son pneu avant et s’est reposé.
Nous lui livrons le témoignage notre journée: «Des routes de folie et du billard tout du long, en comparaison l’Espagne est à chier. T’as vraiment raté quelque chose !»
Titre: Re : Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal
Posté par: Bourrask le 04 février, 2021, 21:55:04 21:55
Vendredi 14 août 2020. 8h35. Parking de l’hôtel. Le ciel est d’un bleu limpide, la température matinale élevée, on cuit déjà. Contact, moteur et go !

Et merde…Comme une impression de déjà vu ?
Un poil la tête dans le cul rapport à la soirée précédente, les évènements matinaux de la veille s’étaient momentanément effacés de ma mémoire. Là brusquement tout me revient et le moteur ne s’élance pas plus aujourd’hui qu’hier.
A l’évidence ce n'était pas un simple cafouillage au démarrage lié à la batterie. J’ai une idée du réel problème mais remplace le relais de démarreur par un neuf que j’avais emporté dans mes bagages. Verdict : aucun changement, c’est la roue libre qui en cause.
On sort les câbles, y’a pas de raison que la méthode de la veille ne fonctionne plus. Le démarrage à froid est le plus dur, après au cours de la journée et encore chaud le moteur démarre au quart de tour. Enfin s’est ce qui s’est passé hier.
Je vais insister sur le démarreur à l’aide de la batterie de Jean, débrancher/ rebrancher la connexion de la pompe à essence pour désengorger les puits de bougies après chaque série de tentatives ponctuées de craquements mécaniques et miracle le moteur finit par s’élancer. Au total il aura fallu une demi heure pour réveiller la bête mais la journée peut enfin commencer.
Il restera deux gros démarrages avant le retour en région lyonnaise, demain et après demain. Ca devrait le faire. C’est ce que je me dis à cet instant.

Aujourd’hui on abandonne une nouvelle fois Biké qui préfère profiter de sa journée à l’hôtel. Au programme de sa convalescence: soleil, piscine, masque chirurgical, Ricard, shit. Le Campanile ressemblerait presque à un hôpital de cure.
Je pars donc seul avec Jean et les câbles aux pinces croco au cas où.

Cette fois ci le résumé de la journée sera court.
Sur la carte les routes en promettaient et j’avais préparé méticuleusement un tracé en trèfle pour ne rater aucun spot, mais parfois la réalité du terrain est bien différente des études de papier.
La région nous l’avions traversé à plusieurs reprises, le potentiel semblait énorme vu le vaste réseau routier représenté sur la carte. Concrètement nous avions lors nos précédentes reconnaissances empruntées toutes les routes remarquables.
Mais on abandonne pas ! Je me suis fixé un point d’honneur à parcourir le road book dans son ensemble avec l’espoir de tomber sur un tracé, au moins, qui en vaudrait le détour. Aucun. Dans le coin le revêtement n’est que tôle ondulée, la route ne tourne pas à l’enfilade, ce n’est que l’enchainement monotone du virage dégueulasse et sans joie sur le bout de droit tout autant dépourvu d’attrait.
La carte Michelin et le V60 semblent s’être donné rendez-vous aujourd’hui pour me contrarier.
En fin de journée, résignés nous shunterons les cinquante derniers kilomètres de la boucle prévue.
Parfois ça ne sert à rien de s’entêter.

A Biké retrouvé : « Tu as raté une fois de plus une journée de folie, comment t’aurais kiffé! Fallait en être, on ne reviendra pas. »
Titre: Re : Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal
Posté par: Bourrask le 04 février, 2021, 22:08:40 22:08
Avant dernière étape, direction l’Aubrac puis l’Auvergne pour terminer le jour d’après.
Le séjour est réglée, les motos sont chargées, équipés nous sommes prêts à partir, je me tiens paré les câbles rouge et noir dans les mains. Mais impossible de démarrer. La roue libre a définitivement rendu l’âme.
On s’en bat les couilles ? La devise n’est pas opportune.

« Tu devines la somme de conséquences à venir ?
J’avoue que je te kiffe quand même Cocotte. Ok t’as choisi le samedi 15 août période Covid (bonus) pour tomber en panne mais t’aurais aussi pu me faire ça le deuxième jour du trip voire en Espagne où j’aurais certainement moins apprécié ton sens de l’humour. On fait quoi ? On est à 500 bornes de la maison. J’appelle l’assistance, je te laisse ici et je rentre en train ? Hors de question! Je ne t’abandonne pas ici. »

Jean a l’intuition de la bonne idée : « Faut shooter le moteur au Start Pilot. C’est sûr, le moteur démarrera ! » C’est son expérience du Stock Car qui parle.
Il ira lui même en acheter dans une surface commerciale ouverte en cette journée sainte. Vive la société de consommation…Bon cette fois le vendu que je suis ne crache pas dessus.
Il faudra ouvrir la boîte à air et injecter le produit au plus près du cœur pour que le moteur se réveille en sursaut sous le choc de l’adrénaline. Hourra le monstre est en vie !

« Je rentre direct sur Lyon, je fais l’impasse sur les deux étapes restantes, c’est plus prudent. » Telle est ma décision que j’annonce à Biké et Jean.
Les deux me répondent à l’unisson : « On est une équipe. Toussa… »

Alors gaz pour notre chez nous ! Mais ça ne veut pas dire qu’on va rentrer au plus court.
Quelques indications me seront nécessaires pour me repérer sur les 40 premières bornes qui nous séparent de Minerve après tout sera de mémoire, j’ai l’itinéraire global en tête avant même d’enclencher la première.
La carte oubliée sur le pli minervois, s’enchainent St Pons, les cirques de Navacelles, Lodève et sa spéciale de course de côte et puis toutes « nos spéciales » habituelles de l’Hérault et du Gard jusqu’à Villefort. Ici on finira par ma détestée N88 qui rejoint au plus rapide Lyon en passant par le Puy en Velay et Saint Etienne. C’est moche et chiant à vitesse autorisée. A 130 de moyenne, les courbes deviennent virages et on ne voit pas le paysage gris défiler.

Dernier arrêt ravitaillement quelques dizaines de kilomètres au sud de St Etienne. Je réalise avec regret qu’à l’arrivée il nous manquera 350 bornes pour franchir les 4000. Comme c’est frustrant d’abandonner si près du but… Après concertation nous décidons que nous roulerons le lendemain. Dix étapes étaient prévues au départ. La dernière sera locale ce sera le seul changement de programme acceptable pour atteindre l’objectif. C’est décidé, j’échangerai le Tuono contre la RSV et nous partirons du Bugey, mon fief, pour tirer ensuite sur le Jura ou le massif des Bauges en Savoie selon l’envie. Le trip s’achèvera en V60.

Sous les dernières lueurs du jour nos routes se séparent sur le périphérique lyonnais. Les signes d’au revoir sont brefs, les retrouvailles prévues pour le lendemain.


Dimanche.
Je me lève péniblement à 9h. Si ma tête est rentrée la veille, mon corps semble subitement avoir pris ses congés. Je ressens une globale et profonde lassitude physique. L’idée même d’achever mes cervicales et mes poignets sur les demi guidons de la RSV me fait mal d’avance.
Coup de fil à Jean qui héberge Biké. Les deux ont quasiment 15 piges de plus que moi, ils doivent être à l’agonie, Biké peut-être même aux urgences. J’ai une grosse envie d’annuler le programme de la journée mais je vais les laisser parler d’abord.
Moi : « Alors qu’est-ce qu’on fait, on est motivé ? »
Jean au bout du fil : « Non Biké est mort et moi je t’avoue ne pas être en super forme. La météo annonce des orages pour l’après midi… On va regarder le GP sur le canapé. »
« Petits joueurs ! J’irai faire un tour de RSV tout seul pour la gloire des 4000 bornes. »

Je raccroche avec soulagements, l’honneur sauf. Evidemment je n’irai pas rouler le jour même et attendrai trois jours entier avant de chevaucher la RSV. Après un gros trip faut gérer le sevrage et ça je commence tout juste à savoir le faire.

Fin.


Fin de la quête du Graal ou du moins sa version des Pyrénées en Tuono. Y’aura surement encore des Pyrénées et encore plus certainement du Tuono mais pas combinés ensemble dans un avenir proche. Ce sera ailleurs en Tuono ou l’Espagne toujours mais avec une autre monture.

Fin de ma BD. Parce que je vois vraiment ce simple récit comme tel. Y’a peu d’image, c’est vrai, et pourtant c’est ma formation initiale. Dans une autre vie j’étais illustrateur graphiste avec dans ma jeunesse une école d’arts graphiques, bd, peinture, sculpture, multimédia, etc. La totale qui mène nulle part. Depuis j’ai changé de voie pour le BTP et l’architecture ensuite. C’est moins créatif mais j’ai un salaire décent pour rouler comme je l'entends.
Par moment l’idée m’a titillé de réaliser une vraie bd…mais dessiner des motos ça me saoule et il faudrait un confinement de 2 ans pour que j’en arrive au bout. Le plus important c’est le scénar, la mise en image me passionne moins désormais.

Fin de ma trilogie. Trois c’est le bon numéro. Autant pour les actes que pour le nombre de personnages, pour une histoire c’est bien. Y’aura pas de « trois ans plus tard », mais un préquel. Dans une série je trouve que c’est mieux, la boucle temporelle est bouclée définitivement.


Le plus important dans l'histoire c'est qu'il fallait retrouver le Mojo avant de repartir pour la quête du Graal. Alors, quand, où et comment ?

« Eh Doc fait chauffer la Doloréan et règle le cadran de la machine à voyager dans le temps sur la date du 25/01/2017!»
Quatre ans en arrière presque jour pour jour.

La voiture décolle à la verticale, replie ses roues et effectue une manœuvre de demi-tour pour s’élancer face caméra. Une lueur bleue intense émane des propulseurs, le véhicule suspendu quelques instants dans les airs accélère brutalement, un flash lumineux déchire le ciel, l’engin s’engouffre et disparaît dans la brêche temporelle qui se referme aussitôt.
Titre: Re : Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal
Posté par: arvigna le 05 février, 2021, 08:28:59 08:28
 :'(

C'est fini ...

Un grand merci pour ce partage.

 :)
Titre: Re : Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal
Posté par: Tartanpion le 05 février, 2021, 12:53:30 12:53
Salut , j’ai dévoré tes récits .
Étant adepte de gros roulage en montagne avec des amis , j’ai retrouver au travers de ta prose le plaisir pris sur place
Merci :!:
Et bravo
Titre: Re : Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal
Posté par: Bourrask le 05 février, 2021, 20:42:33 20:42
Merci ! C’est cool que ça vous ait plu parce que c’est pas vraiment fini. :D
Le trip qui va suivre se déroule pendant l’hiver 2017 quelques mois avant la première quête du Graal à travers les Pyrénées. Le casting est différent et l’action se déroule plus au sud.



La Dolorean volante pourfend le ciel et réapparait à la date programmée sur le compteur spatio temporel.



Mercredi 25/01/2017.

Une interrogation commune et silencieuse plane dans l’habitacle de la voiture au ralenti. La nuit tombée quelque part sur l’A7 le trafic autoroutier est bloqué par la neige à hauteur de Montélimar.

« Qu’est ce qu’on fait là ? »
D'un énième coup d’œil sur le rétro je cherche en vain une réponse dans les regards éteints de nos motos recouvertes de givre et de neige fondue.
Stéphanie: « Mais pourquoi t’as pas dit non?»
Moi: « Je t’ai dit oui parce que je pensais que tu changerais d’avis. Je ne voulais pas perdre la face. »


Flash back, octobre 2016.
J’ai toujours aimé les sauts temporels.

Après une intense virée automnale « la dernière arsouille de l’année et après on pleure tout l’hiver », suivent des messages « C’était trop bien ! », « Faudrait remettre ça au plus vite », « On va déprimer tout l’hiver. On va mourir…», etc. Bref, tous les écueils listés j’en viens à me résoudre au fait que l’hiver sera long jusqu’à ce surprenant message de Stéphanie: « Ca te dirait le rallye de Tunisie ? Ce serait un bon entrainement pour le championnat de l’année prochaine. »

Vous pouvez répéter la question ?
Je devine la demoiselle joueuse et pas trop sûre du terrain sur lequel elle s’engage, mais l’air de rien elle me propose un trip qui me fait rêver depuis des années. Casser la trêve hivernale, rouler au soleil dans un pays chaud avec sa propre moto. Mon attirance pour la Tunisie elle ne la connait pas. Alors à ce qui me semble être une proposition incertaine je réponds un « ouais ce serait cool » tout aussi hypothétique. Ou comment dire oui à un truc qu’on ne fera sans doute jamais si on y réfléchit. Encore cassé physiquement de la veille mon cerveau est ailleurs.
C’était un lundi matin.

Pourtant cette idée me titille toute la journée. Si ça se trouve cette fille, complètement barrée mais ça je le sais déjà, est sérieuse. On va voir. Fin de journée message de ma part : C’est OK pour moi.
A-t-elle fait un arrêt cardiaque, je ne sais pas, mais suivra ce genre de discussion au départ presque anodine où l’on en vient rapidement à prendre des engagements. Pour ma part la question est déjà réfléchie si tant est que l’instinct puisse l’être, la décision prise quasi dès le premier message du matin, je demande néanmoins un délai de réflexion pour la forme. Oui c’est moi le sain d’esprit du binôme, la psychopathe c’est elle. Alors le lendemain j’affirme à Stéphanie un oui officiel qui sera néanmoins entériné deux jours plus tard devant témoins.

Voilà comment l’on en vient à se retrouver un soir de janvier sur l’A7 en direction du sud bloqué par la neige.


Après un voyage de 6h30 nous rejoignons enfin à 21h30 le Campanile de Septème les Vallons au nord de Marseille pour retrouver des potes de Stéphanie. Eux n’ont pas choisi le gîte proposé par l’organisation du rallye pour passer la nuit. Nous les retrouvons au restaurant de l’hôtel pour le dîner. Je suis claqué. Le sentiment d’avoir réussi l’impossible, rejoindre le point de départ malgré les mauvais pressentiments, les pluies verglaçantes, la neige, l’aquaplaning avec la remorque… Une moto se doit d’être sur ses roues, sur un attelage ce n’est pas naturel.

Les potes de Stéph sont super cools, ce sont des vieux de la vieille, je les aime d’emblée.
Cinq minutes à peine que nous sommes là et un type se présente à nous coupant les présentations en ne parlant que de lui, son palmarès, sa vie son œuvre son ego, putain j’entends presque la chanson de Dutronc « Et moi, et moi, et moi ! ». Tout ce que j’aime. Ca pouvait pas attendre demain ? On est claqué, on a faim, on s’en fout. Plus que ça il nous met le stress vis à vis du choix de pneus par rapport au grip précaire des routes tunisiennes, des conditions de roulage là bas, etc. Bref le mec plus relou tu meurs. Sa présentation achevée notre cador prendra finalement ses congés pour nous laisser diner en paix.

A 23h nous regagnons notre hôtel « Première classe » situé en bordure d’autoroute qui nous évoque d’emblée un parfait cliché de film d’horreur avec son enseigne lumineuse clignotante défectueuse de couleur fuchsia. Ici nous laisserons voiture et remorque pour la semaine. C’est l’unique raison pour laquelle cet hôtel a été choisi par l’organisation du rallye et on comprendra vite pourquoi.

« T’as vu les avis sur l’hôtel ? » me lance Stéphanie le smartphone en main.
Même si j’y comprends rien (pas de GPS, pas de smartphone, pas d’aprc, merde! Bon le dernier pourquoi pas, le 2e viendra un jour mais le 1er jamais !), je découvre un graphique de 95% d’avis ultra négatifs. Un hôtel de passe à priori.
C’était pas faux, voire pire.
Les draps à peine lavés sont perforés de brûlures de cigarettes, le lavabo décollé du mur le mitigeur git à 45°, la douche ne l’évoquons même pas, alors on préfère ne pas regarder et essayer de s’endormir. C’était sans compter sur les camions beine à vide qui déferlèrent tout la nuit dans la descente de l’A7 jouxtant ce taudis. C’est ce que j’ai cru d’abord avant de réaliser la tempête qui, très proche, rugissait avec son et lumière faisant trembler les minces murs séparant les chambres. Et je ne parle pas du reste, l’horreur totale. Demain on aura même plus de moto, c’est certain !

Après 3h de sommeil tout au plus le jour se lève enfin.
Au ressortir de la douche Stéph me crie « ne m’appelez plus jamais Princesse ! »





La traversée
Jeudi 26/01/17

Levé à 7h, soit bien plus tôt qu’en semaine, je consens à l’effort pour la bonne cause. Nous retrouvons nos potes de la veille dans la salle de petit déjeuner de l’hôtel et très vite de nombreux participants arrivés dans la nuit nous rejoignent pour le café. La veille il n’y avait que quatre motos. Ceci explique sans doute les allées et venues incessantes de la nuit, le type aussi qui a essayé de forcer la porte de notre chambre à 2h du matin. Du moins j’essaie de m’en convaincre même si à présent je m’en fous.

A 8h c’est le briefing d’avant départ sur le parking de l’hôtel et nous découvrons l’ensemble des participants. Nous sommes 25 Français et une vingtaine de Tunisiens est annoncée sur place.
Premier tour d’horizon, il n’y a que de la katoche. Du 690 en majorité, tous les modèles, SM, SMC, Duke, mais aussi du SuperDuke et j’en passe. Seule Stéph est en hypersport allemande. Pour ma part j'ai délaissé le Bon et la Brute pour le Truand, ma 690 Duke 3R. Il y’a quand même quelques japonaises, un Gex Mad Max-isé, un Tiger, une Benelli, la meilleure moto du monde soit disant cette horreur de 1200 GS, et même un scooter avec passagère.
La composition du groupe est très éclectique de part les âges et les types de motos, pourtant beaucoup se connaissent déjà via les rallyes routiers. Je l’apprendrai plus tard mais nous sommes seulement 3 ou 4 à ne pas connaître la discipline.

A 8h45 c’est le départ en convoi pour le port de Marseille, nos bagages chargés dans la camionnette d’assistance nous roulons légers dans le frais atmosphère méditerranéen.
Les nombreuses démarches administratives effectuées et autant de démarrages à répétition qui me feront craindre la panne électrique, à 11h30 les motos sont sanglées dans la cale du ferry.
A 12h attablés au resto, le bateau larguant les amarres au même moment, nous faisons la connaissance de Sylvain, ici en 1200 ZRX mais possédant une RSV4 pour la piste, avec qui nous roulerons beaucoup par la suite.
Une petite sieste pour qui arrive à dormir, une bière chacun et l’après midi défile très vite. C’est le temps des derniers sms, les cotes françaises désormais éloignées le signal s’éteint.

Le soir on se couche tôt. Malgré le manque de sommeil je n’arriverai à m’endormir que tardivement. Le ciel est noir, la mer peu formée néanmoins agitée, j’essaie de caler ma respiration sur le tempo des vagues en vain. L’amplitude n’est pas la même. Volontairement je n’avais pas pensé au trip depuis l’inscription, désormais le doute m’envahit.
Titre: Re : Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal
Posté par: Bourrask le 06 février, 2021, 22:02:30 22:02
L’arrivée
Vendredi 27/01/17

Les mêmes démarches qu’à l’embarquement effectuées, deux ou trois présentations de passeports et autant de points de contrôle, nos roues foulent enfin le sol tunisien. On y croyait presque plus, mais on y est. Il fait beau et même chaud sous le soleil de midi.
Nous rejoignons le ralliement de motards franco-tunisien proche du port de la Goulette. Le groupe de locaux est aussi éclectique que le notre. Il y a de tout, du roadster, de la sportive, du trail.

Le temps de changer des euros en Dinars, d’engloutir un sandwich et une véritable orange dont le goût n’a rien à voir avec celles importées en France, vient rapidement le moment d’un départ joyeux et tonitruant en direction de l’avenue Bourguiba, artère principale de Tunis. Là bas tout le monde nous attend.
La Garde nationale tunisienne escortée de soldats avec fusils mitrailleurs en bandoulière nous accueille en fanfare. On a l’impression d’être des vedettes. C’est trop d’honneur pour nous, tout semble démesuré. On réalisera plus tard ce prélude de bienvenue d’un peuple accueillant et chaleureux à la sincérité déconcertante pour les européens parfois trop suspicieux que nous sommes.

C’est le moment ! Celui du départ officiel.
Stéphanie porte le numéro 105, moi j’ai le 106, donc je pars une minute après elle. « On s’attend » c’est ce qu’on était convenu avant de partir. Mais je merde direct, comme par enchantement.
Je m’élance de la ligne de départ et tire tout droit au premier embranchement. C’était pourtant pas loin, 200 mètres tout au plus après l’avenue au trafic neutralisé. Un câble pète dans mon cerveau et je prends la mauvaise direction alors que j'aperçois Steph au loin engagée sur une bifurcation opposée.
Pourquoi ? Je ne me l’explique toujours pas. Comme un rejet du conformisme, je ne peux pas faire pareil que tout le monde. Lol
Putain c’est un rallye! Il serait judicieux de suivre les directives.

Nikoumouk
Je fais demi tour sur le périphérique tunisien à la faveur d’une brèche dans le rail central de séparation des quatre voies pour revenir au départ et au rond point de l’avenue Bourguiba. D’emblée je perds bien 10 minutes.
En abordant le large carrefour giratoire me reviennent les recommandations de la veille : « En Tunisie on ne roule pas comme en France. Dans les ronds points la priorité n’a pas lieu. Vous faites un grand signe de la main et vous vous engagez en forçant le passage, les automobilistes s’arrêteront en vous rendant le salut. »
La théorie c’est bien mais voyons la pratique.
Alors vas-y le grand coucou c’est moi que v’là. Et ça marche ! Toutes les voitures s’arrêtent en répondant de grands signes. Je vous aime aussi. Bon y’avait un feu tricolore au vert dans mon sens de circulation, je réalise à l’instant…

J’enquille plein gaz la voie rapide annoncée pour 15 bornes sur la case du road book. Je suis seul, derrière, en retard.
Je pense à Steph qui doit être loin devant. Aussi à ma carte de la Tunisie oubliée dans mon sac en transit pour l’escale du soir. Si je me perds comment ferai-je pour rejoindre l’hôtel ? Si seulement j’avais un GPS. Non, je n’en suis pas à ce point là. Résigné mais pas désespéré. Surtout plus j’y réfléchis et plus je trouve la situation drôle. Se perdre dans un pays inconnu sans savoir où se rendre ne serait-elle pas la sensation la plus déconcertante, la plus dépaysante ? A ce moment je kiffe la bande son grave du LC4 qui recouvre mes pensées tout comme cette couleur ocre jaune qui filtre tout le paysage.

Je ne comprends pas grand chose au déroulé du road book si ce n’est que la sortie doit être juste devant moi. Pour le reste va savoir.  Surtout j’aperçois au loin un groupe de motards. C’est là, c’est sûr ! Faut les suivre pour retrouver Stéphanie. Alors je bifurque sur la bretelle de sortie avec conviction. D’un coup ça glisse de partout.
On nous avait briefé. Le bitume nord tunisien est un marbre poli balayé par le sable et rien qu’en l’effleurant du pied on le perçoit même à l’arrêt. La jonction avec le groupe de devant quasi effectuée, un rond point seulement nous séparant, je lèche le frein avant au cul du camion qui me coupe la route dans le giratoire sans même un coucou. Les us et coutumes viennent rapidement.
C’est quoi ce délire !? Je perds l’avant à 15-20 km/h. Même à faible allure ça part comme sur du verglas. La moto s’incline puis se relève sans résistance et sans bruit, je pense récupérer le train avant durant ¼ de seconde avant qu’il ne m’envoie choir irrémédiablement.
Bordel. De. Merde. Aussi je pense aux leviers de rechange dans le sac avec la carte Michelin.
Bon il ne doit pas y avoir de casse, j’ai juste posé la moto au sol. Coup d’œil au levier d’embrayage et au sélecteur de vitesse en relevant la KTM, ils sont toujours là. Je repars illico et termine l’inspection visuelle de la brêle en dynamique. Objectif, ne pas perdre le groupe de vue, je suis à l’ouest niveau orientation.

Et d’un coup d’un seul je me sens libéré d’un poids. En une demi heure j’ai tout fait. Perdu Stéphanie, raté totalement l’orientation et mis la moto parterre. Y’a un certain level. Presque je suis fier de moi. Ne pas faire les choses à moitié telle est ma devise.
La pression évacuée et les idées claires, désormais c’est grand gaz. Je reviens sur le groupe pas si éloigné. Pas de Stéphanie. Devinant quelques échappés à l’horizon je repars à la recherche de mon acolyte perdue avec espoir. La route tourne gentiment mais je me méfie de l’adhérence dans chaque virage. J’en profite pour observer le paysage qui n’offre aucune particularité remarquable, le relief vallonné est ponctué de vignes, on se croirait dans un Beaujolais ocre jaune.
Plus loin, je bute sur une vision improbable. La silhouette d’une moto qui s’avère de plus près un scooter en duo. Un mirage ? L’équipage se déplace à rythme plus que rapide. Qui sont ces tarés ?
Je continue avec eux jusqu’au prochain ravitaillement même si je n’ai aucune envie de m’arrêter. Ma mission est plus importante. Comment je vais me faire pourrir à l’arrivée. Personne ne devra le savoir.

La pause s’effectue dans une station essence en bordure d’autoroute.
Avec espoir je m’avance vers un motard tunisien :
« - Salut l’ami. T’aurais pas vu la belle blonde par ici?
- … »
D’habitude son allure de mannequin en combinaison cuir intégrale ne passe pas inaperçue.
Je tente une autre approche : « Avec la BMW S1000 RR. »
Là il percute direct. Les motards tunisiens sont fans des motos hypersportives mais visiblement moins des blondes germaniques.
« Ouais elle est repartie depuis un moment, elle est loin devant.»

L’esprit apaisé, une heure de ligne droite plus tard en compagnie de mon nouveau groupe de fortune, je rejoins l’hôtel du soir à Monastir.

A peine la moto garée j’aperçois à une trentaine de mètres Stéphanie sur le parvis de l’hôtel les bras levés dans ma direction.
A cette distance j’interprète difficilement le sens du geste. Les mains levées au ciel pour me maudire ou les bras tendus pour l’accolade? Légèrement penaud je m’avance vers elle.
« Mais qu’est-ce que t’as foutu ? » Me lance t-elle.
« C’était fait exprès pour voir si tu m’attendrais. J’ai la réponse maintenant. »
En vérité je m’excuse platement. Demain on fera ça bien on ne se quittera pas promis juré.
Titre: Re : Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal
Posté par: Bourrask le 07 février, 2021, 18:04:15 18:04
La promesse
Samedi 28/01/17

Sous les premiers rayons de soleil je remplace la bobine du road book fixé au guidon. Je prendrai plaisir à cette manipulation tous les jours suivants dans cette ambiance d’avant départ si particulière. L’excitation matinale est amplifiée par le ronronnement des motos tunisiennes qui partant une à une égrènent le décompte de notre départ. Elles sont 20, autant de minutes pour se préparer au départ. On est laaargeee.

A notre tour de s’élancer je demande à Stéphanie si c’est bien à droite qu’il faut partir, pour rigoler.
La première case est tronquée, je ne rigole pas tant que ça en fait.

La BM franchit la ligne de départ, une minute après me voilà reparti à ses trousses. Je parcours 500 mètres et l’aperçois rangée sur le bas coté. J’en ai presque la larme à l’œil. Elle m’a attendu.
Je m’arrête à son coté et la découvre penchée sur le Vector fixé au tableau de bord tentant désespérément de le reparamétrer sur le décompte partiel. Et bah merci quand même !
Le mode d’emploi de l’appareil sera assimilé sur le parking du port de Marseille à notre retour soit dit en passant.

On repart et très vite le road book nous envoie à travers la campagne tunisienne. Les routes sont similaires à nos rubans français de prime abord. En plus arides, plus jaunes, plus poussiéreux, et surtout déserts de présence humaine. Quelques kilomètres plus loin nous retrouvons Sylvain arrêté au milieu de la pampa pour tourner la page A4 de son road book affiché sous bagster. Nous ferons la suite du trajet ensemble. Sous un ciel voilé nous poursuivons notre route du jour, parfois la cherchant, d’autres fois la retrouvant au gré de nos rencontres ça et là. C’est l’aventure.

Enfin c’est vite dit. Y’a des flics partout. Et ils n’ont pas les mêmes directives que chez nous. La sécurité routière ici y’en a pas et je ne dirai pas que ça me dérange mais on a rapidement l’impression d’être au Far West.
Au début c’est marrant, on passe à deux fois la vitesse autorisée en adressant de grands coucous aux forces de l’ordre qui neutralisent la route sur notre passage et autant qui nous indiquent la direction à suivre. Ce qui s’avère assez rapidement chiant, il est impossible de se perdre.
Cela dit le trafic routier tunisien s’avère très sécure pour les motards que nous sommes. Globalement la circulation est faible voire absente et les quelques automobilistes rencontrés sont hyper attentifs à toutes ces motos qu’ils ne voient jamais en temps normal. Mais nous ne sommes pas venus pour écraser des gamins dans des villages. Evidemment on remercie l’organisation tunisienne pour toute cette attention et cette délicatesse à notre égard mais nous ne le méritons pas. J’ai l’impression d’être un gros con d’européen, riche, égoiste et sans gêne. Et sans doute est-ce le cas.
Pourtant les Tunisiens ont l’air content de nous voir et tous nous accueillent les bras grands ouverts sans arrière pensée. Alors peut-être que toute cette interprétation européenne d’un peuple que je ne connais pas n’a pas lieu d’être.
NB pour le retour en France : ne pas faire coucou au flic derrière son radar en passant à 240. Il ne te rendra pas le signe pour ton bien.

Tous les trois nous nous perdons sur une piste de terre qu’il ne fallait pas emprunter, premier moment où je me dirais que ça devait être pénible en hypersport et n’aurait plus aucun regret sur mon choix de monture. Au détour du chemin, face à nous un groupe de français en sens inverse de notre route nous affranchit: «C’est pas par là. »

Plus loin quelques gouttes perlent nos visières, la température se rafraichit, le plaisir néanmoins est au rendez-vous. La route s’avère sympa, l’adhérence humide bien meilleure que la veille sur le sec, je commence à me sentir en vacances et à lâcher prise pour de bon avec le quotidien.

Pause au resto de l’étape de midi. Nous sommes les premiers français. On ne s’est pas arrêté sauf pour le plein. Définitivement Sylvain, qui nous a ouvert la route, n’aime pas les arrêts plus que nous, ce qui nous va parfaitement.

Le méchoui avalé on repart sans la pluie. Le ciel se découvre, les rayons d’un franc soleil percent nos cuirs et des kilomètres de lignes droites nous éloignent rapidement des contrées sauvages du nord tunisien. Mais j’aurai mal pour mon mono. Les deux zygotos excités devant moi en 1000 quatre cylindres n’ont pas compris la motorisation qui nous séparait. A 140 je suis déjà au ¾ du régime max, alors à 180 je suis pleine charge, inconscients ! Le LC4 il aura pris cher tout au long du voyage, genre jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien…

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Je ne sais plus trop où mais à un moment on a bifurqué sur une route joueuse et exotique. Elle tourne, elle promet, le soleil est radieux. Le dépaysement est total, je me sens définitivement en vacances, loin, ailleurs.

On repart en se greffant à un autre groupe. Ce col de moyenne montagne qui serpente au milieu de reliefs arides jonchés de vestiges comme de bâtisses contemporaines se révèle dès les premiers virages un profond tapis de gravier. Passée une courte hésitation je laisse Stéphanie à son sort. Mais jamais je ne m’inquiète pour la femme bionique. Et ce n’est pas une considération de genre. Elle est la personne la plus forte, incassable, acharnée que je connaisse. Et puis merde elle ne m’a pas attendu le premier jour.
Surtout j’ai un truc à vérifier qui me brûle l’esprit et les os, là, maintenant, tout de suite. Sur cette route tout revient. A l’accélération la roue arrière patine, en sortie de virages ce sont les deux roues qui se retrouvent en dérive. J’ai retrouvé mon Mojo !

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Je croyais l’avoir perdu dans les Pyrénées espagnoles deux ans auparavant. Plusieurs fois j’ai hésité à retourner là bas chercher ce que j’avais abandonné et même si j’ai retrouvé sa trace l’été dernier en terres cévenoles je ne pensais pas le dénicher si loin. Alléluia j’ai retrouvé la foi !
Cette brêle elle est trop bien ! C’est ce que je me dis aussi en pensant au V4 pour lequel je l’avais délaissée. Je kiffe l’instant, la moto, la lumière, le paysage et ce putain de Mojo!

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Copain, copine retrouvés plus loin on repart aussitôt. Il faut que je vérifie si tout n’est que mirage.
Rien à péter du road book, j’ai enfin pris mes marques sur la lecture du dérouleur, de toute façon c’est tout droit comme d’habitude jusqu’au prochain point de passage fliqué. La route pas aussi sinueuse que mes espérances c’est de l’enduro routier qui s’annonce avec bouches d’égout sans plaque de fonte à répétition, dépressions et dos d’ânes incessants, gravier en veux tu en voilà à chaque instant. Trop marrant!

Quelques kilomètres après, arrêtés au rond point derrière moi, Sylvain et Stéphanie discute du RB et de la direction à suivre alors que je suis engagé sur la bonne voie. La confiance perdue… L’orientation c’est moi d’habitude. OK j’ai pas pris la carte Michelin mais bordel j’ai retrouvé le Mojo !

Avant de terminer l’étape du jour nous effectuons un dernier ravitaillement en essence. Un petit gars de 10 ans à peine vient à ma rencontre devant la pompe à essence.
« Tu es Français ! D’où viens-tu ? »
« De Lyon. »
« OK. Non mais tu étais où hier ? »
« A Monastir. On a prit le bateau à Marseille et on est arrivé à Tunis avant hier. Ce soir on va à Douz.»
« Super ! Je suis content et je te souhaite la bienvenue en Tunisie. »
Je suis touché, je n’arrive pas à imaginer une situation semblable dans notre pays, celui des droits de l’Homme…Et tous les Tunisiens semblent aussi sincères que ce petit garçon.

Des kilomètres de lignes droites pour finir, le Chott El Jerid à la tombée du jour, une lumière ciselée comme fil d’Ariane et nous regagnons l’hôtel de Douz à la nuit tombée.

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Ce soir je vais enfin pouvoir dormir cette nuit. Fais péter le Sky !
Titre: Re : Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal
Posté par: Bourrask le 07 février, 2021, 18:15:18 18:15
Le Graal
Dimanche 29/01/17

L’organisation nous l’a promis et répété hier soir lors du briefing quotidien, aujourd’hui c’est L’Etape.
« Demain ça va tourner, le RB sera propice à la KTM beaucoup moins à la BM.» Telle fut la sentence assenée par un motard tunisien la veille à notre arrivée sur le parking de l’hôtel. « Non mais tu connais pas Stéphanie !», avais-je envi de lui répondre. Tout comme à nos compatriotes qui au bar le soir, quand la Movie Star s’apprêtait dans la salle de bains, s’inquiétaient quotidiennement auprès de moi de l’état de ses poignets. Non mais LOL ! La blonde c’est une tarée et ce n’est jamais elle qui signe la reddition en premier.

Alors on se lève encore un peu plus tôt que les jours précédents. Les rayons d’un soleil irrévocable nous colle immédiatement le sourire aux lèvres, l’excitation commune est palpable sous le ciel bleu limpide.
Avant d’enfourcher les motos pour cette rude étape Douz-Douz il nous faut graisser les chaines. J’avais promis d’emporter tout le nécessaire pour des réparations de fortune et l’entretien basique; ce chargement prenait la contenance d’un sac entier et nous n’avons pas eu à nous en servir. Cela dit je m’étais simplement engagé à fournir le matériel, pour le reste : « Je te montre et tu te démerdes.» Je ne suis pas plus doué qu’elle.
Pourtant devant le franc désarroi de la demoiselle qui en dix années de vie motarde n’avait jamais graissé une chaîne et s’y prenait complètement de travers, je fus faible.
« Bravo pour le bel effort d’avoir pensé à la graisse, tu t’améliores. Allez donne moi ça, je vais le faire !»
Je m’emparai du spray qu’elle me tendait. Bordel j’hallucine.
Le graissage de sa chaîne achevé je lui rendis sa bombonne métallique : « Quand tu n’entends que la bille à l’intérieur c’est que c’est vide, tu peux la jeter. La prochaine fois tu penseras à en emporter une pleine, banane! »
« Ahahaha» La rigolade encaissée, nous nous arrachons de l’hôtel en direction du premier contrôle de passage obligé : la station essence à 2 km de là. Nous partons sans Sylvain qui n’avait qu’à se réveiller.

On pointe on part.
La prochaine case du RB est annoncée à 70 km. 70 bornes d’une ligne droite ininterrompue à travers le désert, le vrai. De prime abord le pictogramme sur l’imprimé donne envie de pleurer. Jamais je n’avais apprécié une voie rectiligne avant ce jour pourtant c’était grandiose. L’impression d’être dans un film, de changer de format d’image, c’est pas ton petit écran de télé ou d’ordi, c’est de l’extra large à perte de vue. La distance elle aussi n’est pas la même. 70 km à 140 de moyenne ce n’est ni loin ni long et sur un bitume fripé, cabossé, les vibrations de la route et du mono conjuguées, le corps et les mains engourdis dans la fraicheur désertique, cela s’avère un peu usant, finalement sans ennui.

Devant Stéphanie file promptement, la capuche rose fluo au vent, la BM survolant les aléas de la route, le 4 cylindres gavé de chevaux cruise en sous régime pour attendre le mono à bout de souffle. J’en suis sûr elle a mis les poignées chauffantes en marche.

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Brusquement le bitume gris accidenté devient noir lisse. A cette jonction une douzaine de motos arrêtées occupe toute la voie. Jusque là je ne l’avais pas vraiment intégré, les Tunisiens eux sont soumis à la régularité avec une vitesse moyenne de 60 km/ heure à respecter. Sur une ligne droite déserte de 70 bornes que dire à part mission impossible. Alors je compatis en les voyant repartir.
L’un des Tunisiens s’attarde néanmoins avec nous et l’on en profite pour effectuer le graissage de sa chaine. Bon je te file la graisse mais toi tu te démerdes pour l'appliquer.
On comprend ici que la moto est un loisir très récent pour les Tunisiens qui ont grand mal à se procurer équipement divers et surtout des pneus. Pour beaucoup les leurs sont usés à la corde et régulières sont les crevaisons.

D’autres français arrivent alors que nous repartons.
Devant nous un relief ocre vert patiné, un creux au milieu, un large bitume à la saveur de billard en comparaison des goudrons précaires empruntés jusqu’ici, c’est un col qui arrive. On finissait par croire qu’on reviendrait avec des pneus carrés à force de lignes droites et de gravier, ici on va pouvoir enfin mettre de l’angle pour de vrai. Pas comme sur le réseau routier français non plus. Dans ces contrées toujours il faut se méfier. Des caillasses, du sable, de tout, et même des dromadaires annoncés par panneau signalétique.
Première courbe en montée suivie d’une épingle pleine gauche, sans surprise je perçois toute la conviction de Stéphanie, la BM sonne l’assaut, c’est parti ! Je rigole direct.
Jusqu’à ce trip en Tunisie j’avais l’habitude qu’elle soit derrière, moi ou un autre, je n’avais donc jamais vraiment observé sa façon de faire/ sa technique, on s’était promis qu’ici ce serait elle qui ouvrirait la voie. Je m’en doutais quand même. A cet instant se révèle une connexion comme j’en ai seulement avec quelques autres pour la moto. Peut être similaire à la danse ou la musique, en tout cas sur la même longueur d’onde, les atomes s’accrochant, sans concours, sans arrière pensée. Simplement on kiffe l’instant présent, on joue à rouler ensemble. Et on joue au même jeu. Après y’a plus que se regarder pour se marrer.

On achève la descente de l’autre coté du col d’un bref coucou à l’égard de nos collègues rouennais en KTM arrêtés sur le bord de la route, un peu occupé à autre chose que nous sommes, et 200 m plus loin c’est l’instant génial du RB où l’on passe d’un billard à une route défoncée en un seul instant magique. On quitte ce beau col pour une route qui n’en a que l’appellation, du gravier, du sable, des trous partout et surtout des dépressions régulières pas croyables. Tu sautes, tu tombes du sommet de la vague et ré-accélères à son creux comme face à un mur, la sensation est géniale, le ressenti amplifié par le contraste avec la route juste avant. Sur un bout de ligne droite entre deux virages le même convoi de Tunisiens en avance sur l’horaire nous barre la route.
Bordel, ils auraient pu trouver meilleur endroit. Le point de contrôle de passage à 400 m est visible en contre haut de notre position. Je crois qu’ils n’ont pas bien écouté les consignes de la veille : « Tu te fais chopper à t’arrêter, tu prends des pénalités. »
Nous sommes définitivement contents de ne pas jouer la régularité.

(Je n’ai pas précisé le cadre de ce rallye, je m’en rends compte. Cette édition n’est pas chronométrée pour les Français, seuls les Tunisiens sont soumis à des règles. La faute au contexte de ces années là marquées par un attentat contre des touristes français quelques mois plus tôt et au faible nombre de participants inscrits qui peut-être a résulté de ces évènements. Le rallye s’est donc transformé en grosse balade pour ceux qui ont maintenu leur engagement malgré l’annulation de la compétition. Et pour tout dire route fermée ou pas je ne pense pas que cela aurait changé grand-chose dans ces contrées.)


Hop les rouennais nous rejoignent durant cet arrêt improvisé. Nous repartons avec eux. C’est marrant, ça tourne à travers la campagne, j’ai une méchante et permanente envie de jouer depuis la veille, le rallyeman accompli devant moi n’a pas l’air de vouloir alors on reste calme.
Arrêt essence pendant lequel un groupe de tunisiens excités nous rejoint. On repart à quatre avec eux, les deux rouennais, Steph et moi, pour un col en direction de l’école de Matmata notre étape déjeuner toute proche. Des souvenirs ravivés de rencontres internationales type France/ Allemagne ou France/ Pays Bas dans les Alpes autrichiennes plus loin et nous voilà très vite arrivés au point de la mission caritative de notre voyage.

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La joie et l’émotion de chacun enchantées par la musique berbère tunisienne, il est déjà temps de repartir. Situé en plein village troglodyte restauré, un restaurant à la fraicheur exacerbée par son plafond en voute basse nous attend pour le couscous.
A quelques centaines de mètres, nous devinons le lieu de tournage de Starwars, la planète Tatooine de Luke et de son oncle Ben. Moi je suis pas trop fan, c’est Sylvain qui nous a rappelé le mythe.

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Et moi je veux nager encore une fois avec toi. Non en fait je veux rouler !
Nous repartons, Stéph, Sylvain et moi quasi les derniers de la colline troglodyte au chemin d’accès caillouteux et à la pente prononcée.

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Nous rattrapons assez rapidement le groupe parti un peu plus tôt que nous auquel nous nous s’intégrons en queue de peloton. Jusqu’ici tout va bien.
Mais j’ai encore une satanée envie de jouer qui me trouble l’esprit. Faut savourer sa passion en discrétion alors j’attends patiemment qu’on me fasse signe pour passer et recoller de manière ludique le groupe éparpillé. Evidemment Stéphanie m’emboite le pas sur cette route abîmée, mais nous resterons bloqués trop timides pour s’épanouir pleinement dans ce groupe mené sur un faux rythme.

Plus loin c’est un concours d’égo entre le pilote de la moto portant le numéro zéro et un autre participant qui nous arrêtera pour connaître la bonne route à suivre. Ce que l’on réalisera discrètement hilare le soir à l’hôtel.
Bordel t’as pas passé l’âge mec ? Ca valait bien le coup de nous mettre la pression avec les pneus pluie extra tendres, le grip pourri... Des pneus en bois ça suffit pour rouler à ce rythme.
Pour le moment nous restons là sans vraiment comprendre ce qui se trame et d’ailleurs on s’en fout totalement.

On repart enfin. Toujours de la route sympa jusqu’à la prochaine étape café au sommet d’un col à la vue surprenante sur la plaine lointaine. Les habitations sur les collines avoisinantes de teinte identique à cette couleur ocre jaune qui irradie et imprègne tout le paysage semblent plantées là depuis des lustres.

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Stéph commande un café, pour moi ce sera un thé. Le tenancier nous propose de goûter son beurre de chèvre. Avec plaisir. J’ai dégusté le véritable yahourt bulgare au lait de chèvre au fin fond des Balkans alors « ça goûte ce que ça sent » je connais. En fait là ça goute pas plus ce que ça sent mais c’est bon quand même. Merci on reviendra peut-être un jour.

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On re repart. On re rechange de groupe. On re refait les cons. Là j’en peux plus faut qu’on mette du gaz pour de vrai. Sur la courte et étroite descente du col je pousse un peu Stéph à l’ouverture, genre vas-y fais péter le 4 cylindres! La descente trop brève s’ouvre sur une portion sinueuse bien roulante et c’est le mono qui se fait péter la gueule. Le GSXR noir nous double comme une invitation à la BM qui lui emboite immédiatement le pas.
J’ai tout fait pour suivre, tout donné en vain en entrée de virage pour presque tout reperdre en sortie de ces courbes trop longues. Le mono il a pris cher malgré la position aérodynamique, les bras pliés le long du corps, la tête dans la bulle qu’il n’y a pas… Au final c’est comme les rasoirs jetables, à un moment donné faut les jeter. Alors je jette l’éponge à 200 m de la station essence, hein !

J’avais pas précisé mais au départ en manque d’essence on partait pour ravitailler alors fallait aller très vite pour éviter la panne sèche. Le cas échéant faut pousser, marcher, tout ça… c’est chiant.

La journée se termine il faut rentrer à notre hôtel de Douz. On reprend le col en sens inverse.
On fait le match retour ?

Plus loin nous retrouvons la grande ligne droite du matin cette fois au soleil couchant. La lumière rasante appelle l’arrêt commun et le délassement dans le sable fin et délicat du désert. A cet instant cette poussière brune qui coule entre mes doigts justifie à elle seul tout le voyage.
Titre: Re : Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal
Posté par: Bourrask le 07 février, 2021, 18:26:20 18:26
Le retour
Lundi 30/01/17

Nous refermons la porte de la chambre nos lourds sacs plein les bras. Dans le hall de l’hôtel nous les abandonnons au pied du chariot pour le camion d’assistance. Aujourd’hui c’est l’étape retour jusqu’à Hamamet au Sud de Tunis où demain nous reprendrons le bateau pour Marseille. Déjà.

La veille vers 22h durant le briefing, Kais l’organisateur du rallye, nous avait annoncé que le road book retour serait modifié pour cause d’importantes inondations survenues la semaine précédente. Les cols montagneux devenus impraticables le tracé sera tronqué dans son second quart au profit d’un convoi de 160 km encadré par la Garde nationale tunisienne. A l’écoute de cette décision la déception fut unanime.

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A l’aurore, les road book sont remplacés, les écrans de casques nettoyés, les chaines graissées, les moteurs s’ébrouent, tout le monde est prêt à partir. Enfin presque tout le monde. Quelques retardataires français encore dans leur chambre, la tête dans l’entrebâillement de la fenêtre comme dérangés par cette agitation matinale nous interrogent avec circonspection. Ouais c’est maintenant!

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Départ du parking de l’hôtel toutes les minutes en petits groupes comme les jours précédents. Sylvain s’est réveillé à temps aujourd’hui, nous partons donc tous les trois.
Une petite heure plus tard et autant de lignes droites nous atteignons le Chott El Jerid déjà traversé deux jours plus tôt en fin de journée, cette fois c’est une lumière matinale radieuse qui nous invite à nous arrêter de nouveau. C’est toujours à la fin que survient le besoin de photographier tous ces moments que l’on ne veut pas oublier. On devine le terme du voyage proche, il est inconcevable que tout s’arrête si brusquement alors on essaie de cristalliser les dernières sensations qui bientôt seront lointaines.
Je visse la poignée de gaz pour dépasser Stéphanie et lui indiquer cette immédiate nécessité. D’habitude c’est moi qui ne m’arrête jamais, j’ai parfois l’impression d’avoir affaire à un clone.

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Les instantanés dans la boîte on repart sur cette interminable ligne droite menant à de lointains reliefs bleutés. Les deux 4 cylindres s’échappent rapidement pour raccourcir la distance, raisonné je ne tente même pas de les suivre. J’en ai marre de lui mettre la misère au Lc4.
Mes deux compères ayant poliment ralenti je les rejoins au pied du col que l’on devinait à l’horizon. Enfin il est là. Aujourd’hui il faudra profiter pleinement du moindre virage, chacun en a conscience. Alors la BM s’extraie de la roue de son ouvreur et le déboite bille en tête les premiers virages à vue. Sylvain est cool et nous comprend. Pas besoin d’échange de politesse outre mesure. J’emboîte le pas de Stéphanie et comme d’habitude c’est bien marrant.
Le poste de frontière au sommet du grand droit abordé à vive allure, c’est le regroupement prévu pour le convoi.


Bande son : https://youtu.be/HTMud2Ix2w4


Convoy. Le film que j’ai vu 100 fois enfant. Mais ce ne sera pas le même scénario, oubliée l’anarchie. C’est une organisation quasi militaire digne d’un film de guerre américain contemporain qui s’organise autour de nous. Une voiture verte et blanche ouvre la route devant les Tunisiens, une autre au milieu, les Français ensuite et une dernière pour fermer. Y’a pas de Hummer avec mitrailleuse mais c’est tout comme. La colonne internationale s’élance avec fracas, gyrophares tournoyants et sirènes hurlantes. Et on ne traîne pas sur la route. Le convoi occupe toute la voie, les motards sur la file de droite, les voitures de l’armée sur celle de gauche. A notre rencontre les véhicules présents sur la chaussée sont sommés virilement de se ranger immédiatement dans les bas cotés. Sur la nationale nous traversons de petites villes brutalement paralysées par notre passage, c’est l’effervescence. Surprise, enthousiasme, étonnement, curiosité ou autre, que sais-je ? On nous regarde passer en trombe.
Putain le malaise ! Pas besoin de tout ça pour nous.
De ces interminables lignes droites je pourrais dire que la conduite escortée était surprenante, ennuyeuse dans sa durée mais ce serait une réflexion futile et inappropriée. Sans réfléchir à tout ça, j’apprécie les paysages, le soleil, la chaleur, le moment présent tout simplement.

La colonne s’éteint au milieu d’un bled dans une zone artisanale perdue. D’abord on ne sait pas trop ce que l’on fait là, c’est midi on a faim. Putain d’assistés.
En fait on vient de rejoindre le RB initial et ce qui semble être une spéciale de la compétition si elle avait eu lieu. J’avoue ne pas les avoir toutes reconnues les jours passés mai là ça semble clair.
Un nouveau CP est établi pour les Tunisiens comme pour les Français. Nous approchons de la ligne de départ Stéphanie et moi. Juste avant nous deux KTM assurent le spectacle en partant sur la roue arrière.

Le compte à rebours défile sur la borne lumineuse plantée devant le marquage au sol.
50 secondes.
A ma gauche Stéphanie. A ma droite le lanceur, je ne sais pas si c’est le bon terme mais il me plait. Il m’interroge: « Départ type grand prix ou départ cool ? »
« Tranquille » dis-je.
« Ca vaut mieux. » affirme-t-il.
Ouais c’est ça...ouais…C’est la figure du Joker brodée sur mon genou droit qui semble me parler. L’autre son contraire présent sur ma jambe gauche il ferme bien sa gueule de chauve souris.
30 secondes.
Je tourne la tête vers Stéph pour l’interroger du regard. Comment on la joue? Moi je suis chaud !
Derrière l’écran noir opaque impossible de capter les yeux verts que je devine fixés loin devant. Même pas elle me calcule. Oh putain !
Bon je vais me caler sur toi enfin je vais essayer.
10 secondes.
« 5,4,3,2,1!»
La BM s’arrache de la ligne de départ avec force, j’ai toujours le coin de l’œil braqué sur elle et tire sur la première comme jamais, jusqu’à la limite de rupture, le métal hurlant je passe la 2 et la 3 à la volée, la brêle tire très court, les deux motos restent cote à cote jusqu’à ce ralentisseur de 10 cm de hauteur en fond de cuvette qui nous force à freiner et par la même occasion m’évite l’humiliation, après ça n’aurait plus été possible de faire jeu égal. On ré accélère dans la montée entre quelques habitations vers une route déserte parsemée de virages et de sable. La jeune femme sur la BM est déchainée. Très vite on revient comme deux balles de Long Rifle sur le binôme parti avant nous et on s’arrête là. Dommage, encore une fois on ose pas.

Un peu lassé de rouler en paquet de 6-7, on quitte plus loin le groupe pour des kilomètres interminables de lignes droites jusqu’à la prochaine spéciale, les prochains virages après le CP suivant. Ce n’est pas dur de comprendre que les 7,7 km à venir vont être fun. Et merde le ratio virage /kilomètre.
Alors on se lâche, c’est maintenant qu’il faut en profiter pleinement.
Ca passe trop vite et déjà c’est fini. Ensuite, encore et toujours des lignes droites jusqu’au Coliseum antique de Jem.
Pause déjeuner vers 14-15h. Visite des lieux. On termine la journée par 80 bornes d’autoroute jusqu’à Hamamet.

Là bas nous sommes accueillis dans un hôtel de luxe. La chambre immense est plus grande que mon appartement. Vue sur la piscine et la Méditerranée à 100m.
Apéro dans nos quartiers, Madame boit du whisky désormais. Et ça c’est grâce à moi, vous vous en souviendrez ?
La discussion nous mène à livrer notre bilan du séjour.
En vérité je ne sais plus mais je me souviens avoir bien rigolé. Surtout c’est opportun de le faire à ce moment du récit.

Alors oui de la ligne droite on en a bouffé. Beaucoup. Et même trop. Mais il y a eu deux supers journées dont une véritablement exceptionnelle. De grands moments également répartis ça et là le reste du temps, c’est de ceux là dont je veux me souvenir aussi. On a envie de rouler encore et encore. On pourrait faire ça tous les jours sans sourciller, physiquement c’était bien moins intense que certains trips réalisés sur le territoire français. Et puis cette chance d’avoir fait ça ! On est au mois de janvier et on a roulé au soleil dans des contrées inconnues et exotiques. Le voyage aurait mérité deux jours de plus, c’est une évidence, pour éviter les grandes liaisons entre nord et sud en privilégiant les petites routes sinueuses tout du long. Ceci dit comment pourrions-nous être blasé de toutes ces sensations vécues, de tous ces paysages comme du peuple tunisien ?

Et surtout c’était une idée « à la con » lancée au départ. Rien que pour ça je suis heureux de l’avoir fait. Alors ici s’achève une mémorable aventure vécue en très bonne compagnie. Et ce dernier point est primordial. Si on ne partage pas à quoi ça sert ?

Au final on est un peu pété. Si on descendait au resto ?
La fête de remise des prix pour les Tunisiens suivra.
Délestés de nos derniers dinars nous regagnons la chambre. La porte se referme derrière nous, l’aventure aussi.

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Bande son : https://youtu.be/Y001O8Azj1U






Epilogue

Mardi 31/01/17
Putain de porte de merde ! Comment ça marche déjà ?
Tout équipé, les sacs et le casque dans les bras, ça me saoule direct. Je ne peux/veux pas rentrer ou sortir.
« T’as la carte magnétique Stéph ? »
Dernier convoi jusqu’au port de la Goulette. De chaleureux adieux avec les Tunisiens et la troupe française s’engouffre dans le ventre du bateau.
Mer plate, traversée tranquille. Après toute cette aventure, j’ai l’impression d’être littéralement emprisonné dans ce ferry.


Mercredi 1/02/17
Enfin on débarque.
J’en peux plus je veux rouler encore.
Premier rond point, premier virage, la fièvre m’envahit immédiatement. Je repense à notre conversation de la veille avec le journaliste marseillais, les spots du sud, les routes à faire dans les environs de Marseille, celle des Calanques, le col de la Gineste surtout. Cette fois j’ai pas la carte Michelin avec moi, le smartphone de Stéph est HS, et je ne sais absolument pas où se situe géographiquement cette route. Je serais moins con j’aurais un GPS…

On arrive sur le parking de l’hôtel du premier jour, je descends de ma brêle en direction de Stéphanie encore casquée et lui lance :
« On fait la Gineste et on se casse ? »
« Arfff…Ne me tente pas ! »

Je n’insiste pas à cause des raisons évoquées plus haut sinon elle aurait accepté. C’est mon seul regret de tout le voyage. On sera obligé de revenir rien que pour ça, avec des idées à la con on peut aller loin.

PS : je vous livre le résumé vidéo que Stéphanie m’a envoyé:
https://youtu.be/5VTQzQhW4bg


Cette fois c’est vraiment fini. La suite se passe au premier jour de la quête du Graal pendant l’été 2017. La boucle est bouclée.
Titre: Re : Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal
Posté par: Dayto06 le 07 février, 2021, 20:51:47 20:51
Encore une fois excellent, on s’y croirait!

Merci pour le partage et pour ta prose.

;)
Titre: Re : Les Pyrénées en Tuono ou la quête du Graal
Posté par: Ssstan le 06 décembre, 2021, 11:26:15 11:26
Merci pour le plaisir de la lecture.